Louis le funeste

petisaintleu

Je voulais mourir. Mais je souhaitais donner du temps au temps et je trouvais que les méthodes classiques étaient surannées. Je suis un tantinet coquet. Ça m'aurait gêné que les essieux de la micheline de 7h44 ne me dévisageassent pour me faire danser un boogie-woogie mortifère. À quoi bon préparer un nœud coulant ? Il y a belle lurette que toute idée libidineuse m'avait quitté. La perspective d'un ultime orgasme, aussi nirvanique fut-t-il, me laissait indifférent. Et surtout, j'étais tellement peu dégourdi que j'aurais été incapable de tenir la corde pour être élu le pendu du mois. Quant à une surdose de médicaments, il en était hors de question. Je suis hypocondriaque et je craignais qu'une tentative ratée n'engendrât des complications au niveau physiologique. De plus, je m'étais toujours soigné à l'homéopathie.

Dans une revue scientifique, j'avais lu un article sur l'effet du stress sur les télomères. Ceux-ci sont les terminaisons de nos chromosomes. Il a été démontré qu'un état d'angoisse entraîne leur raccourcissement et un ralentissement de leur activité ce qui réduit les mitoses et conséquemment l'espérance de vie.

Je pense que j'avais déjà quelques longueurs d'avance. Dans mon adolescence, alors que j'aurais dû respirer le bonheur et aller me déhancher en boum sur du disco, j'avais préféré rester enfermé de longues heures dans ma chambre. J'y ressassais mes angoisses existentielles sur le tempo glacial de boîtes à rythmes et de synthés ouatés qui accompagnaient des chanteurs qui ne dépassaient pas les vingt-cinq ans. Les rares fois où je sortais, c'était pour aller à la bibliothèque. Je pense que j'y ai emprunté tout ce que la littérature a de plus déprimant, de Virginia Woolf à Kafka en passant par Becket.

Après mes études, j'ai très vite réalisé que mon premier travail ne me satisfaisait pas. J'avais été embauché chez Happy Fun  ce qui me mit vite au désespoir. Mon entreprise avait été nommée dans le top  5 du Best place to work. C'était l'année du massacre de Columbine. L'idée d'y perpétrer une tuerie ne m'a pas traversé l'esprit. Comment peut-on être assez idiot pour ne pas saisir que les forces spéciales arriveraient sans coup férir en moins de trente minutes pour vous loger une balle dans la tête ? Qui plus est, je suis quelqu'un de l'ombre. Je n'avais aucune envie de passer à la postérité. Comble du cynisme du management bienveillant : j'avais été élu l'employé le plus cool et, derrière les masques d'affabilité, on me jalousait. Malgré mon pessimisme de façade, je ne pouvais m'empêcher de cultiver un brin de provocation en laissant croire que l'avenir me souriait.

C'est un reportage sur la grande distribution qui fut la révélation. De nombreux salariés de l'enseigne Croisement racontaient leur quotidien et la pression permanente sous la houlette de pervers narcissiques. Ils furent trop heureux de m'embaucher tant les envois de candidatures se faisaient rares.

J'avais trouvé mon idéal. Très vite, je compris que j'étais sur le bon chemin. J'arrivais tous les matins la peur au ventre après une nuit blanche. J'alternais des phases de surpoids et de maigreur extrême. Je passais le peu de temps libre à regarder Derrick. Lors de la visite à la médecine du travail, j'avais fait des miracles pour paraître enjoué et pour ne pas risquer que l'on me mette en arrêt pour dépression ou pour une tension artérielle trop élevée. Précautionneux, je me limitais sur la cigarette. Il eut été dommage d'attraper un cancer des poumons qui m'aurait entraîné vers la mort en quelques trimestres. Je voulais contrôler l'heure de ma disparition a minima.

Aujourd'hui, c'est chose faite. Je dois vous avouer que je suis assez fier du résultat qui est celui que j'attendais. J'ai les yeux cernés, la voix caverneuse et les cheveux gris. Les petits fours que j'ai offert pour mon départ à la retraite sont à peine refroidis. Les docteurs ne me donnent que quelques jours avant de débrancher les appareils respiratoires.

Je n'ai qu'un regret : c'est d'avoir engendré deux magnifiques enfants. Je dois avouer que les voir pleurer me donne quelques pincements au cœur.

  • ... cerveau choc ! :o)

    · Il y a presque 4 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • C'est très perso, mais ton texte ainsi que la vidéo choisie, m'a foutou un gros bourdon. PS: ceci n'est pas une critique ...

    · Il y a presque 4 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Pourquoi devrais-je le ressentir comme une critique ? Je trouve ça plutôt bien que mon texte suscite des émotions. C'est ce que l'on essaie de transmettre en écrivant ', non ?

      · Il y a presque 4 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • Tout à fait. Mais trop de coïncidences et puis Cure des années 80 en toile de fond .... ça y et je pieure :o)

      · Il y a presque 4 ans ·
      Gaston

      daniel-m

    • Nuance, du début des années 80 : 17 seconds en 1980, Faith en 1981 et Pornography en 1982.

      · Il y a presque 4 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

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