Lipectomie cérébrale
aliceindiscoland
Georges se versa un autre verre de bourbon, et en but une petite gorgée. Les flammes de la cheminée crépitaient devant ses yeux, et il se sentit bien assez vite emporté par leur danse fatale. Il se sentait engourdi, nonchalant, et pourtant ses pensées collapsaient dans sa tête lui causant un vertige des plus impitoyables. Il repassait sa vie devant lui, comme spectateur plus que protagoniste. Il se voyait, jeune adolescent orgueilleux, voulant faire partie du monde. Rêvant de s'offrir les plus belles femmes, et de posséder les plus grandes sommes…
Il y était parvenu. finalement. Après des années puis d'autres années encore de travail épuisant, sans compter les énormes risques qu'il avait dû prendre. Le travail à lui seul ne distingua jamais personne, le secret était d'oser… Et il avait osé lui. Il avait osé investir son héritage dans une université prestigieuse, abandonnant sur son sillage une mère agonisante. Il avait osé venir à Paris sans le sou pour tout y commencer. Il avait osé épouser Rose et promettre de faire d'elle la plus belle œuvre qu'un chirurgien pourrait créer… oui, tout cela paraissait bien loin. Et il se demanda à quoi avait-ce bien pu servir en fin de compte, puisqu'il s'en irait tout bonnement de cette vie, comme s'il n'avait jamais existé…
Ses réflexions furent soudain interrompues lorsque la porte de la chambre à coucher s'ouvrit, laissant entrer sa femme, toujours en robe de soirée. Elle s'assit sur le lit, visiblement fatiguée, et enleva ses sandales une à une. Sa robe verte luisait contre le pourpre de leur lit, contrastant délicatement avec le blanc de sa peau… Elle leva les yeux vers son mari, et leurs regards se croisèrent. Il fit un signe du menton. Obéissante, Rose se leva gracieusement et fit glisser la robe de soie, en gestes sensuels. Elle agrippa ensuite la bande de ses bas, et les fit descendre à leurs tours tout le long de ses jambes. Imperceptiblement, elle se mit à dénuder sa poitrine en quelques gestes précis. De son fauteuil près de la cheminée, Georges contemplait les dernières pièces de lingerie en satin s'accumuler en bouts de tissus sans valeur sur le sol. Avalant son verre d'un trait, il se leva de son fauteuil et se dirigea vers sa femme, étendue nue sur son lit. Il désirait contempler son œuvre une dernière fois…
Les bras de Rose l'accueillirent presque avec automatisme, et elle écarta ses jambes doucement. Ces sculpturales jambes… longues et agréables au toucher, sans la moindre imperfection. Elles étaient assez musclées pour être fermes, pas trop tout de même jusqu'à en perdre leur féminité. Georges les caressa de ses doigts, se dirigeant progressivement vers les cuisses… Il lui avait fallu quatre liposuccions pour créer des cuisses pareilles. La première intervention avait à peine suffit à éliminer la graisse et les vergetures, la deuxième fois elles étaient toujours rondes, la troisième beaucoup trop déformées… son nez frôla la peau à cet endroit… Elle sentait la pêche. Fermant les yeux, il dirigea son visage vers la partie supérieure du corps de sa femme, lui agrippant de ses grandes mains les hanches avec force. Rose contint un gémissement, mais il ne lui accorda aucune importance. Il était trop occupé à caresser ce ventre plat, qui ne l'avait pas été au tout début. Plastie abdominale. Cela avait été risqué. Il n'était pas assez expérimenté à l'époque, et Rose avait dû rester hospitalisée pendant plusieurs jours. Distraitement, il regarda la cicatrice presque invisible qui en avait résulté, avant de passer à la poitrine… Sa fierté. Un petit sourire éclaira son visage lorsqu'il posa les mains dessus, palpant avec délice. Ces seins si parfaits étaient une des rares choses qu'il prenait toujours plaisir à contempler de son vivant…
Rose se leva brusquement et lui prit le visage entre ses mains fines. Sans aucune sorte de préambule, elle colla sa bouche contre la sienne. Il se laissa aller, appréciant le contact des lèvres qu'il avait injecté lui-même… Ce n'était pas par hasard que son nom devint une référence dans son métier. Aucun de ses collègues ne pouvait se vanter d'avoir créé une source de plaisir pour chacun de ses sens, dont il pouvait jouir aussi longtemps et à chaque fois qu'il le désira. Personne n'avait jamais pu nier qu'il était maître de son art… Rose lui déboutonna la chemise, la lui enleva rapidement. Il l'encercla de ses bras puissants… pourquoi ne pouvait-il se défaire de ses tourments ? Pourquoi fallait-il qu'il soit confronté à cette réalité qu'il avait tant essayé de fuir ? C'était lui pourtant qui créait l'illusion d'immortalité dans la vie de pauvres et misérables gens. Il en en construisait même son empire. Les vielles femmes venaient par centaines acheter l'illusion d'avoir rajeuni. Elles n'étaient qu'heureuses de fermer les yeux, de délaisser le fait qu'aucune de ses chirurgies ne leur rendraient leurs années perdues. Tout comme aucune de ses gloires à lui ne pourraient ajourner sa mort certaine…
Il sentit des frissons le parcourir, et il poussa avec force la silhouette en silicone qui s'acharnait tant à lui donner du plaisir. Uniquement parce que c'était tout ce qu'elle savait faire. Mais elle n'avait pas toujours été comme ça Rosie, il s'en souvenait. Elle avait été joyeuse, et pleine de vie. Elle l'avait aimé Rose, à la folie. Au point de lui donner un jour le droit de torturer chaque parcelle de son corps, pour nourrir son bonheur dérisoire à lui. Il l'avait condamnée, il l'admettait, à n'être rien de plus qu'une chose, un objet de plaisir. Mais qu'y pouvait-il ? Pour parfaire son royaume superficiel, il lui avait manqué une fausse poupée en plastique.
Il se leva de son lit, apercevant à peine les formes autour… La nature s'était jouée de lui. Tout bonnement. Elle s'était tapie dans l'ombre à le guetter pendant qu'il se donnait tant de peine à devenir ce qu'il était devenu. Et au moment de jouir de ses succès, elle vint pour tout détruit. Car lui, Georges, allait bientôt mourir…
Il y avait encore un peu de bourbon dans la bouteille, et il l'ingurgita au goulot. Il le réalisait enfin, il n'avait jamais été infaillible. Il n'était rien d'autre qu'un pauvre humain, qui comme tous les autres, avait été créé pour souffrir…