L'hiver de l'amour : dialogue IX - l'oncle

blanche-dubois

Le surlendemain, l'oncle de Marie lui rend visite. Sa famille de plus en plus intrusive. La confrontation se passe mal.

Une sonnette retentit au petit matin. Marie est encore allongée dans son lit.

- Marie : Tiens. Qui sonne à cette heure? (elle regarde le reveil matin.) 7h06. Je suis sûre que les ennuis commencent. Ou alors une nouvelle lettre? Oh encore quelqu'un qui s'est trompé. Je reste dans ce lit. Je ne le quitterai plus désormais. Juste le temps de faire quelques réserves avant de partir. Où ? Je ne sais pas encore.

 

La sonnette retentit à nouveau.

- Marie : Il insiste. Ce n'est pas lui. C'est sur. Il n'aurait plus le courage. Peut être les flics qui viennent m'embarquer ? Il paraît que cela se passe comme ça : ils viennent vous chercher dans votre lit. Alors, l'aurais je tué sans m'en souvenir? Si je l'avais tué, je l'aurais plongé dans une cuve d'acide comme ce pauvre Patrice Lumumba. Plus de traces. Décomposé cellule par cellule.

La sonnette retentit à nouveau.

- Marie : Il faut que je me lève. (Elle marche mollement et passe devant le grand miroir) J'ai l'air d'un cake ratatiné. Vraiment pas belle. Cette hideuse chemise de nuit offerte par maman. Ses cadeaux pratiques comme elle dit. Il ne me reste plus rien de propre à part ça. "ÇA" couperait la chique à tout homme. Je dis bien tout homme. Le vêtement est ma seconde peau. Je me sens vieille et diminuée.

Elle s'approche de la porte

– Marie : “Oui?

– L'oncle : C'est moi Yves.

Elle ouvre.

– L'oncle : Bonjour Marie. (Il l'embrasse et l'observe.)

– Marie : Bonjour.

– L'oncle : Et bien, ce n'est pas la grande forme.

(elle reste silencieuse)

– L'oncle : Je peux rentrer ?

Elle lui laisse le passage. Il rentre et referme la porte derrière lui)

– Marie : Pourquoi tu viens là et puis à une heure pareille ? Enfin, pourquoi tu viens?

– L'oncle : Marie. Ta mère m'a appelé. Elle est inquiète pour toi. Elle m'a dit que tu ne donnes plus signe de vie depuis des mois. Pourquoi ? Qu'est ce qu'il t'arrive? (Il observe son appartement.) Mais c'est un vrai foutoir ici ! Bon sang mais qu'est ce qui se passe?

(Elle s'assoit sur le canapé en détournant les yeux. Il soupire. Il reste debout.) Tu sais, je me sens redevable de ta mère. Une vieille histoire. Enfin, je ne t'expliquerai pas pourquoi. Alors quand elle m'a dit d'aller voir ce qui se passe et de t'aider si besoin. Bon, je lui ai dit d'accord. Je comprends.

Marie intérieurement (voix off): il vient en espion. D'accord. Et puis ?

(Il regarde la vitrine.)

– L'oncle : Qu'est ce que c'est que cette tête de mort!

Marie intérieurement (voix off): C'est une réduction de nous même telle qu'elle nous attend.

– Marie : C'est un fac-similé.

– L'oncle : Mais c'est tout de même morbide!

Marie intérieurement (voix off):  Exact, la beauté physique de la mort.

– L'oncle : Et puis c'est quoi toutes ces statuettes, ces colifichets exotiques. On dirait des objets de sorcellerie.

– Marie : Une statuette de la maternité Dogon, un fétiche aux mille vœux, une statuette également Dogon, divers objets indonésiens. Ils n'ont plus aucune valeur rituelle. Pas d'inquiétude, ils ne te jetteront pas de sorts. (Avec un ton narquois.)

– L'oncle : Pffff! Tu vas jusqu'à dénicher des poissons empaillés, des insectes, des branches, des graines bizarres. Et bien.

– Marie : Cela pourrait s'appeler un cabinet de curiosité. (Toujours sur le même ton.)

– L'oncle : Tu as toujours été spéciale à nos yeux. Une enfant qui collectionnait des araignées mortes, qui élevait des serpents, qui s'amusait à lancer des chatons sauvages aux visages des autres enfants. Les enfants te détestaient. Je me souviens. Toujours à te cacher. Toujours dans tes livres.

Marie intérieurement (voix off) : Et toi, à cacher tes revues porno pendant tes perms chez maman.

– L'oncle : Pas une seule photo ici. Ton côté snob. Tu as toujours été l'élément le plus brillant de notre famille. Mais si c'est pour se retrouver dans une telle situation. Quel gâchis !

– Marie : Ecoute tu peux partir si c'est pour m'humilier davantage. Peu m'importe tes commentaires. Si je devais parler de toi.(En souriant) Toi et ta petite vie, tes petites vacances, ta nouvelle voiture, ton petit crédit conso, tes matchs de foot à la télé, ta fille qui possède son beau petit pavillon à 25 ans, ton charmant petit gendre qui rentre mignon et affectueux et puis - ton chien. Et ton travail, et ton train train, et puis ceci, et puis cela, et patati et patata. Si tu trouves que chez moi c'est dégueulasse et bien au moins moi je montre tout, je n'ai rien à cacher, ni mes travers, ni mes lubies. Tu vois, je te montre mon cul ! (elle s'exécute. elle se rassoit.)

– L'oncle : Mais çà va pas dans ta tête ! Eh oh, devant qui tu es là ?

– Marie intérieurement (voix off): : Devant un homme sans qualités  avec, également, tes innombrables maîtresses. À force tu deviens risible. Tu t'es marié comme d'autres vont pisser pour se soulager d'avoir une vie normale, d'être comme les autres. L'amour, le vrai, tu peux pas savoir comment ça lui brûle, ça lui décompose l'âme.

Marie s'en va dans sa chambre et ferme brutalement la chambre.

– L'oncle : Eh reviens là. Tu n'as pas à me parler et agir ainsi, tu entends? Excuse toi ! Ouvre ! T'es cinglée ma pauvre fille. T'es folle. Si ta mère savait! Ouvre! Ouvre! (Il cogne sur la porte, furieux.) Bon, je dois filer au boulot. (essoufflé.) Je ne vais pas perdre plus de temps avec toi mais on aura l'occasion d'en rediscuter SERIEUSEMENT. En attendant, consulte urgemment  un psy. Aurevoir Marie. Je m'en vais. Tu pourras sortir de ta tanière avant qu' on t'en déloge.

(Marie entend ses pas qui s'éloignent. Il est dans le couloir. Il ouvre la porte de l'entrée. Il la ferme brutalement. La sirène des pompiers retentit au loin.)

- Marie au chœur : Tout le monde est globalement heureux dans cette famille. Il n'y a que moi pour déconner. Et puis je ne crois en rien. Je ne crois en rien et l'idée de me conformer à la société,  d'adopter une position, d'avoir un statut, de faire partie d'une famille me dégoute. Ils ont TOUS ce schéma de pensée réduit et réducteur. Même LUI.

Signaler ce texte