L'Homme fuyant
Corvus Corax
L'Homme qui s'enfuit cours souvent à reculons, son regard et sa peur entièrement projetés dans le "il était", et dans les machines obscures de son cerveau les spectres antiques se métamorphosent en ombres rampantes.
C'est ça le maléfice de l'Homme qui fuit : plus il lance ses angoisses en arrière et plus elles lui reviennent chargées de poisses et d'horreurs. Et dans sa fuite ne sait plus rien faire qu'attendre avec appréhensions les relents de la nuit.
Alors, tout à fait enchaîné à son dos, il chute souvent faute de savoir regarder en avant. Et comme ses peurs sont accaparées par les ombres qui gisent dans son sillage, il croit que c'est à cause d'elles qu'il chute.
Encore une fois, ce sont les yeux qui trahissent cet Homme. En poussant par centaines dans sa nuque et sur ses vertèbres, ils font qu'au fur et à mesure de sa fuite il voit s'accroître le champs de ses angoisses (toute pierre sur laquelle il trébuche devient aussitôt un nouveau tourment).
Que faire de celui-ci ? En brûlant ses yeux il ne serait plus qu'un insecte perdu et terrorisé par les rumeurs de la nuit ; en perçant les orbites vierges de son visage il se retrouverait avec la vision d'avant et d'après pour ainsi finir par fuir en rond ou par s'asseoir et pleurer.
L'Homme qui fuit n'a d'autres choix que de pactiser avec les ténèbres et retourner à elles.
Très beau texte, et malheureusement, la société fait - parfois - de l'Homme, un Homme fuyant le Tout et le Rien.
· Il y a plus de 10 ans ·Nina Jéhanno