L’Homme « caouette » de sa majesté la Croisette

Sandie Khougassian

  Des palmiers géants faisaient la circulation sur le boulevard à coups de sifflet. Les moteurs chauds bouillants des grosses cylindrées bourdonnaient sur la Chevauchée des Walkyries. Sous les pins, les grillons se curaient les dents. Le long de la promenade, les novas du septième art avaient été plantées dans le bitume et faisaient de l'œil aux passants.  

Georges Braque avait posé ses valises pour trois mois et moi pour quelques jours.

  Les vagues roulaient des « R » alors qu'elles ne sortaient pas de la cuissarde du Vatican. Au loin, les cigarettes faisait des appels de phare aux montures à branches. A quelques mètres du rivage, un paquebot avait fait un stop pour larguer la fosse septique de ses invités aux gros débits et aux grosses pensions de retraite. Les parasols étaient prêts pour la compète estivale des gammes polychromes. Les plagistes avaient sorti des placards leurs plus beaux tatouages et de la salle d'entraînement leurs plus gros biceps nourris tous les matins aux cornflakes stéroïdiens. Les starlettes sans nom jouaient aux divas entre deux mains aux fesses et trois shoots de rosé. Les mômes se jetaient le sable entre les yeux pendant que maman planquait sa cellulite sous le matelas et que papa reluquait le défilé des joues encore fermes.  

  J'étais en terrain miné et trouvais un abri sous un parasol. Je crémais ma peau de crème trompe-couillonne anti-lucite. Les objets flottants avaient engagé leur danse luciférienne sous ma paupière droite tandis que l'homme caouette dit Bigood avançait à petits pas.

  Les grains de sable le connaissaient mieux que les femmes qui avaient effleuré sa peau et pour cause, il errait talons ouverts. Havaianas avait stringué le cul à cinq doigts des sept continents sauf lui. Il n'avait pas le temps de ceinturer ses orteils et plus vraiment envie non plus. La Méditerranée, cette chienne, lui avait fait tant de chantage avec sa salinité de fille pure que même ses pieds ne prenaient plus leur panard. Alors que restait-il du plaisir sado-maso d'une strangulation latex d'une fente mal placée à l'embranchement du gros orteil et de son voisin de palier ? Rien de rien ou não há de quê comme soufflerait le Cristo Redentor de Corcovado après avoir prononcé le salut universel des pédibus impurs. Pour les quartiers de corne, la lame du podologue aurait bien le temps de s'y atteler à l'Happy Hour du purgatoire des pieds couards.

  Giberto Gil aurait pu être son géniteur mais en pointant l'œil dans le verre biconvexe pas vraiment, il était seulement le croisement d'une bossa nova hermétique et d'une carte SIM' TIM Brazil jetée à la mer. Sa mère patrie ne l'avait pas renié, c'est lui qui l'avait quittée. Alors que d'autres s'étaient déjà expatriés chez lui pour vivre le green dream sur la blue boule, lui était venu ici pour pousser un cocorico selecao entre des coups de klaxons et des déambulateurs de centenaires bien nantis. Certains fréquentaient bien de drôles de rêves mais qui n'en fréquentait pas ?

  Au-dessus de sa Walker à lisière, les mouettes ne rêvaient de rien ou si d'une chose, elles le guettaient dents aiguisées attendant le trébuchement fatal ou presque, il n'avait aucun intérêt ou d'intérêt pourvu que les miettes de son gros panier en osier leur permettraient de bouffer et de chier dans la foulée. Les mouettes rieuses n'avaient plus envie de se marrer. Le coffre des laridés avait été pillé par nous autres les anthropophages de planctons, de sushis et d'algues du label éco-pollué.

  Le soleil avait si souvent pénétré les trous de sa carapace que l'homme caouette avait fait une croix sur l'indice 100 de la cold-cream. Et de toute façon, il n'y avait plus rien à faire. Les rayons avaient déjà fait leur affaire, les infrarouges de la naine jaune avaient ensemencé depuis bien trop longtemps les sillons du terreau aux deux millions d'orifices.

  La caouette était cramé, le caramel grave ébréché et la poêle à frire vraiment enroué. Le spectre de la mort avait posé sa faucille contre un mur et attendait au coin de la rue du Commandant André. Ghostface tapait le carton avec Chaplin et Mastroianni. Les ballons à Pastaga étaient ivres alors que les olives s'asphyxiaient dans un jus visqueux. Ce n'était pas encore l'heure pour l'homme caouette et il fallait passer le temps avant l'heure fatidique.

  Après des piles de calendriers au service de sa starlette la Croisette et des miles avec beaucoup de zéros sous Achille, Bigood était devenu comme ceux qu'il avait croisé la première fois en arrivant là. Il n'était plus qu'un churro courbé, asséché et sans édulcorant.

  Porté par des moignons de genoux, il avançait et reculait vers ces lézards enduits de paillettes monoïques sous ombrelle du squirrhe allogène-pathogène.

  La recette hebdomadaire n'avait pas de potes sauf un vicieux qui ne lui rendrait jamais le change. Les siamois à crinière avaient parié qu'il ne gagnerait jamais et ils n'avaient pas vraiment tord.

  Du lundi au samedi, Saint-Tropez titillait le téton gauche de sa poitrine avec sa bêcheuse de broderie tandis que la bouteille de Smirnoff battait ses côtes dorsales d'une impression bouchonnée. Il n'était pas sponsorisé mais les marques s'étaient invitées pour une ballade à califourchon ad vitam æternam. Son long short quadrillé aux couleurs nationales masquait des allumettes dont le millimètre de chair camouflait difficilement les cris d'un squelette de soixante dix neuf ans.

  Entre les volatiles carnivores, les envahisseurs et l'arthrose non rose, l'homme caouette avait toujours le smile de la merchandising et les dents bouffées par la nicotine.

  Malamate ! Malape ! Malapape ! Malacace ! Son cri de guerre sans origine et sans pays résonnait de moins en moins, le vent avait plus de souffle mais ses yeux brillants soupiraient encore l'haleine de la chipo provençale et il faut dire aussi que sa toiture n'avait rien à envier aux étoiles des marches rouges.

  Une main veinée, sombre et crevassée plongea sur moi. Deux caouettes tombèrent dans la mienne. Elles tremblaient. Pourtant, elles n'avaient rien à craindre de moi.

__ C'est combien ? Demandai-je.

__ Cinq, répondit-il.

__ Cinq centimes !? C'est pas cher ! Dis-je.

__ Non, non, cinq euros, rétorqua Bigood.

__ C'est pas donné !!!

__ T'es à Cannes là, pas à Berque plage, espèce de crevarde, balança un commerçant non commerçant aux jambes et à la langue mobiles.

__ Merci pour l'info ! Répondis-je.

__ Oh celui-là il ne faut pas y prêter attention, il est comme ça, le soleil a cuit sa cervelle. Et son sens du commerce, il marche dessus tous les jours, dit un plagiste en tombant nez à nez sur notre conversation.

__ Et il arrive quand même à vendre en parlant comme ça ? Demandai-je.

__ Assez pour rouler en Méhari et conduire une barque capable de filer cinq nœuds, mais pas assez pour la java hebdomadaire si vous voyez ce que je veux dire. La vie n'est pas si simple dans le Sud, répondit le plagiste.

__ Je vois.

__ Ici on fait de l'argent et il faudrait vraiment être un couillon pour ne pas savoir en faire, marmonna le vendeur de beignets.

__ C'est bon Maurice, va tremper tes fesses, t'as le caillou tout rouge, tu dis n'importe quoi, dit le plagiste. 

__ T'inquiètes pas pour moi, je tiens la route encore, je pourrais traverser le désert sans une goutte d'eau dans le gosier pour vendre mes beignets, dit Maurice au crâne pivoine.

__ Je sais, allez à plus tard, répondit le plagiste en s'éloignant.

__ A plus tard jeune con !

__ C'est pas cher, et j'ai fait un prix spécial pour toi, insista le vendeur de chouchous.

__ Oui ! Un vrai prix d'ami…

__ L'année dernière tu les vendais deux euros cinquante, balança un transat voisin.

__ Oui mais ça c'était l'année dernière. Le cours de la cacahouète a augmenté, beaucoup augmenté, souligna Bigood.

__ Je ne lis pas l'actu économique mais c'est bon, je vous les prends au cours du CAC40, dis-je avec un rictus suspendu aux oreilles.

__ Mange, avec elles, tu vivras longtemps, très longtemps. 

__ Je vous crois sur parole.

__ Je reviendrai demain te voir.

__ Ok ok mais je ne vais pas manger des cacahouètes tous les jours Monsieur Bigood.

__ Mange je te dis !!!

  Je suis allergique. Je ne vais pas vivre longtemps. L'arachide ne promettait pas la longévité à tout le monde mais le vieux m'intriguait, je déboursais sans rechigner cinq pièces pour le micro sachet d'arachides. Bigood ne faisait pas les soldes, je m'étais fait pigeonner de deux euros cinquante mais je le voulais bien et je n'allais pas jouer à ma marchande de tapis avec un senior bien charismatique. Bigood se posa le temps d'une clope et d'une photo et repartit chevalière au doigt à l'assaut des gloutons de chouchous en platine dans une ville non dégriffée.

  J'ouvris le sachet et y fis tomber les deux pauvres cacahouètes. Je le passais à mon voisin Berlinois bien plus habitué aux caprices de sa majesté la Croisette alors qu'un avion porte-pub se foutait de ma gueule avec des caissettes de tomates transgéniques à deux euros cinquante les huit kilos. José B. et sa célèbre moustagache n'avaient rien vu passer.

 

  • Merci Christophe ! Ca me fait super plaisir

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Jenni sparks paris map100

    Sandie Khougassian

  • ça cartonne, très original dans l'écriture, rythme halluciné, plume un poil déjanté un vrai trip pour moi. avec en plus la clarté des descriptifs pourtant noyés par les formes utilisées, excellent pour moi style à pousser encore plus loin, bravo donc CDC et 5 pas du tout en remerciement des tiens mais en encouragements

    · Il y a plus de 9 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

Signaler ce texte