L'hiver de l'amour : dialogue III

blanche-dubois

Suite du récit théâtral : la vie amoureuse de Marie, personnalité borderline.

Dialogue III

 – L'amant : “A quoi penses tu?

– Marie : Je pense à l'autre jour.

– L'amant : L'autre jour quoi?

– Marie : L'autre jour où je t'ai fait une fellation quand tu appelais ta mère.

– L'amant : Garce

– Marie : Il n'empêche que tu ne m'as pas repoussée. Hein? Que ressentais tu à cet instant? Je veux savoir. Allez dis moi !

(Il soupire.)

– L'amant : Ecoute - Cet appel était très urgent.

– Marie : Ah oui ! Allez chercher son toutou parce qu'elle ne pouvait pas s'en occuper! Non mais l'amour n'attend pas ! C'est maintenant ! Tout de suite !

– L'amant : Oui tout, tout de suite ! Ma mère appelle toujours pour de bonnes raisons. Ne revenons plus là dessus. Ne fais plus cela. C'était la chose la plus dure à tenir : être avec sa mère et jouir dans la femme qu'on aime. Oui la chose la plus éprouvante - et - La plus délicieuse en même temps. Je t'ai résisté : oui. Tu m'en veux?

– Marie : Une telle détermination, obstination m'inquiète. Je t'ai testé et - (il la coupe.)

– L'amant : Qu'est ce qui te tracasse? Si j'analyse. Tu voulais que je cède. Je continue à parler avec ma mère avec ce flegme qui t'agace horriblement.En fait - Tu veux que je te dise? Tu ne supportes pas que je ne te sois pas soumis totalement, que je sois fort, que je te résiste, que je sois détaché de ta sensualité, de ton érotisme. En fait, tu sais très bien à quel point je tiens à ma mère et contre toute attente, tu as fait ce geste déplacé à ce moment précis. Tu n'as pas gagné cette bataille - encore une fois. Que le seul être -

– Marie : (elle le coupe.) Tais-toi - La mécanique pauvre du sexe est une chose. Ce qui est véhiculé à travers ce geste est tout autre. Les paradoxes n'existent que dans la nature. Comment des gestes aussi peu raffinés peuvent décupler autant le plaisir masculin ? Suis-je une machine ? Es-tu une vache à qui je me branche et tout le tralala?La bouche d'une femme, c'est tout de même pas rien, tu entends? Ma bouche comme conducteur de l'Amour, mots que tu aimes tant à répéter. Parce qu'il faut aimer pour faire cela - Pour avaler un sexe qui n'a aucun visage, aucune âme, peut être aucun coeur et avec un foutre dégueulasse. Il m'en faudrait du courage dans ce cas précis. Et toi tu me parles de ton chien ! De ta quotidienneté de merde. De ta condition de petit-bourgeois !

– L'amant : Allez dis toi que c'était une performance, un happening. Qu'à cet instant j'étais avec -

– Marie : (elle le coupe.) - La maman et la putain!

– L'amant : - Que vous auriez pu toutes les deux vous tenir la main. Ta bouche sur mon sexe et ma bouche sur celle de ma mère. Je vous aurais prise toutes les deux. Un espèce de trio incestueux et obscène. Un triolisme glauque quoique beau. Je ne suis pas pur.

– Marie : Une superposition de la pureté et de la sexualité brute. Mon dieu, tes fantasmes mets les dans un coffre, ferme le à clef et jette le à la mer et n'en parlons plus. Pour moi cela ne vaut rien. (Il la regarde longtemps le regard figé et descend progressivement sur sa poitrine.) Oui, cela m'inquiète car tu pourrais te détourner de moi, et ce, pour une autre femme.

– L'amant : Allez tu sais très bien que tu me tiens par toutes les extrémités. Tu m'as complètement ligoté. Je n'arrive même pas à imaginer ce qu'une femme comme toi serait capable d'inventer pour me rendre inconsciemment et définitivement prisonnier. C'est terrible. C'est une espèce de soumission douce. Je m'y complais. Je serai définitivement ton prisonnier. Voilà tu es contente ? Cela ne te suffit pas ? Pourtant je n'arrête pas de te le dire !

– Marie : Si tu avais lâché ce téléphone avant même de jouir, j'aurais pensé que tu étais un pauvre type, incapable de dominer son excitation, un éjaculateur précoce...Tu m'aurais moins plu.

– L'amant : Ton éternelle contradiction.

– Marie : Un prisonnier...Un faible. Au sens propre comme au figuré. Tu dis que tu l'es par rapport à moi. Mais c'est faux!

– L'amant : ah oui? Non! Le truc c'est que tu veux avoir le pouvoir sur moi et tu n'y arrives pas. Tu veux ce pouvoir sur mon être, et par le sexe essentiellement. Le sexe qui, pour toi, établit un rapport de force entre nous, et à ton avantage uniquement. Parce que forcément l'amour est un rapport de force constant avec toi ! Tellement assoiffée que tu te fiches éperdument de ce que j'ai à faire avec les autres, avec le monde. Franchement, un comportement de petite fille, pourrie et gâtée, immature, inconséquente. Je ne suis pas un jouet ! Ta pipe, c'était encore un de tes innombrables jeux. Le sexe impulsif : ta cour de récrée. Un jour, j'en aurais marre vois tu. Un jour cela te perdra. Pas de jeux de pouvoir et de domination. Quelque chose de simple, qui peut être sauvage, cru, certes, mais qui est est limpide. Toi, tu t'empêtres dans tes grumeaux...Toujours.

– Marie : (furieuse.) Arrête, je suis comme ça. Je ne changerai pas. Je préfère être comme ça plutôt que la petite ménagère avec sa pensée conventionnelle, son sens du réel, sa rationalité de la vie qu'on appelle maturité, sa confiance en sa vie de femme prévisible, sa sexualité "Dallas"... Je préfère être dans mes grumeaux, mes trucs de gamine, mon esprit tordu et contradictoire, mon inconséquence, mes doutes, mes interrogations, ma force et mes faiblesses etc. Tout ce qui te dérange en fait! Je suis l'exact contraire de ta mère... Je ne suis pas femme à vivre, je suis la femme qui engouffre et qui te dérange. Tu es prisonnier, oui... Mais de cette emprise maternelle, tu es incapable de te projeter plus loin, dans des territoires plus obscurs. Dans mon territoire vois tu.

– L'amant : Pourtant...

– Marie: Quoi encore ? (Agacée.)

– L'amant : Pourtant vous avez toutes les deux le même regard..."

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