L'hiver de l'amour : dialogue VI

blanche-dubois

Acte II : Marie va à la rencontre avec l’extérieur. Des gens voudront l'aider à sortir de son chagrin : Vont ils y arriver ? Pourra t-elle passer à autre chose ?

La sonnerie de la porte d'entrée de l'appartement retentit.

- Le chœur : Qui sonne à la porte?

Marie se lève difficilement. Elle prend une robe noire qui trainait sur le sol. Elle se dirige vers la porte, l'ouvre, Une enveloppe blanche sur le seuil. Elle déchire délicatement et lit le contenu. Elle regarde autour ahurie.

Elle referme la porte. Jette l'enveloppe dans un coin, s'appuie sur la porte en soupirant comme perdue. Elle se rhabille pour sortir. Un rideau se tend au milieu de la scène pour cacher le changement de décor arrière. De l'interieur, Marie passe à l'exterieur. 

- Marie : « Ce soir, je pars à la recherche de mes semblables. Enfin, j'espère les trouver, redevenir humaine, retrouver la chaleur des amis que j'ai perdu. Comment ? Petit à petit. À force de ne plus y croire je crois. Parce que je m'étais trop isolée du monde au moment où je l'avais rencontré. Seule la relation que nous avions établie suffisait. Banal, pourquoi avoir besoin des autres? L'amour est autosuffisant. Deux suffisent.

 Murmure hors champs : Vous vous etes trompée.

 - Marie : C'est ce qui était écrit sur cette lettre, mots tapés sur traitement de texte. Alors, je pars à la recherche de la vérité, la véracité, le véridique, le vrai de vrai dans un monde faux, archi-faux, factice, de simulacres, calculateur et trompeur. J'ai donc été très naïve. Je me suis trompée, un verdict implacable. Merde. Je me suis trompée. Mais qui a pu écrire cela? Un donneur de leçon. Et cela pourrait être lui. Mais je ne le pense pas.

 Murmure hors champs : Vous vous etes trompée.

 - Marie : C'est peut être vrai car on ne peut etre totalement dans la maitrise de la vie. (Elle sourit.) Mais je suis en même temps en colère. Noire comme ces nuits sans étoiles et glaciale comme le gel qui ne rompt pas. Je n'ai plus d'objectifs. Je ne sais plus où aller. C'est triste oui mais ce n'est pas désagréable. Ce serait presque fantomatique mais, voilà, je suis de chair. Il est presque minuit. Et je ne me transformerai plus, Hélas.

 (Quelques hommes marchent sur scène et vont à sa rencontre.)

 - Marie : je suis trop guindée tout de même, hautaine et distante. Ils s'interrogent. En plein hiver, je suis un bloc de glace dans un mois de gel et de froideur. Je suis animée par la rancœur. Je suis esprit vengeur.

(Il partent.)

 - Marie : Seul l'alcool me fera perdre mes inhibitions.

 Le rideau se retire est fait place à un décor de café avec quelques musiciens (qui pourrait faire penser au décor minimaliste de café Müller de la chorégraphe Pina Baush.)Marie va s'asseoir parmi les autres.

 - Marie : Je préférais un opéra bizarre et rock avec du sang, une version musicale et encore plus trash de richard III. Oui Richard III. Mais richard III n'est joué nul part ce soir. Il n'y a que la violence pour me sustenter et ma fascination pour le pouvoir, pour les hommes dévorés par leurs ambitions.

 Dans le café, les regards se détournent vers elle, observateurs mais pas trop longtemps.

 - Murmures du chœur : Elle a mis une robe noire en laine mérinos, un blazer gris en tweed et des bottes brunes cavaliers sous mon éternel manteau militaire, bleu militaire.

 - Marie : oui, un surplus que j'ai acheté et fait refaire a mes mesures. C'est ce qui rebutait tout à l'heure. Je pars comme à la guerre. Ma défense est l'attaque. J'adore ce manteau, lourd et sans aucune séduction féminine. Ce manteau qui dit "ta gueule" à toute tentative de séduction. (elle se lève et regarde l'assistance.) Donc, je vous dis " vos gueules", vous, les gentils gens attablés, hommes et femmes, réunis, riant, buvant, heureux.

 Elle enlève le manteau et la veste méticuleusement comme une stripteaseuse. Tous la regardent.

 - Marie : Au bout de ces gestes simples, il ne reste qu'une part infime de moi-même, une fragilité encore préservée, une tête de gamine dans un corps de femme. Une fragilité qui dit encore "embrassez moi".

 Ils détournent tous leur regard. Elle se rassoit, écoute distraitement le groupe, observe les gens furtivement. Elle prend son sac et en sors un calepin, prends des notes. Elle boit. Elle s'ennuie. Continue de noter.

 - Marie : J'ai envie de pisser.

 Elle sort coté cour. Un autre homme sort côté jardin. Elle revient. Il revient. Ils se mettent au milieu face à la scène.

 – l'homme : Bonsoir.

– Marie : Bonsoir.

– l'homme : Je vous observe depuis que vous êtes rentrée ici.

– Marie : J'ai remarqué.

– l'homme : Vous attendez quelqu'un ?

– Marie : oui.

– l'homme : Ah ok. J'aime beaucoup votre manteau militaire. Ou l'avez vous acheté ?

– Marie : Dans un surplus. (Agacée.)

l'homme : Je vous ennuie?

Un autre homme se lève et sort côté jardin.

– Marie : Oui. Euh non. Peut être. (L'homme sourit.)

– l'homme : Vous attendez vraiment quelqu'un ?

– Marie : Oui.

l'homme : On ne dirait pas. Enfin cela ne me regarde pas. Excusez moi, je suis extrêmement curieux. (Elle le regarde sans aucune expression. Il détourne légèrement le regard comme intimidé.)
Je m'appelle Dimitri, mon oncle est propriétaire du bar. Je connais les habitués. Pratiquement les mêmes le vendredi et samedi soir. Ils viennent avec des novices parfois. On va dire cela comme ça. Ça va, ça vient. Ils n'ont jamais les mêmes horaires les gens ici. Il y a ceux qui viennent pour l'apéro. Ensuite, il y a ceux qui rentrent du resto ou du spectacle. Et puis ensuite il y a ceux qui terminent leur soirée ici. Divers atterrissages. Je vous ennuie toujours ?

(L'autre homme revient.)

– L'autre homme (intrusif) : Alors Dimitri on discute aux toilettes avec les demoiselles ?

– Dimitri : Allez, va boire ta bière tranquillement comme d'habitude. Car l'habitude c'est ton truc. Moi pas vraiment. L'inhabituel ne sied pas à tout le monde. Je pense que tu es bien inconvenant face à Madame. Et je pense tout simplement que tu es un gros balourd.

– L'autre homme : Madame, vous le rendez nerveux mais c'est un type bien.

– Dimitri : (Il la regarde à nouveau mais intensément.) Vous, c'est la première fois que je vous vois.

– Marie : C'est votre territoire? Il faut s'habituer à tout. Bon alors qu'allez vous faire maintenant? Me chasser? (elle sourit.)

– Dimitri : Vous avez l'air immensément triste.

– Marie : Vous scruter aussi les âmes humaines ?

– Dimitri : Vous n'attendez personne.

– Marie : J'ai oublié mon portable. Mes amis...

– Dimitri : oui ?

– Marie : Peu importe.

– Dimitri : Allez, je vous offre un verre en attendant. D'accord ?

– Marie : Bon d'accord (En esquissant un très faible sourire.)Euh pas avec vos amis. Je n'ai pas envie. Vraiment.

– L'autre homme (qui suit la conversation) : Je vous dérange peut être ?

– Dimitri : Oui tu nous déranges - Suivez moi, Marie. Je vous emmène. (Les trois vont tous se rasseoir à table, Dimitri entraine Marie dans un petit recoin de la salle. Lumière sur eux.)

– Marie : Je voudrais un porto.

– Dimitri (en désignant un serveur) : Ok, un porto - Et un scotch pour moi. Merci.

(Marie détourne la tête furtivement. Puis elle le regarde à nouveau pendant que le vibreur de son portable émet un message. Elle le détaille pendant qu'il consulte son message. Un homme aux derbys élégants, un pantalon beige style battle en velours plat, un pull en laine mérinos gris perle, une chemise bleu ciel. Un homme de son âge. Un visage intemporel aussi.

– Dimitri : Vous n'êtes pas très bavarde. Je vais donc parler pour nous deux. J'ai dit que vous aviez l'air triste. Ne regardez pas la pendule. Je sais que vos amis ne viendront jamais. Je ne vous connais pas mais lorsque je vous ai vu rentrer ici j'ai eu l'impression que je vous connaissais déjà. Pas une impression de déjà vu. Mais une femme que je pourrais comprendre naturellement et vous êtes une femme si différente. (Elle sourit en sirotant mon porto.) Cela vous fait sourire ? Non, je ne suis pas un dragueur, le beau parleur du samedi soir. Je me suis mal exprimé. Je voulais dire que votre regard m'a captivé. (Silence.) Si vous pensez que j'ai envie de vous entrainer dans un lit ce soir et bien non je n'ai aucunement envisagé ce cas de figure. (Silence.) J'ai sans doute envie de vous connaître. Regardez moi. Je ne suis pas un plaisantin. (Elle le regarde quelques secondes et détourne le regard.) Vous ne m'avez pas dit votre prénom.

– Marie : Marie.

– Dimitri : Marie, regardez moi. Si j'étais un vieil ami, je vous aurais pris le menton délicatement. Vous avez quelque chose qu'on ne voit que dans l'enfance. Faites vous partie encore de ce monde ?

– Marie (elle se lève) : Je dois partir. Mes amis ne viendront pas je crois, effectivement. Merci Dimitri pour le porto.

– Dimitri (il se lève) : Marie, permettez moi de vous laisser mon portable.

– Marie : Je ne vous laisserai rien en retour. Je n'ai rien.

– Dimitri : Peu importe, vous m'appellerez lorsque vous en aurez envie - dans un semaine, un mois, un an, 10 ans. Peu importe, je serai heureux de vous avoir au téléphone.

(Elle soupire. Il sort de la poche de son pantalon une carte et la lui tend. Elle la met machinalement dans son sac. Elle le regarde une dernière fois de manière perçante.)

– Marie : Aurevoir Dimitri. (Elle lui tend sa main gauche. Surpris, il la serre délicatement comme une caresse.)

– Dimitri : Aurevoir, prenez soin de vous. (Silence) A quoi pensez vous le plus?

– Marie : A finir ma vie le plus simplement possible, sans souffrances ni tourments.

– Dimitri : Bien, je penserai à cela pour vous. Un soir d'été, j'en ferais même le vœux. Avec vous peut être? (Elle est très gênée, fouille dans son sac à main pour faire semblant d'être distraite.) Je vous raccompagne? Comment allez vous rentrer?

(Elle le regarde encore de manière détaillée.)

– Marie : Non merci, j'habite dans le quartier depuis peu. Bonne fin de soirée. Peut être à bientôt.

(elle enfile prestement le blazer. Dimitri l'aide à mettre son manteau. Elle lui sourit. L'embrasse furtivement sur la joue et part à toute allure. Le rideau se referme progressivement. Elle jette un dernier œil sur lui comme étonnée. Il la regarde déjà et lui sourit dans l'instant. La scène arrière du bar disparaît totalement, le rideau se referme complètement. Seul reste Marie.)

- Marie : Je suis sur la place Clichy, plus de métro. 1h30. En marchant je vais croiser un taxi. Je le prendrai. Je rentre. J'habite à dix mille lieux d'ici. Des heures de marche à la dérive m'ont fait chavirer jusqu'à Dimitri. »

A suivre...

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