Lost in Joshua Tree (1)

Giorgio Buitoni

J'imagine déjà mon interview dans Rolling Stone :

" Alors, Georges, racontez-nous vos débuts au Joshua Tree Saloon, là où tout a démarré, votre ascension fulgurante dans les charts américains, puis votre carrière internationale. A quoi ressemblait ce bar à vos débuts ?

- Ascension fulgurante ? Comme vous y allez, Charlie (ricanement faussement modeste de vieux rocker se pinçant le pif et marquant un silence calculé) A quoi ressemble Le Joshua Tree saloon, eh bien, Charlie... "

La façade du saloon est une authentique devanture de planches noircies et moisie maintenues entre elle par la dégueulasserie et la poussière. Une silhouette de cowboy en ombre chinoise, cadrée en plan américain - ça ne s'invente pas - te mate au dessus de l'entrée, derrière la croix de bois d'une fenêtre en trompe l'œil. Le néon rose cassé derrière les carreaux affiche " OP ", au lieu de " OPEN ". A l'arrière du bar, t'as même les mini buts de hockey sans filets pour attacher la lanière de ton canasson. Ajoute de la tôle ondulée et rouillée, un cactus moribond aux pétales en forme d'oreilles de Mickey, et une vieille citerne ayant contenu Dieu sait quoi recouverte d'une panure de rouille.

L'intérieur du Joshua Tree saloon ressemble à une taverne irlandaise avec des bottes à éperons. Long zing de bois poisseux, box en boiserie avec nœuds d'origine, plancher qui grince comme la porte d'une maison hantée, crâne de taureau cornu derrière le bar, stickers Budweiser au plafond, BBQ ribs, coleslaw et burgers qui décantent leur fumet graisseux et aigre-doux sous tes narines. Le tout sous la lumière pâlichonne de quelques guirlandes d'ampoules-champignons qui évoquent une kermesse de village et te repeignent la gueule comme à la bougie, façon crise de foie.

Tout ça à quelques bornes des façades proprettes et astiquées de L.A..

Et au fond de la salle, le gars debout sur la scène, grattant sa guitare comme on scie une bûche, face à un parterre de chapeaux, de casquettes des Laker's, de cheveux longs gloussant dans la pénombre monastique du Joshua, c'est moi.

Georges Adam.

Le petit frenchie.

Scoliose sur patte. Un genre de squelette de héron au muséum d'histoire naturelle glissé dans une housse de peau brunie par le soleil avec les os qui pointent dessous. Cheveux longs zébrant mon visage emperlée de sueur, silhouette en armature de cerf volant flottant dans un T-shirt Led Zeppelin délavé, jauni aux aisselles et au dos à force de sudation et de lavage répétés en laverie automatique.

Moi, le petit frenchie, futur star montante du folk américain (dans ses rêves), auteur de ce mini-tube éphémère, il y a dix ans, en France : Galère balnéaire à paname. Moi et mon divorce, mon gosse et sa garde non partagé, mes années de fitness et de rameur dans un club de sport réduite à une enveloppe osseuse et tendineuse. Toute la viande sucée par le désert.

A me regarder, tu te souviens que tout mammifère n'est jamais qu'une tentative désespérée de maintenir en un seul tenant l'édifice osseux qui éloigne ta bouche de ton trou de balle.

La maigreur n'est pas un problème.

C'est mon accent Français.

Huit ans d'anglais au lycée, puis à la fac, pour t'apercevoir que tes consonnes françaises ne se dissolvent pas dans la sauce barbecue californienne. A croire que la France refuse de m'abandonner. Même ici, à la lisière du désert Mojave. Et ton serviteur, sous la guirlande d'ampoules jaunes, vouté comme un point d'interrogation inversé, les vertèbres en échelle de secours, de baragouiner le dernier couplet de Blowin in the wind :

" Ande ao méni daisse ouil it taïque til hi nozzzze. "

Bob Dylan, c'est sacré au Joshua Tree saloon. Une sérigraphie noire et blanche de Mister Zimmermann est encadré sur la scène dans mon dos, derrière la batterie. Elle louche vers un grand cactus en plastoc.

L'assemblée hue, raille, se moque.

Je les emmerde.

Ici y'a que le désert qui me siffle pas. Tous ce qu'il te renvoie le désert, c'est ta mauvaise haleine. Le reflux de tes rêves décomposés qui fleure bon la défaite au fond de tes tripes. Le désert, c'est de la chaux vive sur tes ambitions. La vérité crue sur l'existence : un truc plat et aride comme une poêle à frire, où rien de ce que tu peux prononcer ne finira sur un T-shirt. C'est le truc à la mode que tout le monde veut voir, le désert. Ils oublient juste de préciser : avant de mourir. C'est pour son étreinte brûlante et poussiéreuse que je me suis exilé ici. D'abord à Los Angeles, puis à Joshua Tree. Joshua, c'est l'arrière cour du rêve hollywoodien, l'antichambre bobo-loser de la misère mexicaine pas loin de la frontière, un genre de barbecue poussiéreux à la lisière du désert où les artistes, zicos, peintres de tout poil, trainent leurs addictions, leur destin désespéré, et ses prennent pour des stars entre eux, en s'offrant des bières, se tapant sur l'épaule, en disant : " Amazing song, man ! " avant de rouler un joint.

Il y a plusieurs pointure locales qui passent au saloon. Suffisamment pour te laisser l'espoir que le producteur de Chris Christopherson viendra y faire un crochet avant sa partie de golf et te proposer un contrat. Un investissement sur le long terme dirait mon père. Il y a aussi les Mojave sky avec leur rock prog un peu floydien et leur reprise de Neil Young. King ropes joue de la pop sirupeuse vaguement western - le chanteur est à chier. Mais pour la plupart, ceux qui jouent ici sont des zonards perchés d'avoir trop sniffé la poussière jaune du désert et qui vivotent des allocs chômage dans l'espoir que Dieu leur prenne la main pour écrire le nouveau  Harvest

A Joshua tree, les gens ne sont pas pire qu'ailleurs. Les gens sont pire quoiqu'il arrive. Le Joshua tree saloon, c'est là où tes rêves viennent éclore le mardi soir, le temps de deux où trois chansons, avant de flétrir au matin lorsque le soleil recouvre le sable d'une cape de lave et souffle son haleine volcanique sur ta gueule de bois.

Ici, chaque guitariste paumé te dira qu'il a joué avec Keith Richard.

" Ouais, mec, Bob Dylan est venu jouer ici. " 

" J'ai croisé Mick Taylor, dans les toilettes du saloon en 72, on a fumé un joint.

A Joshua tree tout le monde te sourit, t'écoute, te vante le fameux projet artistique avant-gardiste qu'il est en train de bricoler dans sa cabane :

" Oh, mec, ce projet, c'est ce que j'ai fait de mieux ! "

Chacun gratte sa petite guitare, trempe son beau pinceau, pompe les plans de Nick Drake et de Fred Neil, s'improvise en Paul Gauguin du Mojave, et s'imagine que ce sera bientôt son tour d'apposer ses empreintes sur Hollywood boulevard. Et chaque mec est d'accord avec vous, avant de solliciter votre avis sur ce nouvel air incroyable - Eumayzing ! - qu'il vient de composer grâce à la muse du désert.

" Ouais, mec, le désert m'a soufflé cette chanson. Comme le diable soufflait son talent à Robert Johnson. "

Mais le soir, une moitié des artistes présents ici se couche face aux mâchoires ardentes du Mojave, en se demandant comment il va bouffer demain et payer sa marijuana pour continuer à se mentir. L'autre moitié viens te réclamer le loyer en retard et t'arnaquer de 100 dollars pour enregistrer une de tes chansons dans un studio sans cabine de chant ni table de mixage. Joshua Tree, c'est un mec au cheveux longs et gras et aux yeux rougis qui te raconte qu'il est le nouveau Dylan avec deux dents en moins et un trou dans ses godasses, et un autre type à côté qui lui tape sur l'épaule en disant :

" T'es génial, mec, jamais entendu un truc pareil, au fait, tu me dois 100 dollars pour le loyer. "

Ceux qui rêvent, et ceux qui te vendent du rêve.

La différence majeure avec Paris ?

Chacun a la politesse de ne pas se plaindre. Les States, question optimisme, c'est comme entrer dans un bain chaud après une longue randonnée de montagne sous la pluie. Les ricains sont comme ça près de LA, au fond de la fosse a purin, ils te crient :

" J'ai pas à me plaindre, man, au moins, elle est bonne ! "

Ça ne cadre pas avec ma dépression, leur optimisme. C'est comme trainer au milieu de gens très beaux avec un bec de lièvre.

Allez-y.

Sifflez, bande de blaireaux.

L'un d'entre vous repartira sans ses dents, ce soir.

Le désert t'apprends ça : la victoire dans une bagarre n'est pas une question de poids, il suffit d'avoir perdu sa femme, son fils, et tous les derniers fils de soie qui te raccordaient à l'espoir que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.

Autrefois, j'avais le cœur serré en écrasant une araignée.

Aujourd'hui, j'étalerai Mike Tyson une main dans le dos.

La musique, les poings, le désert ; mon Prozac.

J'entame l'introduction de Hey, Joe malgré les protestations. Trois morceaux. C'est la règle, au Joshua Tree saloon, le mardi soir. Merde, je ne suis pas payé, faites pas chier. C'est un open mic. Personne ne me jettera hors de la scène avant le troisième morceau. Faut bien rentabiliser l'essence. Surtout quand ton compte en banque t'informe qu'il te reste 123 dollars et 18 cents pour le reste de ta vie.

A peine le prix de 320 couches culottes Pampers active fit pants taille 4.

Ceinture extensible, faciles à enfiler et offrant un ajustement optimal. Matières aussi douces qu'une plume sur la peau. Douze heures de confort non-stop, sans pipi qui brule les petites noisettes rose de votre fiston.

Mais Kevin doit être propre maintenant. Enfin, selon mon expérience très théorique des enfants.

O, Kevin, penses-tu à moi ?

" Hey Joe waire yu gonna go wiv your gueune ine your hende. "

D'un regard circulaire, j'essaye de choisir dans la pénombre en contrebas le type que je vais défoncer ce soir. Peut-être, ce grand con à moustache bacchantes avec le Stetson de Matt houston et ses bagouzes en or. Ou le petit gros avec le T-shirt des Ramones là-bas qui me hurle des " Go Back to France " .

Et je l'aperçois.

Elle roule du bassin au pied de la scène alors que j'égrène le riff de fin de Hey Joe.  Du haut de ses 18 ans, elle tortille sa houppelande de cheveux blonds en sirotant de la Bud au pied de la scène.

Encore et toujours Judy.

Avec son allure de Dolly Parton prépubère et son court short country en jean. De la jeunesse inculte et souriante tout en nichons comprimés dans un bustier blanc à brettelles et en fesses amidonnée made in Texas. Image d'Épinal d'une Amérique milkshake et pom-pom girl peroxydé.

Si elle se débrouille bien, elle finira serveuse ou pute.

Cette fille n'a visiblement aucune oreille musicale. Elle vient m'applaudir tous les soirs. Et ses yeux bleus, si c'était deux petites bouches dentelées, ils m'auraient croqué depuis un bail. Peut-être qu'elle voit en moi une carte postale de Paris, un genre de tour Eiffel qui chante Imagine avec l'accent de Jacques Delors. Je suis son Johnny Cash à l'accent titi qui écorche de vieux airs de Neil Young - Maye maye hé hé - en osant un " merci beaucoup " en Français après le massacre de la langue de Reagan.

Son con de père m'émasculerait avec un tesson de Budweiser rien que pour lui avoir offert un coca.

C'est mon proprio.

Une citerne a bière qui tient debout grâce à du cristal Meth frelaté et qui me refait de 50 dollars par semaine pour la location d'un mobile-home miteux face au désert.

Judy le sait.

Ça doit l'exciter, je sais pas.

On est con à 18 ans, comme on l'est à 40. Mais à 40, tu es au courant. Ton passé, t'en fais des chansons tristes en la mineur, tu ménages ton foie, et t'essayes juste de ramper un peu plus loin en comptant tes cigarettes. C'est ça qu'il y a dans mes chansons, et dans ma voix pas dégueulasse qui changent les consonnes marshmallow américaines en bloc de glace germanique : la pluie du passé et de gros nuages bien noirs qui délavent le souvenir de Lisa et notre fils, Kevin, telle une aquarelle sous une averse d'orage.

C'est ça qu'il y a dans mes poings furieux pocheurs de paupières.

Le son d'une fracture du nez, c'est le pop assourdie d'un os à moelle entre la mâchoire d'un chien.

Aussi beau qu'un accord de si mineur.

J'ai choisi ma victime.

Le sosie de Kurt Cobain période In Utero, là-bas. Lui qui me hurle des fuck off.

Un grand coup de chaise dans sa tronche acnéique.

Même pas en rêve.

Luxer une mâchoire avec un objet, c'est comme gratter la guitare avec des moufles. De la violence dans un préservatif. Je préfère les poings. Je suis un puriste. Rien que d'imaginer l'épiderme de sa joue se déformer comme au ralenti, changé en pâte à pizza crue par l'impact de mon poing, je vois des mustangs courir dans un champ de fougères humides au soleil couchant, secouant leur crinière blonde.

" Hé, Djoe, iou betteur reun one done. "

Allez-y, sifflez, moquez vous, bande de hippies du désert. Je m'en fous. La prochaine fois, je jouerais du Georges Brassens. Du ferré. Du Gainsbourg. Des artistes baguettes et Camembert, bien de chez moi. Gardez Jimi Hendrix et Lou Reed, je conserve mon coin de parapluie. Parce qu'il pleut en France, vous savez, pas comme sur ce cailloux désertique de Joshua Tree. Il pleuvait sur mon cœur, comme il pleuvait sur la ville, à Paris. C'est là bas que je l'ai laissé, mon chagrin, Kevin et Lisa. Vous, je vous ai importé ma dépression et ma colère. Saurry, elle ne passe qu'en grattant la guitare. Et dans la bagarre. Même si vous sifflez, huez, me chahutez, c'est à Joshua Tree que c'est le moins pire pour moi, mes brothers. Parmi vous et vos cheveux longs, vos barbes broussailleuses, les rêves de poussières que vous échangez telle des cartes Pokémon en sifflant des bières chaudes.

Je termine le génocide du répertoire d'Hendrix sur un Mi majeur - ExExExE - en grattant comme un dératé au médiator pour faire oublier mon anglais d'immigré Froggie. Je laisse sonner l'accord, puis je mute les cordes d'une paume de main. Silence. Judy applaudit pour huit. La vague copie brune de Kurt Cobain, période In utero, crie " Out ! " avec les mains en porte voix. J'arrive mon pote. On va se faire un petit after, toi et moi. Une bonne danse vengeresse. Du haut de la scène, mon cul te contemple. Je desserre la sangle de ma vieille Takamine, je leur tourne le dos et me prosterne mains jointes en prière vers le poster de Dylan pour les emmerder. Je profane la petite gueule d'ange au cheveux courts en noir et blanc de Zimmerman, du temps de Time they are a changin.

Tu verras Bob, un jour, ils m'applaudiront. Un jour, une de mes chansons passera sur Joshua Tree radio, et je jouerais sur la scène prestigieuse du Pappy's and Harriet Pioneertown palace. Et il verront bien, Lisa et les autres. Ensuite, je pourrais me livrer au désert, retourner dans sa matrice, et mourir.

" Alors, Georges comment avez vous composé Vomit in the désert, cette chanson incroyable que vous avez joué sur scène, ce soir ? La foule était en délire. Même Mick Jagger vous a applaudi. "

-- Eh bien, c'est très simple Charlie, ce matin-là après avoir vomi ma cuite de la veille, j'ai gratté ma guitare, et puis... le désert, Charlie, juste le désert (rire de Rocker célèbre à lunette noire avachi dans un fauteuil club, une clope à la main).

-- Et c'est après ça que vous vous êtes enfoui sous le sable du désert jusqu'à ce que mort s'en suive ?

-- Absolument, Charlie. "

Je remercie le tapis de cheveux longs, de stetsons, et de casquettes des Lakers en contrebas en souriant comme Jean Dujardin aux oscars.

" Merci beaucoup. "

En Français dans le texte.

Je quitte l'estrade de bois branlante. Dans mon dos, Dylan regarde ailleurs, comme humilié mais conciliant. Un autre gus à guitare prend place derrière le micro sous les applaudissements. Qu'ils aillent se faire foutre. J'ai lâché prise. Je joue pour fuir la morsure du chagrin. C'est pas pire que mon père qui joue de la perceuse tous les weekend pour se sentir exister et parvenir à bander après quarante ans de mariage. Chacun sa machine à câlins.

Je fends la foule clairsemée vers le comptoir ; la petite Judy me lance un battement de cils langoureux. Je gagne un angle du bar, presque désert, et m'appuie au comptoir en me collant discrètement des claques guérisseuses. Retarder la baston. Boire une bière. Lisa employait la même méthode après nos disputes ; quelques coupures à la feuille de papier sur ses avants bras la remettait d'aplomb. J'inspire fort le graillon et la sueur poudreuse des lieux. Je fixe l'enseigne Budweiser. Elle m'emmène dans un paradis rose bubblegum où les humains s'embrassent derrière des cloisons de verre sans jamais s'adresser la parole, ni demander le divorce. Les tam-tam de la bagarre ralentissent le tempo, jouent en sourdine.

" We need to talk, Georges... "

Ah, Camille...

La petite fille du créateur de ce gourbis et la femme de Josh, le nouveau patron. Prénom français à prononcer   Queumile en anglais - pas que moi qui possède un accent à chier.  Au sommet de la colline de ses seins boursoufflés, j'imagine facilement paitre vingt têtes de bétail et un ranch avec piscine.

" Haillo, Queumile " je lance.

Elle pose sur le zing devant moi une Budweiser. Des perles de glace ruissellent le long de l'étiquette rouge. Je tourne la bouteille brune entre mes doigts en louchant vers Judy. Elle feint de jouer avec son téléphone portable en me jetant des petits regards à la dérobée. Sous l'ampoule jaune, elle a l'air d'une relique sacrée du temps où je me réveillais pendant les grandes vacances en pensant :

" Hé ! Encore une chouette, journée ! Je vais fumer un joint et lire un comic's ! "

Il y a quelque chose dans l'obstination amoureuse des gamines de 18 ans qui ressemble au désert. Sauvage, déterminé, prêt à assécher tout tes fluides corporels d'un coup de langue chaude sans ta permission.

" We really need to talk, Georges. "

Je t'écoute, Queumile.

Wat ze matteur ?

Elle mord sa lèvre inférieure. En langage corporel, ça signifie : t'es dans la panade, mon vieux Georges.

" Tu ne peux plus jouer, ici. Je suis désolé... "

Mon emploi du temps du mardi soir chute au fond d'un canyon, et moi avec.

Bien sûr, il y a le Harriet and Puppies, le jeudi. Le Range, la scène des clodos de Slab City, le samedi. Mais au Joshua Tree saloon, y'a parfois du beau monde. Mon rêve de Bob Dylan frenchie prend un coup dans l'aile.

" Écoute, Camille, je travaille mon accent, je t'assure, j'ai ce CD de cours de prononciation chez... enfin, j'écoute ce truc tous les s...

- Non. Il s'agit de... tu sais, mardi dernier... "

Oh, ce " tu sais-là "...

Queumille ajoute :

" Josh va avoir des ennuis, si ça continue.

- Bordel, Camille, ce type me sifflait comme un criminel nazi, j'ai ...

- Bois ta bière et ne revient pas, Georges. Les bagarres, c'est mauvais pour l'image du Saloon. Je suis désolée. "

Pourquoi les gens se sentent-il obliger de te toucher le poignet quand il te poignarde par derrière ?

" Je suis désolée, Georges. "

Juda aussi était désolé. C'est le mot que j'ai entendu le plus souvent dans ma vie : désolé.

Désolé, mais j'ai du m'attribuer le bénéfice de ta présentation Powerpoint, Georges.

Désolé, mais je te quitte, Georges.

Désolé.

Mille excuses.

Veuillez agréer, cher Georges Adam, à ma cordiale enculade. Avec mes sincères salutations.

Signé  : la vie.

Camille s'éloigne à l'autre extrémité du bar après un dernier regard humide sur ma triste silhouette amaigrie par le désert ; je lui tends mon majeur. Attristée, ses sourcils obliquent vers le haut, puis elle sert un shot de Jack Daniels un client à moustache et casquette de baseball. En douce, je déverse le contenu du pot à cacahuète posé sur le zinc dans ma housse de guitare. Ça fera mon repas de ce soir, saucée au cabernet californien. Je sens le regard imaginaire et désapprobateur de Lisa et de mes parents sur mon menu larcin. Déjà petit je gravais avec mes clés des quéquettes en érection sur les murs fraîchement repeins du hall d'immeuble de l'appartement familial. Je sais pas. Chacun ses petites vengeances. Ce type avait mérité sa raclée. Ok, peut-être pas tant que ça, mais pilonner de la viande d'homme, ça ressemble à une chanson de Nick Drake, ça donne à manger à ton chagrin. Ça vidange le pétrole de ton cœur. Autant que le chant. Après tout ce con m'avait sifflé si fort que je m'entendais plus baragouiner sur scène.

Qu'ils aillent se faire foutre.

Tous.

Le grand Georges Adam n'a pas dit son dernier mot. Même si son compte en banque prétend le contraire. Mon vieux Zimmerman, donne moi encore un peu de temps, et même Lisa viendra m'applaudir au Hollywood Bowl.

Je ramasse ma Takamine sous les petits yeux tristes de Judy qui palpitent comme des petits insectes chagrinés et me traine vers la sortie. Dehors, la poussière et ma vieille Buick m'attendent. La nuit est aussi belle que partout ailleurs, si ce n'est que le désert m'appelle.

J'arrive, beautiful friend.

Mais pas avant d'avoir vidangé ma vessie sur la façade du rade.


  • On y est !!! Chapeau pour le décor et pour le personnage…
    (Keith Richard avec la majuscule à Richard)

    · Il y a presque 6 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • Merci pour ses compliments, Nyckie. C'est le premier chapitre d'un nouveau roman.

      · Il y a presque 6 ans ·
      Poule 2

      Giorgio Buitoni

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