Longue vie à Freddy!

Nicole Bastin

Qui a dit que les bonsaïs apaisaient l'esprit ?

Ça faisait 3 ans qu'il agonisait chez nous.

Maintenu en vie à grand renfort d'engrais, de lampe de bronzage et de rempotage.

Le bonsaï de Violette...


Elle avait jeté son dévolu sur le malheureux lors d'une grande virée à Truffaut (une fois que Papa et Maman, en mal de campagne, s'étaient encore jetés voracement sur les jardinières).

Dans l'idée, un bonsaï, c'était plutôt classe.

Le problème, c'est que chez nous, il n'a jamais trouvé sa place.

Au début, Violette l'avait mis dans sa chambre, bien au soleil. Mais dès qu'elle n'était pas là, tout le monde l'oubliait et le pauvre crevait de soif.

Après, il a atterri dans le salon, mais là, oups ! plus assez de lumière. Alors, il a pâli, perdu ses cheveux, euh... ses feuilles, il a rabougri. En clair, il tirait la gueule.


Et ce week-end, je ne sais pas ce qui s'est passé. Probablement le printemps, dehors, qui a tout déclenché. Papa a complètement craqué.

«Non mais, Violette, ce n'est plus possible, là ! T'as vu la tronche de ton truc ? On dirait Freddy, les griffes de la nuit! Je n'en peux plus ! Il est temps de s'en débarrasser, tu ne crois pas ?»


La pauvre Violette ne savait pas quoi dire. Elle était visiblement prise au dépourvue. Elle s'est tout de même défendue.

- «Mais ce n'est pas ma faute ! Quand je suis là, je m'en occupe. Je fais tout ce que je peux, moi ! »

- «Oui bah, en attendant, j'ai l'impression que ce ficus de malheur est sous perfusion. Dans MON salon !Je suis désolé mais ça me déprime !»

Là, Maman s'en est mêlée. Elle a accusé Papa de jouer « la carte du chantage affectif ». Je n'ai pas trop compris ce que ça voulait dire mais l'embrouille est repartie de plus belle.

Violette, elle, ne disait plus rien. Elle avait le regard sombre et brillant à la fois. Je ne savais pas si elle allait pleurer ou se mettre à crier.

Finalement, alors que tout le monde tempêtait autour de la table, chacun y allant de son argument différent, Violette a surpris tout le monde en se levant.


«Et si on lui offrait une nouvelle vie ?»

Silence

«Une nouvelle vie ?» a répété Papa, ahuri.

«Oui. Si on le plantait et qu'on le laissait pousser comme il veut ?»

«Mais ça ne sera plus jamais un bonsaï.» a fait Maman. «Et puis, il faudrait qu'il survive et ça, on ne peut pas savoir.»

«Ce n'est grave» a dit Violette, d'un air décidé. «C'est la nature qui choisira».

J'étais vachement impressionné.

Je me suis dit qu'elle était vraiment grande, en fait.


Alors, l'après-midi, on est partis.

C'était une belle petite expédition, tu peux me croire. Tous les 5, armés de terreau, de pelles et de râteaux.

On est allés au parc, à côté. On a choisi le plus bel emplacement, près du pont, sous le cerisier.

Papa a creusé la terre, Maman a installé le bonsaï, Mael a recouvert le tout et Violette a planté, tout autour, des petites pensées, «pour lui tenir compagnie», elle a dit.

J'avais écrit un petit poème pour la peine.


Petit arbre,

aujourd'hui, tu prends racine ici.

Ne t'inquiète pas, surtout, si tu grandis.

Au-dessus de toi, des oiseaux, du soleil et de la pluie,

ce n'est peut-être pas le paradis

mais tu verras, c'est la belle vie!


Quand j'ai fini, Violette m'a souri et elle a dit :

«C'est très beau, Tim, mais je crois qu'il manque une ligne. Tu as oublié : 

"Et maintenant, longue vie à Freddy!" »


TIMothée


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