L'homme Corbeau

Je croise cet homme chaque jour, à ce même carrefour.

 ..Il a cet air patibulaire de cocker de cimetière..

 Nonchalant, indifférent, les bras pendant, branlant le vent à chaque mouvement. Sa triste mine tire le plomb de sa carcasse au rythme d'un pendule.

A chaque tic il se détraque en un tac sans déclic.

Il donne l'impression d'être un grand parapluie où chaque baleine fait office de membre.

Il se déploie tous les matins, laissant parfois une armature ou deux se tordre ou se coincer.

Il n'est vêtu que de noir, tel un épouvantable corbeau, un colosse n'étant fait que d'ombre tellement son teint est sombre..

 Il est là, toujours à la même heure, face à cette route, il attend, ne bouge plus, patiente, végète..

Je l'observe, sans croiser son regard, de peur d'être mortifié sur l'instant. Mais la curiosité est parfois plus intense que la prudence. Ce soir là, je me suis approché..

" Monsieur ? "..

 J'aurais pu prévoir son silence.. Mais pas son geste.. Il me prit la main, comme au premier jour d'école, puis il tendit l'autre pour montrer l'horizon..

Face à nous une lande déserte, avec juste une boite au lettre, sans maison..

On aurait dit que le paysage s'était épinglé au fil de l'horizon et se laissait sécher dans le vent, avec pour seul écho le silence..

Ce spectacle me rendait mal à l'aise. Je ne savais expliquer pourquoi mais je me sentais touché par cet instant.. Puis l'homme-corbeau tourna la tête, sa capuche m'empêchait de voir son regard. Il me murmura alors quelques mots sur son histoire..

Jadis sa maison était juste là. Il y vivait avec femme et enfants, quand un jour, à l'aurore, il se réveilla seul, avec pour unique message un mot sur le miroir «  Nous t'écrirons »..

L'homme ne pu survivre aux taxes, aux dettes et dû se retirer sous les ponts ne pouvant assumer sa pension, ni répondre à ses questions.. Il fit simplement un accord avec la ville pour garder sa boite au lettre, seul vestige de sa vie désuète..

 Cela fait 40 ans qu'il attend..

Chaque jours il guette, l'espoir d'une silhouette, portant à sa boite à lettre, une réponse, une miette.. Un fragment de passé qui pourrait faire de lui un être coloré..

Mais pour l'heure personne ne vint..

 Pour l'heure il n'y a que lui et moi.

Le vacarme de la ville s'est tu. L'astre solaire fini sa course à l'horizon de cette toile inachevée.

Nous reviendrons demain

Et peut-être, qui sait..

..Au fond, nous sommes tous des hommes-corbeaux..