L'œuvre transmédia est-elle l'avenir du roman ?
aeden
L'intérêt que suscite certaines expériences littéraires transmédias indique que cette nouvelle manière d'envisager l'écrit pourrait bien parvenir à révolutionner un monde du livre de plus en plus ouvert au numérique.
Un seul univers
Le terme « transmédia » est l'un de ces nouveaux mots, nés dans la dernière décennie, que l'ère du temps a mis à la mode. S'il est encore peu connu du grand public, c'est dès 2003 que Henri Jenkins, professeur au MIT, l'utilise pour la première fois dans un essai intitulé "Transmedia Storytelling" (http://henryjenkins.org/2007/03/transmedia_storytelling_101.html) pour analyser la stratégie de marketting d'un film très connu, The Matrix Reloaded. Il convient donc de définir ce nouveau processus de création comme le développement d'une œuvre sur plusieurs supports médias et qui se distingue du simple cross-media (déclinaison de la même œuvre sur différents supports) en ce qu'une œuvre transmédia met en scène plusieurs trames narratives indépendantes coexistant de façon cohérente au sein d'un même univers.
Une décennie plus tard, alors que le numérique fait enfin vivre sa révolution à la littérature, les « concepts transmédias » englobant des œuvres littéraires commencent à émerger.
Née hybride
La raison la plus évidente de transformer une création littéraire en œuvre transmédia, c'est la possibilité de prolonger l'expérience des lecteurs au-delà du livre. On pense immédiatement à l'univers d'Harry Potter qui, s'il a été adapté, dérivé et décliné dans tous les sens (cross-media donc), s'est aussi offert un portail numérique dédié, Pottermore (https://www.pottermore.com/fr), où les fans de la saga se retrouvent pour y découvrir du contenu inédit.
Pourtant, transformer un livre en une œuvre transmédia pour en prolonger la vie, c'est ignorer toute la portée du potentiel offert par les nouveaux modes de diffusion numérique. Certains auteurs l'ont compris et n'ont pas hésité à penser, dès l'origine, leur fiction comme une œuvre hybride, un projet transmédia par nature. Parmi ceux-là se trouve Jeff Balek, auteur français d'une œuvre transmédia originale à laquelle la presse s'est déjà intéressée. Yumington (http://www.yumington.com/#!le-projet-yumington/cmbv) est un « storyverse », une ville dite universelle dont l'auteur retrace différents pans de l'histoire à travers différents médias : Le Waldanger, par exemple, est une série d'ebooks prenant place à Yumington dans les années 2025. Autre média un peu plus étonnant, une twitt'fiction intitulée « Yumington 2012 : all sinners » a été écrite en temps réel, 120 heures durant sur Twitter, alors que les internautes étaient invités à raconter une histoire prenant place dans la même ville en parallèle de l'intrigue principale. Il existe également une newsletter conçue comme un magazine du voyageur Yumington destinée aux fans du projet, un peu à la manière de Pottermore. Le dernier projet de Jeff Balek, une œuvre audiovisuelle intitulée « K-Paradox », s'intégrant dans le storyverse Yumington a même réussi à créer le buzz avec sa vidéo de promotion.
https://vimeo.com/107406507
Futur proche
Quelles conclusions tirer de l'émergence de ces créations transmédias et que dire de leurs effets sur l'écriture et la lecture ? C'est bien le numérique, en tant que nouveau canal privilégié de diffusion des œuvres littéraires, qui tend à renforcer la transversalité de l'écriture. Il met en lumière un phénomène de convergence qui rapproche l'écrit de l'image mais aussi du réel, c'est-à-dire des lecteurs, en leur donnant parfois la possibilité sinon de faire partie de l'œuvre au moins d'y contribuer. Mutation non négligeable de la façon même dont on pense une œuvre, la diffusion numérique des projets transmédias nous fait miroiter un futur proche dans lequel tout écrit n'est que le premier pas vers une œuvre complète, une création totale capable de faire voyager de façon cohérente le spectateur de support en support.