l'oiseau de nuit
rena-circa-le-blanc
Si l’on doit faire une description physique de Galahad, on se doit de commencer par son aspect général, de loin, là bas. Galahad est un oiseau de nuit. Malgré le travail qui lui prend la journée entière, il parvient à saisir toute occasion de sortir qui le ferait rentrer le plus tard, voir le plus tôt possible. Au milieu des ombres, il est l’une d’entre elles ; souple, une goutte dans l‘océan ; brûlant, un grain de sable dans le désert. On n’y prête aucune attention jusqu’à ce qu’il se détache de la masse humaine compacte. Une fois solitaire, il paraît différent.
Sa silhouette se dessine, se découpe sur un fond obscur des ruelles, entourée d’une aura jaunie par les lampadaires qui, seuls, voient son visage ; il est grand, toujours habillé d’un long manteau qui lui tombe au genou, sauf pour les soirées de gala, où il sort son habituel costume noir et blanc, dont la veste a été taillée sur mesure et à l’anglaise. Pour ce qui est de son allure, elle est très élégante et distinguée. Il pourrait porter une couronne et une longue cape de velours rouge qu’on le prendrait pour un roi sans discuter. Il porterait un ensemble bleu avec casquette à visière courte, qu’on dirait qu’il est capitaine d’un grand bateau.
Son nom lui-même, a une forme qui se meut. Il se veut différent de celui du preux Chevalier de la Table Ronde, alors que son attitude à lui tend à être exactement la même. Ce h qui se trouve entre les deux a est un affront, une provocation. Le moindre des mouvements de Galahad est pesé, pour attirer l’œil, pour provoquer aussi.
Galahad est symbolisé et désavoué par son propre nom, qui se veut à la fois noble et nonchalant.
L’est-il, lui, l’homme qui porte ce nom ? Un peu. Lorsqu’il marche, il invite à marcher avec lui. Dès qu’il bouge les épaules, il propose de se mettre à l’aise en sa présence. Une fois qu’il adresse un regard, c’est un signe de communication. Enfin, il suffit qu’il ouvre la bouche pour qu’on soit immédiatement séduit par ses talents d’orateur.
Galahad semble être la perfection incarnée. Sans doute l’est-il d’ailleurs. Un ange tombé du ciel… si tant est qu’il en existe ; un athée n’a qu’à poser le regard sur cet homme aux aspects de dieu pour y croire sur le champ. Si Bouddha, cet être si attirant, à la fois pour les hommes et les femmes, d’un monde existant désormais uniquement par les paroles des anciens, avait choisi de se réincarner dans ce bas monde, c’est le corps de cet homme qu’il aurait choisi sans hésiter, pour le représenter ; car il est à la fois moderne et classique, passé et futur. Il ressemble à tout le monde, et son charisme le fait pourtant paraître si différent des autres.
En plus d’avoir les airs d’un Prince d’un autre monde, il est doté d’une discrétion sans égale, qui le fait disparaître à la moindre occasion. Une seule et unique chose qui fait dévier le regard, et il s’est évaporé, soit en tournant au coin d’une rue, soit en s’engouffrant dans un tramway, soit en entrant dans un café. Dès lors, inutile de penser ne serait-ce qu’à le revoir. Quand bien même on retournerait la ville entière, le monde entier, qu’on ne le retrouverait pas.
En somme, Galahad ressemble plus à une apparition fantasmagorique qu’à un être vivant en chair et en os. On le voudrait mais on ne peut l'approcher plus qu'il n'est convenu. Et son regard bleu clair sous sa grande mèche blonde,appuyé par son sourire enjôleur, paraît veiller sur chacun des habitants de notre triste monde. Il est à la fois ici et ailleurs, partout et nulle part.
Peut-être est-ce un véritable chevalier aux nobles motivations, revenu du passé pour porter le fardeau des mensonges, des malheurs, des trahisons de nous autres, pauvres pêcheurs.