L'indulgence.

Elle avait encore un peu d'essence de Mercedes sur les doigts et du Rimmel de Nocibé qui coulait sur ses joues.

- Vous attendiez depuis longtemps ?

- Dix minutes ou peut-être une heure... je ne sais pas !

- … Le temps peut paraître long quand on ne sait pas quand il commence...

- Oui c'est vrai... Et puis je ne sais pas ce que je fais là, assise à vos côtés, à m'essuyer les mains dans votre chiffon de boîte à gants et à caresser le museau de votre labrador entre les deux sièges... je ne sais vraiment pas... Est-ce un rêve ?

- Non ! Vous êtes bien dans la réalité, vous êtes dans mon 4X4 et celle-ci vous dépasse... la réalité ! Vous savez ce que je pense ?

- Non !

- Je pense que avez tout simplement pété une durite sur la route et que vous avez essayé de la remettre par vous même. Vous vous êtes énervé sur le bout de tuyau et vous avez commencé à pleurer de ne pouvoir le réintroduire aussi facilement que vous l'auriez voulu... Péter une durite... ça arrive à tout le monde, surtout avec ce foutu soleil qui s'écrase depuis tous ces jours, les moteurs chauffent autant que dans un paddock de formule 1 à Monté-Carlo au deuxième tour.

- Vous auriez fait quoi à ma place ? J'ai juste essayé de m'en sortir par moi-même ! Et puis, j'avais plus de batterie pour appeler la mondiale assistance... et y'a personne qui passe sur cette foutue route... même pas un chat mort au milieu et en travers... à part vous !

- C'est sympa ça, de me traiter de chat mort !

- C'est pas ce que je voulais dire... excusez-moi... c'est sans doute le gratin... je le digère mal...

- Le gratin ?

- Oui... le gratin dans lequel m'a fourré Paul hier, pour l'anniversaire des 10 ans de sa boite ! Il tenait absolument à ce que je sois la plus belle et la plus docile, que je serre les mains à tout le monde et que je dise oui à tout... - Ma chérie, c'est super important pour ma promotion... tu auras juste à boire des petites coupettes avec tout ces petits connards, afin de les anesthésier dans des 'C'est génial ce que vous faites!'

- Et alors ?

- Ben, c'est mal me connaître ! J'ai jamais su faire la différence entre un petit connard de chez connard et un grand Bonnard de chez Bonnard !

- ???

- Ben vers minuit... y'a un mec qui ressemblait à rien... que vous lui auriez même pas donné la pitié en salpêtrière... et qui m'a dit: - Auriez-vous, Madame, assez d'indulgence à ce que je vous montre mon petit Bonnard ?

- Et alors ?

- Ben j'ai dit OUI comme m'avait dit de faire Paul... je voulais connaître moi aussi l'indulgence... et puis je connaissais très mal les talents de Pierre... ses huiles et toutes ses sanguines !

 Pierre Bonnard- L'indolente. 1889.