L'hiver de l'amour : dialogue X - la rupture
blanche-dubois
Dispositif
Flash Back : le rideau s'ouvre a nouveau. En arrière plan. A nouveau un bar avec des gens attablés.
- Marie : “Alors que voulais tu me dire de si important ? (Il pose machinalement son briquet sur la table du café, sort son vieux portefeuille, en tire une photo. La photo d'une femme. Il ne dit rien. Il la regarde. Sur une partie du rideau blanc qui se tend à nouveau, projection d'une image en gros plan : une photo d'une femme en couleur devant un manège, elle est d'origine africaine. Marie la regarde attentivement.) Qui est-ce ?
– L'amant : Je vais te raconter une histoire. Elle nous concerne.
(Marie se sent envahie par un vague sentiment d'inquiétude tout en étant caressée des yeux.)
J'ai été contacté par une vieille amie il y a deux ans et demie. Une ex-petite amie, précisément. Elle s'occupe de la réinsertion de femmes seules et vivant dans la précarité. Je lui devais quelque chose, elle s'en est souvenue. Donc par un beau matin, elle m'appelle et me dit "toi qui connaît bien le droit, tu devrais faire quelque chose pour moi, tu me le dois" (Il rit.) Je lui ai dit d'accord pourvu que cela ne concerne pas notre ancienne relation. Donc, je la rencontre. Elle me parle d'une jeune femme en voie d'expulsion. Elle a 25 ans. Elle est haïtienne. Elle a tout perdu suite au terrible tremblement de terre. Sa famille anéantie. Elle s'est prostituée pour pouvoir se payer de faux papier et venir en France. Son monde est bien évidemment un monde de violence. La vraie. Pas celle que tu imagines, ni celle que tu lis dans tes romans, ni celle que tu regardes devant l'écran de cinéma.
(Il tire une cigarette mais la remet aussitôt dans son étui.) Bref, je l'ai rencontré et, en tant qu'avocat, je l'ai aidé sans aucune demande d'honoraires avec tout l'acharnement dont je suis capable. Nous avons gagné une première bataille, puis d'autres. Par la suite, mon ex. a réussi à lui trouver un vrai travail déclaré afin qu'elle obtienne un titre de séjour. Puis un foyer où elle se sente en sécurité.
Un soir, en rentrant de mes audiences, je l'ai trouvé assise en haut des marches de l'escalier qui mène à mon étage. Elle m'attendait. Elle me remercia. Je lui dis que j'avais fait tout mon possible et qu'une nouvelle vie plus stable s'offrait à elle. Je lui dis qu'elle pouvait partir. Le lendemain, à nouveau là, elle m'attendait à presque 23h30. Je lui dis de partir. Elle partit sans rechigner. Le surlendemain, à nouveau là, je lui dis de partir non sans agacement. Cela dura une semaine. Au bout du 7eme jour, je l'invitais à boire un verre chez moi. Le lendemain, elle dina. Et le premier jour de la semaine suivante, elle se retrouva dans mon lit. Et ainsi de suite.
(Il regarde Marie intensément.)
Elle allait et venait entre mon appartement et son foyer. Elle m'apporta le réconfort. Celui qu'on n'attend plus vraiment après un divorce douloureux. Et puis, un beau jour, tu m'es apparue.
– Marie : Tout est clair maintenant. C'est ça, cette odeur, cet ordre, cette présence féminine. Ce n'était pas ta mère.
– L'amant : Non. (Il la regarde serrer les poings, essaye de les lui prendre : elle le repousse.) Alors, tu m'es apparue comme ça presque sortie de mer. Éclatante, brillante, surnaturelle et comme dans les airs en même temps. Je t'ai aimé immédiatement. Ce regard ! Quelque chose qui tue et vous fait renaître à la fois. J'aurais tellement aimé te rencontrer comme première femme. Je t'aurai gardé toute ma vie. (Long silence.)
Cette femme a eu un enfant de moi. J'ai énormement de tendresse pour elle. Le cri de bébé que tu as entendu la dernière fois au téléphone, c'est ma fille Clara. Je suis son père. Je t'ai menti. Je ne faisais pas de baby-sitting de dernière minute pour la fille de ma sœur. Clara est née il y a deux mois. C'est pour cette raison que tu me voyais moins jusqu'à plus du tout. Ce n'était pas parce que ma mère était très malade. Je t'ai encore menti. Néanmoins je suis aussi obsédé par toi.
(Marie reste interdite. Elle regarde à nouveau la photo de cette femme.) Je ne savais pas qu'elle était enceinte lorsque je t'ai rencontrée. Elle me l'a dit à peine à 4 mois de grossesse. Confuse, elle me l'a caché. Elle m'a dit alors que son fils d'un an est mort sous les décombres de la case de sa grand-mère. Elle ne l'avait pas dit ni à mon ex-petite amie, ni à moi-même lorsque nous avions engagé la procédure. Elle pleurait. Elle avait envie de cela. Écoute Marie. C'est un cruel dilemme : cette femme, notre fille, toi.
(Elle le regarde de son regard le plus destructeur, quelque chose comme la rage la submerge.) Je n'ai pas pu m'empêcher de te séduire, de t'aimer follement malgré tout ce décalage entre nous. Ta complexité qui m'exaspère parfois, qui me fascine et qui me touche. Cette écorchure en même temps. Qui d'autre pourrait s'en tirer mieux que toi ? Personne. J'aurais eu l'impression parfois d'être déjà mort mais pas encore assez car j'aime mes femmes. Je.
(Le serveur apporte le thé commandé par Marie. Elle saisit la tasse et balance l'eau brulante sur le visage de son amant, qui se crispe puis elle jette la tasse qui se brise.)
– Marie : Hypocrite ! Menteur ! Profiteur ! La sorcellerie vaudou a fait son effet ! En effet! Dans toute cette affaire c'est moi la dupée. ADIEU (dans un cri retentissant, tout le monde se bouche les oreilles sauf l'amant qui a cache son visage de ses mains.)
Elle se lève brusquement, le regarde intensément et s'enfuit coté jardin, les regards tous tournés vers elle sauf lui encore. Jusqu'a ce qu'elle disparaisse. La vie reprend dans le bar. Sauf l'amant se lève et s'en va côté cour, dévasté. Changement de décor.
A suivre : Que va faire Marie désormais ?