L'homme invisible

Kanon Gemini

et s'ils étaient parmi nous?

     Nous connaissons tous l'histoire, du moins ses nombreuses interprétations cinématographiques. Un savant met au point une formule le rendant invisible, essaye de trouver un antidote, sombre dans la folie et le crime et ne redevient visible qu'à sa mort, lynché par la population.


     Mais, s'ils étaient des millions? S'ils étaient autour de nous sans que nous le sachions? Et qui sont ils? Vous l'avez compris, il s'agit d'une métaphore. Je parle de ces millions de personne qui n'existent qu'administrativement, mais qui sont parfaitement invisibles aux yeux du commun des mortels. Les initiés, eux, peuvent les voir tout autour d'eux, tel le petit garçon de 6 ème sens.


     A l'école déjà, on les voit errant au milieu de la cour de récréation, de groupe en groupe. Ils ne subissent pas de moqueries, ils n'existent pas. Ils développent une certaine forme de timidité, peu habitués au contact social. Plus tard, ils écoutent distraitement les écoliers raconter les anniversaires où ils ont été invités, auquel personne ne les a vus. Pour cause, qui invite un homme invisible? Le temps s'écoule et c'est l'âge des premiers flirts et ils se posent la question de savoir quel goût ont les lèvres et ce que ça fait d'avoir le regard d'un être aimé. Mais à force d'être invisibles aux yeux des autres, ils finissent par ne plus se voir eux même, ou alors avec dégoût et perdre toute confiance en eux.


     Généralement, ces personnes ne trouvent pas l'antidote à l'âge adulte. Professionnellement, elles essaient d'exister par la quantité de travail abattu. Ce sont ceux que l'on appelle les taiseux, les besogneux, ceux qui agissent plutôt qu'ils ne parlent. Là encore, parfaitement invisibles, ils feront une carrière moyenne car ceux qui parlent leur passeront toujours devant.


      En couple, ils gardent en tête les années collège/lycée où ils étaient invisibles et où ils se sentaient laids, détestables et finissent par tout supporter de peur que leur mariage ne soit qu'un coup de chance. Célibataires, ils resteront chez eux à croire au miracle des applications de rencontre, alors que leur profil peu sûr d'eux fait fuir. Les réseaux sociaux ne serviront qu'à faire caisse d'amplification à leur propre solitude. Ils verront à nouveau ceux qui parlent leur passer devant et on les qualifiera pudiquement de «ceux qui participent».


     En amitié, ils auront peu d'amis et seront souvent ceux qui aident, trop heureux d'apparaître au grand jour, mais jamais ceux à qui on demande des nouvelles. C'est d'ailleurs un trait de caractère inhérent aux invisibles: ils veulent aider pour exister.


     Pourquoi est ce que j'ai écrit ça? Parce que j'ai été et je suis encore un de ces invisibles, celui qui est dans le coin de la pièce remplie, qui ne parlera jamais plus fort que les autres. Mais je ne veux plus l'être, alors je vais continuer les travaux de ce savant fou et espérer trouver l'antidote. Pendant ce temps, ouvrez les yeux et tendez la main aux autres millions qui ont cessé d'espérer.

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