2034 voire avant
petisaintleu
Je rêve que le Grand Soir arrive, d'une nuit des Longs Couteaux, d'un printemps de Prague calmé par des chars écrasant les chairs, les mêlant au rouge des cerises. Que vienne l'heure des dictatures que les dystopies les plus aventureuses n'auraient pu imaginer.
Les lignes s'éclaireront enfin. Après des lustres de décomposition, de faux-semblants et de marigots politiques, arrivera le temps du manichéisme révélé au grand jour. Que l'on entende le bruit des bottes, qu'apparaissent les dénonciations et les fichages électroniques. Que l'on se bouche les oreilles pour ne pas entendre les cris qui s'échappent des soupiraux. Que les wagons plombés se remplissent d'innocents qui ne seront bientôt plus que l'ombre d'eux-mêmes. Que les boulevards fleurissent de panneaux à la gloire de nos dirigeants. Que l'on gave les parcs, les places et les salons de microphones. Que les stades et les théâtres résonnent des chants et des danses exaltant notre patrie éternelle ; à moins qu'ils ne servent d'antichambres aux déportations. Que les enfants dénoncent leurs parents. Que l'on nettoie et lobotomise les cerveaux. Que l'on débarrasse notre langue du superflu. Que nos jeunes éclaireurs se déchaînent à coups de trique sous les regards bienveillants, protecteurs et amusés de leurs encadrants. Que les architectes bâtissent la nouvelle Babylone. Que l'on traîne et qu'on humilie les intellectuels devant les tribunaux. Que l'on piétine Dieu et ses symboles. Que des autodafés illuminent les ténèbres des livres superflus. Que l'injustice et l'arbitraire nous éclairent. Que les charniers remplacent les cimetières. Que des hommes en pardessus de cuir frappent à nos portes. Que les épiceries se vident et que la disette gagne le faubourgs. Que l'on promotionne les plus zélés. Que l'on ferme les universités pour envoyer les étudiants aux champs et dans les usines. Que l'on réduise l'art à sa plus simple expression. Que l'on réécrive l'Histoire. Que l'on érige la propagande en nouvelle religion. Que l'on dissolve les parlements. Que l'on érige des potences à l'entrée des villes. Que les ouvrages scolaires forment nos écoliers à devenir obéissants. Que l'on fasse taire les mères qui pleurent leurs enfants disparus. Que l'on brûle les maisons des renégats ; à moins que l'on ne les offre aux plus méritants. Que les slogans et les sourires de façade envahissent les défilés. Que le parti unique nous guide vers le chemin à suivre pour les cent prochains siècles. Que les oriflammes envahissent nos rues. Que la peur règne à chaque instant et jusqu'au plus profond de nos veines. Que les médias nous abreuvent de leurs sempiternelles bonnes nouvelles. Que les hôpitaux psychiatriques traitent chimiquement les réfractaires. Que la censure fasse main basse sur notre libre-arbitre et que les nouvelles soient réduites à leurs plus simples expressions. Que les foules baissent la tête sous le joug du pouvoir. Qu'au petit matin les fleuves charrient des cadavres. Que le couvre-feu dicte nos habitudes. Que l'on rythme nos jours de repos par des grandes messes sous la houlette des commissaires politiques. Que l'on trouve des boucs émissaires. Que les rumeurs alimentent la terreur. Que l'on relâche au compte-goutte des prisonniers qui seront les meilleurs apôtres pour calmer toute velléité. Que notre progéniture pleure si elle ne finit pas sa soupe, sous la menace de la conduire au bureau de la police politique. Que le moindre souffle soit suspect. Que l'on se prosterne devant la statue de nos héros. Que notre Chef suprême affiche un éternel optimisme. Que l'on se couche heureux, sous le portrait bienveillant et protecteur du Très grand, d'avoir survécu un jour de plus. Que l'on accepte sans rechigner les mesures prises à l'encontre des minorités. Que l'on nous cache les catastrophes quelles qu'en soient l'ampleur et le nombre de morts. Que le collectif prenne le pas sur l'individu. Que les uniformes soient la marque de fabrique d'une société égalitaire. Qu'un simple regard trop appuyé vous fasse disparaître à jamais. Qu'un rire trop cristallin entraîne la panique dans toute la maisonnée. Qu'une larme trop appuyée vous conduise en enfer. Que votre chef vous tienne sous sa coupe, insinuant qu'il serait fâcheux de s'opposer à son autorité. Que vous acceptiez, les poings fermés, qu'il invite votre fille à le rejoindre dans son bureau. Que notre volonté, après avoir été piétinée, soit annihilée.
Je n'aurai alors plus d'excuse pour ne pas prendre la direction de la clandestinité et je n'aurais plus peur de la mort.
C'est clair ! Ça en jette !
· Il y a plus d'un an ·systeme-r
A force de vouloir dissimuler l'histoire et la vérité, à force de vouloir croire ou faire croire que l'homme ne peut être que bon et fait que de bonnes intentions, tout cela pourrait bien se reproduire à nouveau. Un grand bravo pour ce texte qui m'a foutu les poils !
· Il y a plus d'un an ·daniel-m