L'Horloge de Chicago
sam-dibie
Je ne suis pas d’humeur… Toute cette panique qui pousse les gens sur les routes m’exaspère. Comme des moutons de Panurge, ils partent à la recherche de l’abri idéal, celui sous lequel ils sont sensés échapper à la fin du monde ! Quelqu’un devrait leur dire qu’il n’existe nulle part pareille chimère. Comme son nom l’indique, la fin du monde est sensée signifier la fin. Même pour ceux qui se seront terrés dans les grottes les moins accessibles.
Quand je pense que tout ça c’est parce que, soit disant, l’Horloge de Chicago s’est mise à avancer.
Ils sont tous comme moi, ces désespérés. Cette horloge, avant que les journaux n’en fassent leur principal sujet d’actualité, ils n’en avaient jamais entendu parler. Ils ne savaient même pas qu’elle existait. Aujourd’hui, elle est leur principale source d’inquiétude. L’Apocalypse qu’elle est supposée annoncer est devenue leur seule préoccupation. Moi, j’en blâme surtout ceux qui en ont fait un buzz, comme ils disent…
L’Apocalypse, je ne sais pas ce que sera. Je veux dire, je ne sais si le bang final prendra la forme d’une gigantesque déflagration, ou s’il sera le feu ininterrompu craché par un Dieu vengeur, se déversant du ciel, triant les hommes qui doivent survivre de l’ivraie destinée à la pourriture éternelle… Encore quelques jours de patience et nous allons tous être fixés. Définitivement.
A vrai dire, la fin du monde, je m’en fiche un peu. Seuls ceux qui ont encore quelque chose à perdre vont s’acharner à le préserver. Moi… ?!
Le monde peut bien courir à sa perte, je n’en fais plus vraiment partie. Alors ?! Mais, entendons-nous bien : je ne me réjouis pas de savoir que l’Humanité va périr. Mais je ne suis pas de ceux qui vont pleurer sur la fin de cette civilisation qui se délite, ce dérèglement progressif de la routine de nos comportements.
Il a suffit, par exemple, que l’électricité se mette à manquer pour que la machine déraille. Depuis une semaine, plus rien ne fonctionne. Les centrales nucléaires de Pierrelatte et de Creys-Malville sont à l’arrêt. Trop peu sûres depuis que la plupart des employés préfèrent rester chez eux plutôt que de retourner à l’usine se coltiner des radiations. Eux aussi savent que la fin du monde est programmée. A tout prendre, ils ont donc choisi de rester dans la chaleur de leur foyer. La conséquence, c’est la pénurie d’électricité… Et le rationnement en plein hiver. Et puis, il y a l’eau potable aussi… Je veux dire le manque d’eau potable.
Ce matin, j’ai dû serrer les lèvres pour ne pas avaler l’espèce de lie visqueuse qui s’est déposée au fond de mon verre. Je viens de vider ce qui restait de ma réserve de survie. Je dois donc me résoudre, aujourd’hui encore, à affronter les petits malfrats qui règnent sur l’unique source d’eau du quartier : une borne d’incendie éventrée. Contre une bouteille d’alcool ou un paquet de cigarettes, ils autorisent les gens du quartier à recueillir quelques litres d’une eau croupie qu’ils collectent dans une citerne rouillée, dont il vaut mieux ignorer à quoi elle a servi avant.
Il faut que j’aille à La Fontaine. Je n’ai pas d’autre choix.
Toutes ces tracasseries, l’électricité rationnée à deux heures par jour, le manque d’eau potable, et le quartier sous la férule d’une bande que l’alcool et les humiliations qu’ils nous font subir excitent, ça me met de mauvais poil.
Parce que, jusqu’à présent, je me sortais plutôt bien des conditions rigoureuses imposées par l’incertitude. Mes réserves de conserves empilées dans les placards de la cuisine me permettaient une ration décente. Ca roulait bien pour moi. Je pouvais même me permettre d’observer avec une certaine jubilation la déliquescence qui envahissait la vie des « gens normaux ».
— Et tout ça à cause d’une horloge dont personne ne sait exactement comment elle fonctionne !
Je ne peste qu’intérieurement. Il n’est pas question que ma mauvaise humeur me prive de mon indispensable ration d’eau. Autour de moi, les gens attendent leur tour, leur récipient entre les mains, en longues files silencieuses et résignées. Ici, face à l’arbitraire qui nous rançonne, pas de mouvement de révolte. Aucun de ces bons pères de famille ne veut jouer les héros face à ses petits malfrats qui les terrorisaient déjà en temps normal. Ils n’ont pas la même accoutumance à la violence, ni la même proximité avec des armes qui sont le quotidien des ces petites frappes.
Alors, quand la fillette s’est fait violemment pousser hors du rang, personne n’a réagi. L’imbécile armé qui fait la loi ici s’est acharné : il l’a roué de coups de pied jusqu’à ce que du sang s’écoule de son nez. C’est à ce moment-là que je me suis interposé. J’étais arrivé à la limite de ce que ma misanthropie pouvait tolérer. Il est probable que ses petits yeux intelligents qui me fixaient sans implorer m’en rappelaient d’autres, et qu’ils ont fini par réveiller en moi ce petit bout d’humanité que je croyais disparu depuis ce que l’on appelle pudiquement « le drame » autour de moi. J’ai levé ma béquille avec une assurance qui m’a étonné moi-même, et je me suis interposé entre elle et son agresseur, trop surpris pour réagir.
La fillette s’est relevée et a couru se coller à ma jambe invalide. Maintenant que sa surprise est passée, je sais que je vais devoir affronter le petit potentat de La Fontaine et ses lieutenants. Je ne dois pas leur en laisser l’occasion. J’ai regardé la fillette. Ses petits yeux verts toujours planté dans les miens, elle m’a tendu une main silencieuse pendant que, de l’autre, elle continue de serrer très fort l’ours en peluche qu’elle n’a pas lâché sous les coups. Et nous sommes partis sans nous retourner.
— Ouais, c’est ça, Face-de-Lune ! ai-je entendu éructer derrière moi. T’es la héro du jour. Maintenant, barre-toi vite loin d’ici avant que je ne change d’avis et que je vous pourrisse la gueule à tous les deux.
Il va falloir que je trouve de nouvelles ruses pour me procurer de l’eau potable : je suis désormais persona non grata à La Fontaine.
Plus que vingt jours à attendre…
Si l’on en croit les scientifiques de l’Université de Chicago, c’est exactement le temps qu’il nous reste si la fameuse Horloge de l’Apocalypse continue d’avancer au même rythme que depuis quelques jours, sans que personne ne sache exactement pourquoi.
Hier, juste avant le délestage –le moment où, après nos deux heures quotidiennes d’électricité, notre ville retourne à l’ère pré-industrielle- j’ai allumé la télévision. Deux heures pour se mettre au courant des nouvelles et se connecter à la paranoïa ambiante. Je ne sais quel instinct morbide me pousse à écouter chaque jour ce requiem d’un monde qui pleure sa fin prochaine. Peut-être le secret espoir d’un sursaut de bon sens, qui sait…
C’est à ce moment-là que j’ai entendu parler de l’Horloge de Chicago pour la première fois. Mais, au rythme où vont les choses, je présume que ce n’est pas la dernière. On ne parle plus que d’elle : l’Horloge de l’Apocalypse. Depuis hier, on a tous les yeux rivés sur les écrans de télé où elle trône désormais, en haut à droite, décomptant inexorablement, le temps qu’il reste avant minuit, avant la fin de notre civilisation, l’extinction de l’humanité.
Chaque jour, à l’heure du délestage, sur les plateaux de la seule chaine qui émet encore, les spécialistes se succèdent pour justifier que l’Horloge ne peut pas se tromper.
— Elle mesure, avec la plus grande précision, toutes les menaces susceptibles de mener la planète vers le cataclysme ultime qui signifierait la fin de notre civilisation. Des menaces de guerre nucléaire aux catastrophes naturelles, techniques ou écologiques. Une machine d’une précision ultime. Un vrai joyau de technologie. Rien de comparable dans le reste de l’univers.
La journaliste a tenté d’argumenter. A sa connaissance, l’Horloge de Chicago existe depuis 1947. Et ce sont quand même les scientifiques qui l’avancent ou la reculent, en fonction de ce qu’ils croient être une menace pour l’humanité, non ?
— Parce qu’elle était mise à jour manuellement par des scientifiques de l’Université de Chicago, plusieurs voix se sont élevées pour dire qu’elle n’était pas objective. Depuis, tous les processus de calcul ont été automatisés grâce à plusieurs algorithmes informatiques et, l’Horloge de l’Apocalypse est désormais autonome. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour remettre en cause son impartialité, en tout cas dans l’univers scientifique. Surtout après la catastrophe de Fukushima.
Son invité l’a corrigé avec une morgue qui me le rend immédiatement antipathique, ce qui ne l’empêche évidemment pas de continuer sur le même ton.
— Un peu avant le 11 mars 2011, vous savez, l’explosion des centrales nucléaires japonaises, eh bien, l’horloge a déclenché son alarme et avancé d’une minute, passant de minuit moins cinq à moins quatre. Puis elle a repris sa position initiale le 30 mars quand la menace a été maîtrisée. Fukushima a agit comme un test grandeur nature, et nous a servi à asseoir définitivement la pertinence de notre système. Et il n’y a plus personne aujourd’hui, Madame, pour remettre en cause la fiabilité de nos mesures.
La morgue hautaine et le ton péremptoire du personnage ne font que confirmer mon aversion pour lui. Ce monsieur sème la panique, mais il me semble plus soucieux de la réputation de son institution et de l’exactitude de ses prévisions que de leur répercussion sur une population déjà aux abois.
La présentatrice, elle, est à mille lieues mes préoccupations. Elle a opiné cérémonieusement à la déclaration. Puis, la voix emprunte de gravité, elle s’est retournée vers la camera.
— Depuis trois jours, l’Horloge de Chicago s’est remise en route et avance inexorablement vers minuit. Nous sommes le samedi 1er décembre, et les scientifiques ont affirmé ce matin qu’ils sont incapables, pour le moment, de déterminer si la menace qui plane sur l’humanité est de l’ordre d’une catastrophe naturelle, militaire ou écologique. En revanche, une chose est certaine : si le décompte commencé devait se poursuivre au même rythme, la fin du monde devrait intervenir le 21-12-2012. Exactement. Comme les Mayas l’avaient prédit.
La fillette et moi parcourons en sens inverse le chemin qui sépare La Fontaine de mon pavillon. Derrière nous, à bonne distance pour ne pas se faire repérer, un jeune loubard à la mèche peroxydée nous file. Ma démarche claudicante doit me désigner comme une proie facile. J’ai pris la main de la fillette, l’incitant à ralentir. Crête Blanche nous a dépassé lentement, puis a continué son chemin vers Celleneuve. J’ai attendu de le voir disparaître derrière la maison des Leclerc avant de pousser ma porte et de la refermer derrière moi, à triple tour.
Il reste vingt jours à tenir et je viens de me couper de ma seule ressource d’eau. Pour sauver une gamine dont je ne sais rien. Comment ai-je pu me laisser embarquer dans une telle galère ? Qui est-elle, d’abord ? Et que faisait-elle toute seule dans ce lieu où même les adultes ne s’aventurent que sous la contrainte de la soif ? Je la regarde avec une curiosité toute nouvelle. Sa petite robe à fleurs, repassée et amidonnée, de même que le nœud qu’elle porte dans les cheveux lui donnent l’air d’une poupée de cire sortie d’une photo colorisée d’après-guerre. Sur mon canapé, droite comme une petite fille trop bien élevée, son ours en peluche toujours serré contre sa poitrine, elle me regarde avec des yeux qui, contrairement à la plupart des gens, ne se détournent pas de mon visage meurtri. Son nez ne saigne plus, mais son œil droit est encore légèrement tuméfié. Elle a quoi, sept ans ? Huit, peut-être.
— Ils sont où tes parents ?
La fillette a tourné vers moi un regard étrange, mi-condescendant, mi-moqueur. Comme on regarde un enfant qui vient de dire un gros mot… C’est à peine si elle ne mets pas sa main devant sa bouche pour cacher son sourire. Je ne vois pas ce que j’ai dit de drôle. Par ces temps incertains, moi-même je ne laisserais sortir mes petits-enfants qu’à l’abri du blindage d’un char d’assaut…
— Pour cela, il faudrait que vous en ayez. Des petits-enfants, je veux dire, pas un char d’assaut.
Elle a dit cela d’une petite voix toute frêle à l’accent indéfini qui m’a surpris. Elle ne lit quand même pas dans mes pensées, cette fillette qui sent la naphtaline, non ?
— Vous n’y croyez pas, vous, à la fin du monde, hein ?
Je lui ai répondu que je n’avais aucune raison de croire une prédiction faite par un peuple qui a disparu il y a quatre cents ans, dans un cataclysme qu’il n’avait pas vu venir. Que les Mayas savaient peut-être lire dans les étoiles, mais qu’ils auraient dû commencer par se méfier des Espagnols… Que ça sert à quoi de connaître les détails du relief de la Lune, si on se fracasse le crâne en tombant dans un trou creusé sur la terre de son jardin, hein ? Que cette image est réductrice, c’est sûr, mais qu’elle a réussi jusqu’à hier à conforter mon incrédulité sur la capacité des Mayas à prédire l’avenir.
— Seulement voilà, il faut croire que les Mayas avaient raison…
C’est en tout cas que ce nous disent les scientifiques. Pour preuve : l’Horloge de Chicago vient de se remettre en marche. Et ça oui, c’est nouveau ! La science vient de se mettre au secours des théories les plus fantaisistes de l’Apocalypse. De quoi faire douter les plus sceptiques. En tout cas, fin du monde ou pas, si l’apocalypse prévue ne nous tue pas, la panique et le chaos engendrés par ces inepties nous achèveront… Si la faim, la soif et le froid n’ont pas eu raison de nos dernières résistances avant.
Il me faut trouver de l’eau. Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, mais il faut que j’y arrive. Je descends avec attention les marches en direction du rez-de-chaussée. Mon fauteuil roulant m’attend en bas de l’escalier. Je pense que de m’en servir me rendra moins vulnérable. On n’attaque pas un vieil homme dans une chaise roulante, non ? Je suis déjà dans l’escalier quand j’entends de nouveau la voix de la fillette.
— A propos des Mayas, je pense comme vous… Quelqu’un aurait dû leur dire que leur extinction n’était pas dans le Ciel, mais dans les innocents galions espagnols qui mouillaient dans la Mer des Caraïbes et approchaient des côtes du Yucatan.
Oui, fillette, quelqu’un aurait dû leur dire… Comme quelqu’un devrait dire aujourd’hui à tous ces excités qui se précipitent pour accumuler des réserves que le vrai danger est probablement dans cette attitude incontrôlée.
Une fois dehors, j’ai barricadé ma porte d’entrée avec une poutre de fer. J’ai bien pris soin de fermer le cadenas et, arrivé dans l’allée, j’ai ostensiblement ignoré le « Ah, vous sortez le fauteuil aujourd’hui, Monsieur Prentice ? » de la Mère Pichaud, ma vieille pie de voisine.
Dans la rue, le ciel est d’acier. La peur et le désespoir sont perceptibles. Au loin, on peut entendre le crissement des pneus. Les dernières voitures à encore posséder un peu d’essence slaloment à travers les débris de vitrines qui jonchent désormais les chaussées.
Une panique irrationnelle est en train d’envahir la ville, lâchant dans les rues des hordes violentes qui pillent les réserves des magasins. Quant il a peur, l’humain retourne rapidement à ses premiers instincts, bestiaux. La fin est peut-être incertaine, mais le chaos nous menace…
Il faut que je trouve de l’eau…
Dimanche 2 décembre 11 : 55 : 04 à l’Horloge de Chicago
Mon carillon biologique sonne dans ma jambe folle. Comme tous les jours que Dieu fait, c’est la douleur dans ma jambe folle qui m’a réveillé, aux premiers rayons de soleil. Le membre mort n’est plus sensible à rien, ne réponds plus à aucune stimulation, sauf à cette douleur qui agit sur mon organisme comme une alarme, perpétuellement réglée sur la même heure matinale. Quand la douleur se réveille, il est temps de se lever. Mais, ce matin, plus que la douleur, il y a cette lourdeur dans la tête qui donne un côté irréel à tout ce que je regarde, qui me fait flotter dans une sorte d’état intermédiaire. Devant mes yeux, la ligne d’horizon a du mal à se stabiliser. S’il n’y avait ce lancement régulier le long de mon artère fémorale, je ne serais pas si sûr d’être complètement réveillé. La seule chose dont je sois certain, c’est que je ne suis pas en train de faire une hallucination. Quand j’hallucine, je n’ai pas mal. Ca, je le sais…
J’ai tiré sur moi le couvre-lit et, attrapant au passage ma béquille, je me suis dirigé vers la salle de bain, avec l’intention de restaurer un peu, par une toilette rapide, ce qui reste d’humanité à mon visage charcuté. C’est à ce moment-là que je me suis cogné sur la rambarde, envoyant valdinguer ma béquille sur le parquet, renversant l’étagère de livres dans le couloir. Le bruit du meuble qui se fracassait par terre a sonné les cloches dans ma tête.
— Monsieur Prentice?!
Malgré le vacarme qui règne dans mon cerveau, j’ai clairement entendu des pas résonner dans l’escalier, gravissant les marches quatre à quatre. J’ai à peine eu le temps de me relever que déjà, Crète Blanche est devant moi, dans le couloir. Il a donc finalement réussi à s’introduire chez moi. Mais comment a-t-il fait ? Par où est-il rentré ? Mais pour le moment, je n’ai plus qu’une seule pensée: me saisir de la béquille qui gît sur le sol à quelques mètres devant moi et lui fracasser le crâne avec cette arme improvisée.
Seulement, Crète Blanche a deviné mon intention. Son regard court de la béquille à moi, plusieurs fois. Et comme il est bien plus rapide que moi, il se baisse et sa main atteint la béquille avant que je n’aie pu esquisser le moindre geste. C’est à ce moment-là qu’il a eu cette attitude bizarre: il a retourné le manche de l’outil vers moi, me l’a tendu en m’aidant à me relever...
— Vous vous êtes fait mal, Monsieur Prentice?
Il a beau essayer de se montrer gentil, je reste méfiant. Que fait-il chez moi, d’abord?
— Monsieur Prentice... Vous devriez arrêter de vous agiter. Je vais vous ramener dans votre lit.
Ma jambe me lance et mon mal de mer est en train de revenir. La ligne d’horizon s’est remise à tanguer dangereusement. Je dois être encore victime de ce que mon médecin appelle mes hallucinations psychosensorielles... Un euphémisme pour dire que je perds la boule. En tout cas au moins partiellement. Cela m’arrive de temps en temps. Des séquelles du «drame» qui m’a transformé en Face-de-Lune avec des trous dans la cervelle. J’ai juste un dernier éclair de lucidité alors que Crète Blanche s’apprête à me saisir par le bras pour me raccompagner dans ma chambre.
— Elle dort, la petite?
— Quelle petite?
— Eh ben, la gamine que j’ai ramené hier de la Fontaine... Je l’ai installée sur le canapé. Je suppose que tout ce bazar a dû la réveiller, elle aussi...
Crête Blanche m’a lancé ce regard apitoyé que j’ai vu temps de fois sur le visage des infirmières quand j’insistais pour voir Mélody. Je ne supporte pas que l’on me regarde avec ce mélange de pitié et de compassion. Quand je l’ai dit à Crête Blanche, la pression de sa main s’est juste faite un peu plus lourde sur mon épaule, traduisant son désir de me ramener dans mon lit.
— Vous devriez vraiment vous reposer, Monsieur Prentice. Un peu de sommeil vous fera du bien...
J’ai décidé que je n’étais pas de taille pour affronter une nouvelle énigme. Alors j’ai convaincu Crète Blanche que j’avais besoin de me débarbouiller et que, promis, j’irai me coucher tout de suite après.
Il est parti en fermant la porte derrière lui.
Elle aurait dû être là, sur le canapé, à serrer son ours dans ses bras. J’ai fait le tour des pièces du rez-de-chaussée et je dois me rendre à l’évidence. A part moi, il n’y a personne dans cette maison. Et toutes les ouvertures sont bien fermées de l’intérieur. De la fillette, il ne reste que cet imperceptible parfum de naphtaline qui continue de flotter dans la pièce devant la télé éteinte. J’ai refermé la porte d’entrée avant de remonter à l’étage, en essayant d’oublier la douleur dans ma jambe. Je me suis dirigé vers la salle de bain en me répétant que j’avais vraiment besoin de prendre du repos. C’est à ce moment-là que j’ai vu l’inscription. Sur miroir au-dessus du lavabo.
Je n’y ai pas fais attention de suite.
Je suis entré dans la salle de bain et, d’un geste automatique, j’ai fait jouer plusieurs fois l’interrupteur… Putain de rationnement. Alors, j’ai relevé les volets pour avoir un peu de lumière et j’en ai profité pour entrouvrir la fenêtre et évacuer un peu de cette odeur de renfermé. L’air froid qui s’est engouffré par l’ouverture a fini de réveiller mes sens encore assoupis. En remontant sur mon cou le couvre-lit dont je m’enveloppe comme d’une étole, j’ai attrapé un gant humide sur le rebord du lavabo et j’ai ouvert le robinet. Un gargouillis dans la tuyauterie est venu me rappeler qu’aucune eau n’est remontée par ce canal depuis plus d’un mois maintenant. Et je ne m’y fais toujours pas.
De désespoir, j’ai levé les yeux vers la glace et l’image que reflète le miroir était taguée d’une étrange inscription.
D’abord six cartouches plus ou moins carrés, comme des hiéroglyphes, alignés par trois sur deux colonnes. A l’intérieur de chaque cartouche, dessinés d’une main sûre, des hommes aux corps nus, assis jambes croisées, et dont les visages sont réduits à des masques grimaçants aux yeux exorbités. Les coiffes en plumes qui surplombent leurs têtes semblent les désigner comme des rois ou des princes. Le septième signe a la hauteur de trois carrés et représente un autre roi, assis sur un animal qui peut être un léopard ou un jaguar. Il tient dans sa bouche une pipe fumante et sa couronne semble surmontée d’un oiseau que je n’arrive pas à identifier.
Sous cette inscription indéchiffrable, un dessin qui, lui, semble tracé d’une main enfantine, et que je n’ai aucun mal à comprendre. Un homme dont la tête est représentée comme un croissant de lune, regarde vers la droite, des bateaux à voile se rapprocher d’une côte. Autour de lui, les autres hommes sont tournés dans l’autre direction, vers la gauche. Tous observent la lune et les étoiles.
Voila qui est rassurant. Je commençais à me dire que mon esprit fantasque avait crée de toutes pièces la scène de La Fontaine… Mais ce dessin, l’allusion qu’il fait à notre conversation d’hier est bien la preuve que je n’ai pas tout inventé.
J’ai passé le gant sur la glace et dans le reflet, j’ai observé mon visage. Sur le côté droit de mon visage, aucun poil ne repousse sur les cicatrices boursoufflées. La partie gauche elle, est intacte. Et elle mériterait, pour donner un air moins repoussant à l’ensemble, que je rase cette barbe de plusieurs jours qui me donnait un air inquiétant. Ce qui est nouveau, c’est le gros hématome que je porte à la commissure des lèvres et je dois avoir l’arcade sourcilière ouverte. Je me sens vaseux et, même si j’ignore comment je me suis fait ces blessures, je suis trop fatigué pour m’interroger.
J’ai refermé la fenêtre. Sur l’étagère, les cristaux de mon réveil affichent un inhabituel 07:07. J’ai attrapé ma béquille et je me suis dirigé vers la chambre. Je n’ai qu’une seule envie : dormir…
*
* *
Ils étaient là, sur le pas de ma porte. Chétifs, blafards et souriants. C’est eux qui m’ont réveillé d’un tambourinement discret à ma porte. Avant même qu’ils me lancent leur salut qui vous pardonne d’avance tous vos péchés, je sais qu’ils veulent sauver mon âme des flammes de l’Enfer qui me menacent depuis que, avec le reste de l’humanité, je suis sorti du chemin de la bonté, du pardon et de la foi. Ils m’ont réveillé pour ça.
Ayant eu mon quota de sommeil, j’ai désormais les yeux en face des trous. Et toute ma lucidité pour jouer de mes atouts devant ces empêcheurs de mourir tranquillement païen. La jeune femme a souri d’embarras et dégluti précipitamment quand j’ai tourné vers elle mon bon profil, celui torturé par les cicatrices et le vide concave qui souligne l’absence d’une partie de ma mâchoire. J’ai tout de suite compris que j’avais gagné le dernier set du match silencieux de la compassion bienveillante. Je viens de refermer la porte d’un coup de béquille, sur leur désolation crispée. La télévision s’est mise en marche au même moment. Le signal que pendant deux heures, l’électricité est de nouveau disponible et que le reste du monde va pénétrer chez moi par tous les pores de la communication moderne qui viennent de se rouvrir.
A cette heure, l’horloge affichée en haut de l’écran a un magnétisme auquel, je suppose, peu d’entre nous échappent. 11 : 55 : 09 … Et la mine que fait la présentatrice aujourd’hui n’a rien pour rassurer.
— Vers 14 :07 cet après-midi, des incendies de forêt ont détruit plus de 89 maisons dans une banlieue de la ville de Perth, dans l'ouest de l'Australie, selon des médias locaux. Attisés par des rafales de vent chaud liées au cyclone tropical Yasoy, trois brasiers principaux ont rasé des habitations à Roleystone, une zone très boisée au sud de Perth. Quelque 1500 personnes au nord de la ville ont également été évacuées devant la puissance de ces feux que les autorités décrivent comme « hors de contrôle et imprévisibles » et qui arrivent bien tôt en ce début d’été austral.
Je suis heureux d’avoir précipitamment congédié mes vendeurs de salut. Cette nouvelle leur aurait donné un atout supplémentaire dans l’argumentation que je les ai empêché de déployer. Maintenant, je trouve un peu suspect que même les incendies de forêt se mettent en avance sur le calendrier. La panique générale n’a pas besoin de ce coup de pouce pour se renforcer.
— Et comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule, l’Institut Américain de Géophysique a annoncé ce matin qu’un tremblement de terre modéré de magnitude 4 sur l'échelle du moment a secoué tôt hier soir la région de San Francisco, en Californie. La secousse a été ressentie à 21H07 locales soit 06H07 GMT. L'épicentre a été localisé près de la ville d'El Cerrito, à une faible profondeur de 8,8 km. La Californie, faut-il le rappeler, est l'une des régions les plus menacées par les séismes. En 1906, un tremblement de terre avait détruit San Francisco, faisant plus de 3.000 morts. La magnitude avait été évaluée aux alentours de 8.
Un tremblement de terre dans une zone qui en connaît habituellement, et un feu de forêt, un peu précoce certes, dans une Australie qui brûle tous les étés. Rien de bien inhabituel, en somme. Seulement, de telles coïncidences sont de nature à renforcer tous les catastrophistes dans le sentiment que le dérapage s’est enclenché vers le crash final. Les alarmistes vont se mettre sur les routes en hordes compactes de réfugiés. Ils font mine, en cherchant un refuge incertain, d’ignorer que la menace plane sur la planète toute entière. Tout cela parce qu’un incendie de forêt et un tremblement de terre se sont déclarés, à vingt mille kilomètres de distance et sept heures de différence…
— A 21H07 aux Etats-Unis et à 14H07 en Australie, soit précisément à 6H07 GMT, deux catastrophes naturelles se sont produites. Ce qui alarme les scientifiques, c’est la parfaite simultanéité des deux phénomènes. C’est aussi, selon toute probabilité, ce qui explique le dernier titre de notre journal : Aujourd’hui, à l’heure de ces deux catastrophes, soit 7H07 heure de Paris, l’Horloge de Chicago s’est accélérée. Si le décompte avait continué à sa vitesse normale, elle devrait afficher 11 : 55 : 04. Mais, vous pouvez le constater comme moi, elle a avance de 5 secondes. L’Apocalypse attendue s’est donc rapprochée de 8heures. On est donc logiquement en droit de penser que ces différents éléments sont liés…
Le reste de l’explication de la journaliste s’est dilué dans l’inattention. Je viens de déconnecter. Ou plutôt, j’ai connecté ailleurs. 07H07, ce matin, j’ai remarqué cet alignement rare de chiffres sur l’horloge digitale de la salle de bain. Je venais juste d’effacer…
Non… Je suis en train de céder à la folie paranoïaque ambiante. Je n’en suis quand même pas à m’imaginer que les désastres qui ont lieu à deux bouts distants de la planète sont liés au fait que j’ai effacé l’inscription d’une fillette sur le miroir de mes toilettes ! Il n’empêche… A l’heure exacte où, avec mon gant, j’ai fait disparaitre l’étrange inscription, un énorme incendie se déclenchait à Perth et un séisme réveillait la faille de San Andreas. L’idée que je peux être à l’origine des deux phénomènes m’a fait sourire : le vieux fantasme de la toute puissance rattrape mon esprit, alors que mon corps handicapé peine à se mouvoir par ses propres moyens…
Je me suis donné une petite tape sur la nuque, pour me remettre les idées à leur place. Puis je me suis affalé sur le canapé devant la télé où défilent des images de cieux rouges et jaunes dessinant des profils d’arbres touffus d’où s’élève une épaisse fumée noire. On peut presque entendre crépiter les flammes derrière le journaliste qui rend compte de l’évacuation des populations. Hommes, femmes et enfants s’entassaient avec les maigres biens qu’ils peuvent transporter dans les camions que l’armée australienne a réquisitionnés pour l’occasion.
07H07… Je brûle d’envie de vérifier l’hypothèse folle qui me trotte dans la tête.
Jour 3 : Lundi 3 Décembre
Elégant, suave, érudit et désinvolte, Arsène Winocq possédait ce qu’il fallait pour mettre le monde à ses pieds. A vingt et un ans, son esprit brillant et versatile pouvait s’emparer de tous les sujets avec maîtrise. Il séduisait ainsi des auditoires bien plus âgés que lui. Il était beau et en avait conscience, ce qui le rendait dangereusement efficace en matière de séduction. Il abusait de ses avantages auprès de femmes mûres vers lesquelles allait sa préférence. Et il se fichait pas mal de ceux qui ne comprenaient rien à cette attirance. Rien ne semblait déranger Arsène Winocq. Rien.
Mais, sous cette carapace lisse et attirante, l’enfer couvait. Et quand il a éclaté, il a vomi du sang aux quatre coins de son cerveau décadent, et éclaboussé de sa violence toute cette cour, qui, auparavant, se pâmait admirative devant cet être si exceptionnel. Arsène Winocq a agressé, séquestré, torturé et tué à maintes reprises, sans que l’on puisse trouver la moindre logique à ses actes barbares. Parmi ses victimes, des hommes, des femmes, des enfants. Et moi, et moi, et moi…
— S’il doit y avoir une fin du monde, Winocq ne doit pas y survivre !
— Vous n’êtes pas bien, Monsieur Prentice. Vous devriez arrêter de vous agiter, et essayer de dormir un peu.
Crête Blanche déplie la deuxième couverture qu’il a dénichée dans le placard à linge. Il est beaucoup moins idiot que l’air qu’il se donne. En tout cas, ce n’est pas le loubard agressif que je m’étais imaginé se glissant dans la maison pour me cambrioler. J’ai de la chance qu’il s’occupe de moi. Je lui dois probablement d’être encore en vie.
Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai essayé de me souvenir des signes tracés sur mon miroir et, à chaque fois que j’ai fermé les yeux, j’ai revécu « le drame », scène après scène, avec les détails sordides que seule ma fantastique mémoire sait emmagasiner. Il n’y manquait rien : ni les cris horrifiés de Melody, ni le fracas des meubles que l’on renverse, ni le regard interdit de Jo, ni celui noir, fixe et froid du canon d’Arsène Winocq qui pointe son œil unique sur mon visage, ni l’explosion finale qui m’envoie dans une longue nuit, dont les médecins réussiront à ma sortir, malheureusement. Et j’ai revécu chaque peur, chaque appel au secours, chaque espoir. Et le réveil des mois plus tard sur le néant. Et la douleur de l’absence, intacte comme au premier jour.
Et quand le soleil s’est enfin levé, les tambours de l’Enfer sonnaient dans mon crâne. La douleur dans la jambe m’a ramené à la réalité. Elle était plus forte que d’habitude, et même mes analgésiques les plus puissants n’en sont pas venus à bout. En proie à la fièvre, j’avais commencé une longue déchéance faite de douleur et peuplées de visions cauchemardesques. Cloué au lit, incapable de faire le moindre geste, j’avais faim. Et soif…
Ma délivrance est venue d’où je l’attendais le moins. Il ne faut jamais se fier au premier jugement, souvent hâtif, que l’on fait de ses semblables. J’ai assez payé pour le savoir. Maintenant que je connais mieux Crête Blanche – il va falloir que je pense à lui demander comment il s’appelle- je me désole qu’il ne nous reste pas beaucoup de temps.
L’Horloge continue son décompte et je viens de perdre une précieuse matinée.
— Si tu le pouvais, tu sauverais le monde, toi ?
Crête Blanche m’a lancé un regard sans malice avant de remonter sur moi la couverture puis il s’est dirigé vers la fenêtre ouverte avec l’intention de la refermer.
— La fièvre vous fait délirer, Monsieur Prentice. Avec les médicaments que je vous ai donnés, vous allez dormir et, demain vous irez mieux.
Je ne veux pas dormir. S’il ne nous reste effectivement que dix-sept jours à vivre, comme ils le prétendent tous, je veux les vivre aussi pleinement que mes capacités me le permettent. Je voudrais aimer la vie avec l'intense désespoir, l'appétit féroce du mortel qui marche vers sa fin, et qui s'enivre du parfum de chaque fleur sur son chemin, avec la conscience de sa fin imminente. Je voudrais regarder la peur étreindre ceux qui ne peuvent se résoudre à mettre leurs affaires en ordre avant le grand saut final. Et pourtant...
— Je peux arrêter le cours des catastrophes, tu sais…
— Bien sûr ! Et vous pouvez aussi cesser d’être irascible et vindicatif si vous vouliez. Et moi, je pourrais couper cette horrible mèche blanche et abandonner cette allure de délinquant qui effraie… Seulement, on va dire que vous êtes comme moi, Monsieur Prentice. Vous ne voulez pas, n’est-ce pas ?
J’ai laissé passer un silence pendant lequel j’ai réfléchi à ce que je pouvais confier à ce garçon qui n’est décidément pas celui qu’il a l’air d’être. Mais est-ce que je peux sans risque partager avec lui ma découverte d’hier ? Est-il raisonnable de lui confier que moi, William Rose Prentice, je pourrais sauver le monde si je le voulais ?
En fait, hier, je mourrais d’envie de vérifier ma théorie. Alors, j’ai essayé de reconstituer l’inscription de la fillette. J’ai décroché l’ardoise de la cuisine et le feutre effaçable de son aimant sur la porte du frigo et je me suis installé devant la télé, observant le décompte, puis j’ai fermé les yeux. C’est d’abord l’image de Melody qui s’est imposée. La main sur l’interrupteur, elle me supplie de ne pas descendre et murmure qu’elle va appeler la Police. J’ai l’habitude maintenant. Alors, je n’ai pas attendu de voir l’éclair zébrer l’obscurité, ni que les cris commencent à résonner dans ma tête. J’ai ouvert les yeux, le souffle court.
Je transpirais. J’avais peur de rester coincé dans cette image. Mais l’envie de savoir était plus forte. Alors j’ai refermé les yeux et replongé dans ma mémoire, en essayant cette fois de zapper les épisodes douloureux qui s’imposent à moi. Au prix d’incroyables efforts, je suis revenu à hier, dans la salle de bain et j’ai tracé avec soin le premier des hiéroglyphes. C’est tout ce que je peux voir avant que le « drame » n’occupe de nouveau toute ma mémoire.
Et là, j’ai regardé la télé pour voir mon intuition se confirmer : l’Horloge a ralenti. Pour vérifier que j’étais bien à l’origine de ce mouvement, j’ai de nouveau effacé mon dessin. Je n’y croyais pas moi-même. Mais le décompte de l’Apocalypse reprenait sa vitesse folle. L’Horloge accélérait de nouveau. Sur le plateau du journal, les scientifiques avouaient ne pas comprendre ce yoyo sans logique.
Une telle nouvelle, ça se partage. Je veux que quelqu’un sache que j’ai, dans ma tête, le pouvoir de reconstituer les symboles qui peuvent stopper la dérive du temps.
Je meure d’envie de tout lui avouer, mais je sais qu’il ne me croira pas. Crète Blanche est du genre rationnel ! Déjà qu’il croit que la fillette est le fruit de mon imagination. Je ne peux pas lui dire. C’est évident qu’il ne me croirait pas.
J’ai repensé au petit dessin de la fillette qui me montre regardant dans la bonne direction et j’ai souri. Mais, la ligne d’horizon est en train de se confondre avec le cuir noir de mon canapé. Il me semble avoir pensé quelque chose comme « Il faut toujours regarder du côté où arrivent les Espagnols ». Si j’en crois le regard d’infirmière apitoyée que me jette Crète Blanche, je dois penser à voix haute.
Quelle ironie que ce soit dans mes mains que le destin du monde se joue… Ou plutôt dans ma mémoire capricieuse qui réveille tous les jours les cruelles images de l’agression.
Je devrais être heureux de pouvoir permettre à l’humanité d’éviter le précipice. Ce qui m’effraie, c’est que je ne le veux pas ! Pas avant d’avoir trouvé le moyen d’éliminer définitivement Arsène Winocq.