L'homme qui murmurait à l'oreille des planeurs...

astrov

Apprentissage du pilotage de planeurs. Joie et émotion !

                                                                                                   


C'était vers l'an 1966... Etudiant, j'avais obtenu une bourse pour apprendre le pilotage des planeurs, après avoir réussi le Brevet Elementaire des Sports Aériens.

   Tout début juillet, nous voilà donc, plusieurs élèves, en stage de formation sur un terrain de vol à voile en région parisienne. Deux à trois vols par jour avec un instructeur,  quelques cours théoriques, et une atmosphère si chaleureuse...

Vol sur planeur-école Bijave, commandes couplées, élève devant, instructeur derrière. But du jeu: tracté par un avion jusqu'à quelques centaines de mètres, on se décroche alors du câble et, libres, on cherche à monter dans les courants d'air chaud ("pompes", en jargon pilote). J'vous l'ai faite courte, mais c'est l'esprit basique du vol à voile! Et pas de radio à bord (à cette époque du moins).

Ah, oui, important:

Juste un mot sur LA BULLE!  Sacrée, divine! C'est une bête petite bulle d'air au milieu d'un tube plein de liquide, fixé horizontalement au tableau de bord. En trajectoire de vol correcte, la bulle reste, béate, bien au milieu du tube. Mais! Si on dérape (oui, on peut déraper en l'air!) elle file, paniquée, se coller dans l'extrémité du tube opposée au sens du dérapage. Vilain, çà, pas bien, berk! L'élève stressé rectifie aux commandes, annule le dérapage, la bulle revient au milieu avec un bon sourire et l'instructeur a un grognement approbateur. Alléluia!

Et le stage se déroule... Youkaïdi Youkaïda!

Vol après vol, en quelques semaines, l'élève apprend, comprend, l'instructeur lui laisse les commandes de plus en plus. Dans les esprits des élèves, une pensée: "quand serai-je lâché(e) seul(e)!". Ahhhh!!!  On ne sait pas! C'est de la seule (et énorme) responsabilité de l'instructeur (ou instructrice, oui, hein!) C'est son jugement, son évaluation, ce n'est jamais annoncé à l'avance.

Et un jour...UN JOUR... (musique grave et conquérante SVP!)

Un après-midi, c'est mon deuxième vol de la journée, je pose le planeur sans trop de choc ni rebond. Derrière moi j'entend l'instructeur qui déclique ses sangles.  Je me propose d'en faire autant, mais il dit, tranquille: "Non!".

"Non?" Mon coeur décide de multiplier ses battements par trois.

"Non. Vous repartez."  Il sort du planeur, se penche vers moi et explique: "L'avion va vous amener à ce gros cumulus, là, ce doit être une bonne pompe. Vous l'exploitez du mieux possible, vous vous baladez un peu, profitez! Faites un C.R.I.S. avant de partir.." Et j'ai droit à un sourire...

C.R.I.S.:  Le sigle pour: Commandes, Réglages, Instruments, Sécurité. Manips et contrôles que le pilote effectue avant un décollage. Je demande à mon coeur de revenir à un tempo normal, merci! Je fais un C.R.I.S. soigneux, minutieux! Très beau C.R.I.S.

Bon... On va y aller...

Je fais signe, pouce vers le haut, à l'instructeur qui attend près du planeur. Il transmet à l'avion. Grondement, on roule, décollage, ça monte sec. Tiens, déjà 300 mètres, 400, comme le temps passe... Ah, voilà le cumulus joufflu. L'avion bat des ailes,  je tire la poignée (rouge) qui décroche le câble, l'avion pique et disparaît.

Plus aucun bruit que l'air qui glisse autour de moi.

Seul. SEUL. Je suis lâché tout seul!

Je chante, je crie (ça résonne dans le cockpit!), je psalmodie ces mots "je suis lâché!"

Et, vous savez quoi? Le planeur me parle. Si Si! Il me dit, cordial" Eh ouais, p'tit gars, t'es seul à mon bord! T'es mon patron, j'vais où tu veux! Fais tout de même gaffe à l'altitude, et aux autres planeurs si y en a dans le secteur. Bravo p'tit gars!"

Yeah!  Je tente de profiter de la pompe, moyen... Elle me fait grimper à un peu moins d'un mêtre par seconde. Et toujours mon refrain: (allez, tous en choeur!) "je suis lâché...". Opéra pour élève, planeur et oiseaux admiratifs...

Bon... J'ai pas trop envie de me fouler, j'ai grimpé à 600 mètres, Allons, j'me balade, je musarde, aiglon tout neuf, moineau en goguette, hirondelle rebelle, alouette coquette, condor trop fort!  Promenade de bonheur. Cela me fait descendre, pas grave, le terrain n'est pas loin. Le planeur me signale enfin:"P'tit gars, on est à 300 mètres, faudrait voir à aviser".

Je le rassure, descend encore à 250, et j'entre dans le circuit de piste. Oui, on ne se pose pas n'importe comment, sur un terrain, sinon ce serait le foutoir! Là, devant moi la piste, un petit coup de "soupapes" (aérofreins) car je suis un peu haut, je vais me te vous faire un atterrissage doux, subtil, une caresse, ballerine sur les pointes, à rendre jaloux les papillons du coin.

Euh, pas mal, le contact sol aurait pu être un chouïa plus tendre, mais ça va.

Je roule, le planeur s'immobilise, je le remercie, il me dit "De rien p'tit gars, ta bulle était à peu près centrée! A la prochaine, c'est quand tu veux!".

Autour de moi, copains-copines et instructeurs-instructrices qui me sourient...

Assis, je m'accorde quelques instants de joie, les yeux baissés, silencieux, mettant bien ce souvenir dans la partie heureuse de ma mémoire. Tout le monde respecte mon émotion. Puis je déclique mes sangles, ouvre le cockpit, je sors et passe mon parachute à l'élève suivant (oui, on vole avec un parachute. Je n'ai jamais eu à m'en servir. Cool, hein!).

Cela s'est passé il y a plus de quatre décennies. Depuis, il y a eu les ULM, les deltaplanes, les parapentes, les performances des planeurs ont fantastiquement évolué.

J'ai cessé assez vite le vol à voile, pour des raisons diverses, pas graves d'ailleurs, les simples aléas de la vie.

Mais... Mais, il est toujours en moi, cet après-midi où un instructeur m'a fait confiance pour me faire voler, seul, dans un planeur qui m'a dit:" T'es mon patron, maintenant, t'as mes commandes. On y va!".

Oui. Et ça se passait dans les années soixante, souvenez vous, quand un rocker français chantait:" Souvenirs, Souvenirs"...

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