L'ombre, partie 2 : Haine

-nicole-


L'alerte a été donnée par le facteur. Il avait un pli recommandé à remettre et a trouvé la porte de la maison entrebâillée. Il a sonné, appelé et a fini par franchir le seuil. Il a trouvé la Mère étendue au sol dans l'entrée, les yeux fixes et la bouche tordue. La Chose et moi la regardions lancer ses appels silencieux, de toute la force de son esprit prisonnier. Il ne nous a pas vues, nous savons rester dans l'ombre. Les secours allaient arriver, nous avions agi pour cela.

J'ai nommé la Chose. Je l'ai appelée « Haine ». C'est ma fille et elle méritait un nom. Je lui parle et elle m'entend. Je la regarde évoluer, se développer. Elle n'est pas très docile mais lorsque je l'appelle, elle est prompte à venir. C'est plutôt l'endormir qui est difficile, même juste la calmer me demande parfois des heures et des heures de patience. Les autres peuvent continuer à mener leur vie palpitante et bruyante, ils ne me dérangent plus. Je fais même souvent exprès de me mettre sur leur chemin pour les faire réagir et je m'amuse de les voir sursauter ou trébucher quand ils me touchent sans le savoir. Certains me jettent un regard de côté, l'air furieux et j'ai alors l'impression qu'ils arrivent à me voir. L'amour ne leur a pas ouvert les yeux mais la colère semble plus efficace. J'attends un geste de leur part, une main tendue vers moi, même une gifle ferait l'affaire mais… J'attends.

J'attends aussi le retour de la Mère. Je ne suis pas la seule. Le Père erre comme une âme en peine, ça me fait sourire, il semble m'imiter, mais ça ne lui va pas à lui, cet air perdu et fragile. Je préfère quand il peste et gronde après eux tous qui ne savent plus se débrouiller sans Elle. Personne ne retrouve ses affaires, personne n'arrive à allumer le four, personne ne sort les poubelles, et moi, je sème le chaos dès que je peux, déplaçant leurs objets, les cachant dans des endroits improbables, coupant l'arrivée du gaz ou éventrant les sacs de détritus au milieu de la cuisine. Je les regarde alors s'en prendre les uns aux autres, s'accusant mutuellement de mes farces. La Haine grandit dans la maison et je suis heureuse que mon enfant se porte bien.

 

A suivre…

Signaler ce texte