Louis

C'est la première fois que je repense à toi comme ça. Noyée dans mon bain comme si l'eau permettait enfin quelques larmes.

Oh tu sais, j'ai ri, à l'intérieur, quand ton cercueil nous a quitté. Oui j'ai ri, quand l'air des "Copains d'abord" a envahi la pièce. Oh oui, toi, ta pipe, ta guitare, ton Brassens et ta droiture. Tu as été un repère durant toute mon enfance. Je n'ai jamais pu, jamais su, te dire à quel point. On ne dit pas ces choses-là chez nous, on se permet tout juste les sourires maladroits.

Quand on y pense, y a pas de justice, juste des mauvais coups du sort. Qu'est ce que t'avais bien pu faire toi pour mériter une si longue fin. Le bon vivant, l'homme robuste. T'es parti en étant tellement plus toi. On avait mangé ta peau pour mettre un autre homme à la place, petit, chétif et emplit de douleur.

Ta maison c'était mon refuge. Mon image de la famille. Pas parfaite, une image juste avec son gris aussi. Je me souviens des dimanches dans ton jardin, de l'odeur des grillades, des roulades dans l'herbe, des courses sans fin avec les cousins. J'ai pas vraiment eu de père, je me suis dit que ça devait ressembler à ça. Un homme qui aime ses enfants, ça devait ressembler à toi. Oh comme la famille s'évapore avec les années. Ta belle famille, sans plus de père maintenant, sans plus de mère bientôt. Tes enfants, orphelins. Ils sont grands mais toi aussi tu l'étais encore, tellement pour eux.

C'est la première fois que j'arrive à te parler, à voix haute dans la maison. Je suis seule ce soir, t'étais encore un peu là pour moi. Tiens, je vais te mettre un peu de Brassens.

Merci Lili.