Libre

another-day

Texte gagnant d'un concours sur le thème "Orage et déflagration".

    Elle furetait, fugitive, entre les venelles. Sa panigale se frayait tant bien que mal un passage entre les obstacles – trottoirs, civils. Ne devait laisser aucune trace. Fuir, fuir, toujours fuir. Elle tourna fort le guidon, et la moto s'enflamma littéralement. Elle gagna, incontinent, en vitesse et en assurance. Son bolide l'entraînait déjà vers de nouveaux horizons, vers un monde meilleur, loin de ses assaillants qui s'effaçaient progressivement de son rétroviseur. 

    Elle sillonnait présentement des routes noires, noires de solitude. Des routes désertes, de chaque côté desquelles s'esquissait un paysage aride. Un paysage qu'elle ne connaissait point, dont elle ignorait tout. Froid, sec, terrifiant. Prise de panique, elle accéléra davantage. Et pourtant, au-dessus de cet enfer panoramique, se jouait un spectacle à nul autre pareil. 

    Le soleil, tout comme sa panigale l'instant précédent, venait de s'embraser. Dans une explosion formidable, l'astre dégaina ses rayons couleur de feu, éclaboussant de lumière la fugitive et son bolide infernal. Elle réchauffa quelques minutes son visage dans la flamboyance du brasier, quelques mètres au-dessus de sa tête, à s'en brûler les yeux. La moto fonçait toujours, maîtresse de ses propres mouvements, entraînant sa cavalière avec elle. Elles en avaient, toutes deux, presque oublié le danger, presque oublié leur statut de renégat, presque oublié leur existence. 

    Elles s'enfonçaient maintenant dans un tunnel semblant sans fin. Elle entendait, derrière elle, la fureur des brigands qui venaient de retrouver sa trace. Dans le rétroviseur, elle nota de lourdes armes, de gros calibres, des flèches luminescentes. Elle tourna plus fort encore le guidon, slalomant entre les voitures blindées qui tâchaient de lui barrer la route, voulant quitter au plus vite le corps glacé de ce serpent d'acier. 

    Elle perçut une déflagration, de l'agitation autour d'elle. Ses yeux, encore blessés par l'ardeur du soleil, se fermèrent le temps d'une seconde, alors qu'elle franchissait le bout du tunnel. Un bruit terrible, une détonation, un éclatement assourdissant : comme un choc de météores contre la surface abrasive d'une étoile. 

    Elle les rouvrit sous une pluie acide. Le soleil avait été dévoré par de gros nuages noirs de colère. Leur fureur s'abattit sur elle : une lueur fugace traversa son casque, entra dans son œil, fit flancher la moto. Elle parut s'envoler, rejoindre l'ombre des oiseaux, le temps d'un battement d'ailes. Sur le sol, elle ouvrit la bouche pour recueillir en elle quelques gouttes de pluie. Son bolide gisait, mort, sous son dos morcelé. 

    Et elle sourit. Elle avait réussi. 
    Elle était libre. 

Signaler ce texte