L.O.F.T

bartleby

6. Gulliver

Broichan m'embrassa gentiment sur la joue. Cela me fit du bien. Je le lui rendis en posant une main sur son épaule, ce qui le fit sourire, du genre « j'ai fait mon petit effet, chouette chouette ! ». Peut-être que sa chaleur m'avait réconfortée, que le fait de se retrouver à table, de manger… Et qui plus est, avec quelqu'un qui lui aussi avait envie de s'échapper, m'avait redonné du courage.

- « Vas te reposer au salon. Tu as besoin d'un peu de tranquillité. Moi je débarrasse. J'espère que tu as passé un bon moment.

- Oui, excellent aux vues de la situation. Tu fais très bien à manger ». Sur ce, il posa les yeux sur les assiettes et commença à porter la vaisselle dans l'évier.

Je me dirigeai donc vers le salon pour y trouver le canapé de cuir noir. Je me laissai tomber comme une masse. J'avais les dents du fond qui baignent suite à la merveilleuse blanquette de Broichan. Pourtant, je n'avais pas tant mangé que ça.

- « Eeehhh ! Fais gaffe ! ». Je me relevai d'un bond. Je venais de m'assoir par mégarde sur quelqu'un.

- «  Oh pardon ! Excuse-moi… !

- Reste pas devant, je vois plus rien ! ».

Je me dégageai de son champ de vision. Il y avait là un jeune homme avachi. Il tenait dans sa main un paquet de Baff et regardait droit devant lui en riant nerveusement de temps en temps. Je repensai aux crochets. Il ne faisait aucun doute que le sac à dos était le sien. Et de ce fait, il devait occuper la chambre 3. Je supposai alors qu'il devait être apprécié des autres… locataires ? Retenant un petit hoquet, je lui refusai le paquet de pop-corn qu'il venait de me mettre sous le nez.

- Je le mets au milieu, pioche quand tu veux, d'acc' ?

- Merci, c'est très gentil… ».

J'admets que je pris un ton volontairement très sympathique. Il fallait me trouver des connivences, ici. Broichan m'avait parlé du temps que chacun avait déjà passé entre les murs… Il chercha quelque chose sur la table. Je n'avais rien vu :

- «  Eh ! Tu fais quoi jeune homme, là ??? ». Mon air avenant prit subitement un vent plus sévère.

- « Je m'en roule une, ça te tente qu'on partage ça aussi ? Faut que tu déstresses, non ? Allez… Détends-toi… ».

Il tapota deux fois ma cuisse puis passa sa langue très vite pour finir de former son joint. Un haut-le-cœur me prit lorsqu'il l'alluma. La viande de Broichan semblait vouloir remonter d'un bloc. Deux bouffées, puis il tendit l'illégalité vers ma main, posée sur mon estomac.

- « Y a qu'ça de bon dans cette baraque. Tiens… ». Je la saisis, observai tout ça. Et finalement… Allez…

- « T'as les yeux qui piquent ?» dit-il moqueur

- Je ne fume pas ce genre de chose. On ne peut pas toujours être à la page, n'est-ce pas ? D'ailleurs, tu as quel âge ?

- Dix-sept ». Il me laissa fumer et me regarda. Il fit, pensif :

- « Je me demande comment Monsieur va t'appeler, toi…

- Hein ?

- Demain, on oublie Karine. Tu seras réveillée vers 7h. A 7h30 on se retrouvera tous au salon et on choisira ton nouveau nom ! J'admets que c'est un rituel fascinant. Après c'est pour la vie que tu le porteras».

D'entendre cela, j'eus envie de vomir. Je sentais les sucs gastriques faire des vagues dans tous les sens, dans mon ventre. L'odeur de joint mêlée à l'idée qu'on allait effacer mon identité me terrifiait. Parce que c'est bien cela qui allait m'arriver, on irait jusqu'à me voler ma vie d'avant. Il poursuivit :

- « Il faut que tu saches que ce nom aura un sens pour notre communauté. Chacun propose, puis on vote. Ou alors c'est celui qui gueule le plus fort qui l'emporte, ah ah ah ! Bon évidemment, tu peux te retrouver avec un nom pas génial ».

Ma vue se troublait, ma mâchoire se raidissait. Décidément, les drogues douces ne me réussissaient pas. Je me sentais partir. Mon corps flottait dans les nuages.

- « C'est quoi toi, ton nom, gamin ?

- Gulliver… ! C'EST UN GROS CONNARD QUI ME L'A CHOISI ! 

- Je suis désolé si tu es réfractaire à la littérature, mon garçon ! ». Un homme, assis à l'écritoire posa un instant son livre. Je reconnaissais sa voix, suave.

- « Ouais ouais. Le coup du grand chez des p'tits ! Mais c'était si IN-TE-RE-SSANT de prendre l'idée à contre-pied. Pff !

- C'est pareil si tu n'aimes pas de toute façon. ET TU N'AS RIEN A REDISCUTER ICI !!! C'EST CLAIR !!!??? ».

La voix de Milan, qui avait commencé sa phrase si calmement, tambourinait maintenant dans ma tête. Je tremblais. Gulliver voulut le prendre de haut, mais un gémissement que je poussai le fit tourner les yeux vers moi.

- Ooohh… Putain… ! Merde… Broichan ! T'as mis quoi dans ton plat ce coup-ci ??? » appela Gulliver.

- « Que du naturel ! Pourquoi ? ».

Et il se mit à rire joyeusement. L'ado leva ses yeux au plafond, l'air gavé. Il me secoua :

- «Bon, moi j'ai pas la force ni la clé pour te ramener à ta chambre. Déjà qu'il faut que je demande la permission pour moi, alors...»

Je me sentais les yeux hagards, ma conscience planant et s'écrasant toutes les 10 secondes au sol. La tête sur l'accoudoir, je la tournai difficilement vers la télé. Dans la mosaïque, on pouvait voir chaque image filmée des caméras de télésurveillance. En direct.

Gulliver lança :

 

- Sois bien debout à 7h, OK ? Sinon, Papa va pas être très content.

 

  • C’est vrai que la série le prisonnier avait cet esprit décalé. Et le côté répétitif de l’échec toujours renouvelé, enfermait le spectateur dans la série. Nous étions les véritables prisonniers de la boite à images. Je prends ta série au vol, je lirai la suite car elle est accrocheuse.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Cela me touche venant de toi, sincèrement. Je vais continuer. Me reste Milan, Silas et Martha. Je devrais faire voter pour le nouveau prénom de Karine. : )

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      bartleby

  • De plus en plus glauque... ça me fait penser à la célèbre série "Le Prisonnier" de la fin des années 60... on attend l'ectoplasme qui emporte les fugitifs...

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Ah oui, c'est vrai. Un peu. Mais là, elle est très loin d'en être sortie.

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      bartleby

    • si tu me dis qu'elle va s'en sortir alors je vais continuer à lire (ne me déçois pas)

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Je ne sais pas encore ce que sera la suite. Mais j'ai appris qu'il faut écrire comme on aime. Il est agréable d'être lu, mais il faut rester authentique. L'écriture n'en sera que meilleure.

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      bartleby

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