L'inconnu du train. (1)

Ellie

Photographie de David Olkarny.

TER 881625. 11h33 , gare de Marseille St-Charles.

L'accès au train n'est pas facile malgré le peu de bagages que j'ai. Je dois plus ou moins effectuer des slaloms pour éviter de percuter quelqu'un ou de me faire agonir par une vieille parce que j'ai rasé d'un peu trop près son caniche beaucoup mieux coiffé que moi. 

D'ailleurs je tiens à souligner que je respecte les personnes âgées, je n'ai rien contre elles bien que récemment j'ai pu constater qu'elles avaient les insultes bien plus faciles qu'on ne peut le croire, sacrés vieux tout de même ! Enfin bref'

Je suis toujours fascinée quand d'un pas hasardeux, j'essaye de rejoindre mon train. Parce qu'à chaque quai, un millier d'histoires et d'émotions convergent sans qu'on s'en rende forcément compte. 

Pour certains c'est le moments des retrouvailles, tandis que pour d'autres c'est le temps des adieux déchirants. Quelques fractions de minutes pourtant si décisives. Tout semble en suspension. 

On retient notre souffle, on aimerait trouver le courage de dire les mots qui touchent au lieu de ça on murmure un timide "j'ai été heureux de te voir" et on camoufle notre émotion en prenant une taffe d'une clope qui te tuera bien avant que son désamour ne le fasse. 

On retient nos gestes de tendresse parce qu'on laisse la peur prendre le dessus, on esquisse des sourires qui veulent dire "si tu pars, je vais me perdre moi-même", mais on fait rien et tant pis si dans quelques mois on chiale parce que c'est dans les bras d'un autre qu'elle se perd désormais. Tant pis si la seule chose que tu récolteras seront les échos lointains de ses rires qui viendront hanter tes nuits, elle sera comme une partie de toi à jamais. 

On ose chuchoter les mots qui font mal, qui brisent. On jette presque silencieusement des mois de coups de "je t'aime", on fait vaciller l'autre dans une autre dimension pour se casser lâchement dans les minutes suivantes avec l'air de dire "tu vois, j'ai même pas le temps pour essuyer tes larmes". On marmonne quelques remords que l'autre n'entend pas, qu'importe, de toute façon on ne se retournera jamais, on a déjà déchiré la page. Notre coeur est tellement si loin. 

On fait peut-être juste partie des gens qui se sont égarés entre quelques kilomètres et qui recherchent férocement un nouvel horizon. Peut-être que cette fois-ci on est prêt à se battre, à croire que demain est un jour meilleur. 

Et toi alors, jeune inconnu dans quelle catégorie te rangeais-tu aujourd'hui ? 

Notre chemin ne s'est croisé que le temps de quelques heures, et j'aurai presque aimé que la coupure d'électricité dure plus longtemps. Alors toi, dont je méconnais le nom, je tenais à te remercier. Te remercier d'avoir partagé quelques uns de tes rires, des confidences maladroites, quelques bribes de ta vie ; merci de m'avoir fait voyager à ta façon. 


  • ça me fait penser à quelque chose du passé...
    une rencontre invoulue ; mais appréciée.
    les joies de l'imprévisible.

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    leeman

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