L'instant violenté

novi

Courte nouvelle sur la violence qui incendie nos mœurs. Un style tranché, familier, sans grande envergure mais qui , je l'espère, brossera un portrait minable de l'être déchaîné.

Les gens sont parfois cons. Même quand ce sont des amis, des connaissances, ils le sont, c'est un principe, je ne sais pas, générationnel. Ils se forcent à être magistralement chiants, en vous dérobant des moments éclairés, en laissant leur instinct vous caler entre deux jouissances des réflexes qu'ils jugent normaux — l'autre mot pour insipide, inutile, banal, sans intérêt.

Ma jouissance à moi, et qui m'inspire cette farce — un texte ! Moi écrivain ? Riez ! — c'est de laminer droitement, avec honnêteté et principe, la petite gueule illuminée et fragile d'un gars, rencontrée comme ça, et dont le pif, les yeux, la mèche et les tétons, m'auront confirmés les idées asociales et fleurissantes de ma caillasse de tête.

J'étais bien, comme on dit, j'étais en pleine enjaillade, je bourrinais mon mignon petit foie sans rien demander à personne, je draguais en veux-tu en voilà, je clairsemais de ma fugace voix les discussions aux alentours et j'énervais, sans crier gare, sans m'en brosser, les égos des personnes bien trop peu second degré. Une soirée fichtrement désuète, que je comptais fuir dans quelques heures, avant l'aube, avant qu'un couillon - avec d'autres - choisissent de me prendre par les jambes, les bras, et de me lancer avec magnificence dans l'eau salée de cette plage, demeure de nos pêchés.

Mais souvent, ces moments nocturnes fringants sont interrompus par des fouilles-merdes et touche-à-tout renversant, dont l'unique intérêt est de vagabonder ci et là, et perpétuer la tradition humaine de l'insolence, du diktat violent et surtout, du shit de la beuh des produits Haribo c'est beau la vie.

Je n'aime pas ces types, je préfère les marginaux, les drôles de cons qui le sont en se méprisant, qui sont alcooliques à l'ancienne, sur des bancs et qui cherchent compagnie. Ceux-là, ils viennent juste pour te taxer la thune, et ils ne te le cachent pas. Je les aime bien, ils sont francs, et ils me rappellent que dans la vie, il y a quand même des chemins de traverse foutrement vicieux, qui font de vous des sodomites sociétaires, des putois que les autres veulent surtout ignorer.

L'autre genre, qui vient t'emmerder, je vais vous les décrire. Des gars qui viennent pour faire copain-copain, te voler tes copines et pourquoi pas ton blé, en profitant du mist qui enveloppe ta conscience pour te vendre, je ne sais pas, de la merde en sachet. Mes potes les appellent drug-dealers, moi j'me les nomme gros connards. Et mes sympathisants savent que je les ais en horreur, que quand ça arrive, la soirée devient angoissante.

Cette nuit-là, va savoir, le sang devait me dégouliner entre les phalanges. C'était mon putain de destin, je devais me le farcir, une fois pour toutes, histoire de me dire le lendemain Putain ça fait du bien, entre deux chiasses de décuvage. Un trop plein de Jaeger, peut-être, ou alors je m'étais pas branlé depuis une studieuse semaine… j'étais strictement chaud, vous voyez ? A peine le mec arrive, je lui dis de dégager avec sa merde, alors il dégage sans monologue, et va faire suer les copines avec son haleine de macchabée. J'essaie de ne pas rentrer dans mon propre jeu, j'm'empêche d'amarrer mon poing au quai de ses jolis yeux d'enjoliveurs.

Les filles rigolent avec lui, je jalouse un peu, mais je ne veux pas passer pour le con, alors je rempile ma fierté, et déverse une fine liqueur le long de mes joues supra-tièdes. Je ne fais pas gaffe, un ami me recentre. Je sais à quoi il joue, mais ça ne prendra pas. Je sais déjà que je vais me le faire, il me faut juste une raison.

A ce moment, si je pouvais bander en discrétion, je le ferais. Je suis en suspens, j'ai les crocs baveux et les doigts qui saignent, à force de grignoter sous moi le sable. Il va forcément faire une erreur, il va forcément jouer son rôle et essayer quelque chose. Mon pote, tu as vu les tétons qu'elle a ? Tu ne peux pas partir comme ça, sans bifton sans cobaye et sans avoir reluqué de plus près cette jolie fille qui rigole poliment à tes piètres farces.

Une étourderie et s'en est fini.

Bien sûr, il me satisfait, et je commence à me dilater, l'alcool me prend la main et j'ai tout sourire qui disparaît. Le mec a les mains baladeuses et insiste avec la copine. Parfait. Si je le cogne, si je brosse la plage avec sa face de calculateur on ne pourra pas dire que je n'avais pas de raison, que je suis un violent, un mec comme ça, qui déglingue le premier venu. Ce connard-là, il n'a pas encore compris ce qui l'attend.

Imaginez une séquence épique, avec genre une musique qui te cartonne l'esprit à l'héroïsme. Je me lève, dépose ma stature en tailleur sur l'étagère et me dresse droit, comme un pique, comme un soldat des anciens temps qui va sauver la princesse. Le peuple me regarde, je les surplombe de mon allure svelte, bienfaitrice et surtout, mécaniquement foiré, soûlé et bancale. J'ai une bouteille presque finie en main — mon arme qui brille sous les poétiques rayonnements de la Lune. Le mec me regarde, la fille aussi, et moi, je le sais, j'ai un regard de tueur, un sourire en coin de lèvre, et comme dirait mon vieux, s'il était encore là pour déverser sa fierté : Y pète un câble.

Le premier coup part, une talonnette entre les deux yeux, il s'éclate en arrière et la fille s'écarte. Il se relève un peu, cherche le salut dans sa poche. Ho ho. Le saligaud, le porc, l'insolent, c'est un lâche, un méprisable petit trou du cul. Il a sa bite en main, un truc en acier pointu à peine plus long que mon majeur — qui lui se dresse, d'ailleurs, tout naturellement, comme un frère dans la bataille.

Ces gars-là, ils croient qu'une lame, plein de crasse et de mauvais coup, va calmer l'ennemi, ou en tout cas le débarrasser de son courage. Et il est là mon problème, je ne suis pas une baltringue, je suis un couillon, téméraire et bien entamé, qui lance l'assaut. J'aurais peut-être de la chance, c'est mon soir, je le sais.

Pauvre petite merde enveloppée, la bouteille se brise sur son arcane, ça saigne et ça l'aveugle, il part un peu en cacahuète en gueulant, et moi, je lui prends la main, la caresse tendrement, puis la délivre du poids terrible d'un couteau mal aimé. J'excelle alors dans l'art de lui chatouiller le visage, en le chevauchant avec sensualité, mes poings sont des étoiles filantes, filantes, filantes sur son ciel empourpré.

Et on en revient à ce moment où, je vous le disais, les gens sont cons. Je suis grave en train de me venger, sans savoir de quoi, mais j'aime ce qui m'arrive, je gagne, les gens autour me dévisage, me regarde, j'ai le dessus et ma fierté gonfle. J'ai les babines lubrifiées, les lèvres qui gonflent, un afflux de sang, les tempes qui vibrent salement… et puis, plus rien.

Les gens, quand il y a une bagarre, ils veulent la stopper. La violence, ils n'ont pas l'air d'aimer. Ils sont témoins, ça les insupporte, et sur le coup, ils t'en empêchent, ils viennent vers toi et te soulève, te dise de te calmer. Moi, j'ai toujours joué le jeu, genre le gars énervé qui ferait un malheur, qui à la puissance d'un taureau en pleine course. Je briserai n'importe quoi dans cet état. Bon sang ! Ça m'excède quand il me brise la joie, l'intensité du contact humain. Ça me fait l'effet d'un flagrant délit, comme quand mes vieux me prennent en train de baiser. Ils ont interrompu une partie de jambe en l'air.

Du coup, je m'écarte, retente deux trois fois d'approcher le corps du type. On appelle une ambulance, on me dit que je devrais partir. Je ne comprends pas, j'ai gagné, j'ai brisé ce cloporte, cette larve, et c'est moi qui pars ? Je suis victorieux, le sable sur mon corps prouve la bataille menée, comme le sang sur mon torse.

On devrait m'applaudir. Ou du moins, me faire une haie d'honneur. Je me casse sous des regards saisissants, intenses, peut-être apeurés ? Je souris, j'ai fait ce qu'il y avait à faire. J'ai les dents qui grincent, la violence et la haine enveniment mes cellules, je vibre encore.

Dans la rue, seul, je me calme. Il est tard, j'ai le cœur au bord des lèvres, je suis seul et las. Je suis persuadé d'avoir fait mon devoir. Demain est un autre jour, je réfléchis, chante tout seul, et croise des groupes, qui me regarde, comme on regarde ces mecs-là qui veulent ta thune.

J'espère qu'un beau jour, l'humanité s'habituera à la violence. Et que l'instinct de préserver s'éteindra pour des moments de long et doux combats ininterrompus.

Novi

  • Le narrateur passe vraiment une soirée pourrie et on comprend que ce n'est pas la première… Drôle de choix qui ne répare pas le monde

    · Il y a presque 9 ans ·
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    nyckie-alause

  • Espérons que le type ne soit pas mort, même si c'était une merde, c'est toi qui ira en tôle ! Sinon ça t'a fait du bien, ça t'a soulagé ! même si c'est une fiction, ces gars là, vendeurs de mort, mériteraient de bonnes corrections ! Bravo pour ce texte !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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