Lumière…

nyckie-alause

En premier lieu je pris conscience du silence. Comment pouvais-je le qualifier ? Épais comme un brouillard de soir de fin d'été, un qui étouffe la vue la respiration et la vie-même. 

T'ai-je précisé qu'il arrivait à occulter le noir ? Dans ce lieu il ne faisait pas sombre. Quand on dit habituellement il fait noir c'est de sombre dont on parle. Une nuit épaisse n'est que sombre car quelque luminosité perce toujours venant d'on ne sait où, de rien, un je ne sais quoi, un battement, une vibration. 

En premier lieu, dans ce lieu-même, il n'y avait rien, rien du tout. Il me fallut plusieurs minutes et des efforts considérables pour saisir ma respiration, comme j'aurais attrapé un papillon, avec délicatesse, du bout des doigts. 

Comme le début d'un monde en train d'advenir. Je te le raconte. Tu pourras m'interrompre si tu doutes de moi, mais c'est ainsi. Il ne me vient pas d'autre image pour t'expliquer cette genèse.  

Avant, avant moi dans ce lieu, il n'y avait rien de moi que j'aurais pu écrire ou dire. Ma respiration n'était qu'une parmi d'autre. Moi-même étais-je un individu ou une infime partie, un être négligeable porté par le courant sans tentation de remonter à la surface, sans velléité de devenir observateur du dit-monde.

Noire, ma respiration, inconstruite ma pensée, ignorées les limites de mon corps. Je dois contrôler ! Quelle drôle de pensée ! Récapitulation. Le noir, l'air sans odeur, presque sans consistance ? 

— Mais pourquoi parles-tu d'inconsistance pour de l'air ? Ça n'a pas de sens…

Quelquefois la conscience de respirer vient de ce que l'air tu respires a une odeur particulière, de poussière, de sueur, de floraison, d'huile, de combustion, de brioche. Enfin, cet air est chargé de sensations qui t'attirent, te repoussent, te suggère, un souvenir, une couleur, te suggère…

Je frissonne. Ma main droite se pose sur ma cuisse droite et immédiatement la gauche fait de même sur la cuisse gauche. Les deux de concert tapent à petits coups sur mes jambes… nues. Tiens, suis-je nue. Ah non, pas tout à fait. De l'étoffe fluide glisse entre mes doigts, son qui s'ajoute à mon souffle dont la tension s'est accrue en petits sifflements. Du battement unique de mes mains se détache une cadence, un contre-temps, un contre-chant, repris bientôt par mes pieds qui s'impatientent de ne pas sentir mon poids sur eux, « Lève-toi me dis-je. Lève-toi donc ! ». Une injonction que je prononce à voix haute et dont les mots s'éteignent sur des parois que j'imagine proches. Il semble que l'air qui tout à l'heure semblait si peu existant prenne de l'épaisseur. Je me suis dressée dans un noir plus que profond et prête à m'y noyer. La main devant ma bouche me renvoie l'écho de ma faim.

C'est le moment où j'ai eu faim, c'est le moment où je l'ai dit, avec puissance « J'ai Faim! ». C'est le moment aussi que j'ai choisi pour être vivante et pour ouvrir mon esprit et mes yeux. L'un a scruté l'autre comme lors d'une naissance. Les conditions indispensables furent à nouveau réunis pour exister hors de mon ancien monde, hors des ténèbres.

J'ai dû m'inventer un nouveau nom. Cela fut plus facile que ce que j'avais imaginé car un son, un grésillement bleu à précédé l'apparition du néon et son éclairage.

Luce ! Ljocht ! Liort ! Noûr !

Je porte une robe rouge. Mes ongles sont courts. Qui les a donc rongés. La précédente. Comment se nommait-elle. Et puis, quelle importance…

Ma robe est courte. Les murs sont blancs. Une ligne fine délimite un rectangle vertical qui pourrait bien être une porte. J'ai mal au ventre, et à la gorge, d'avoir crié peut-être…

La porte s'ouvre une main tend un verre de lait aussi blanc que le sol, le plafond, les murs, la porte, ma peau. Je n'ai vu personne. Je m'assoies  sur la banquette dure et blanche, je porte le verre à mes lèvres, le lait et tiède avec une saveur sucrée, et à mesure que le verre se vide la lumière s'amenuise puis s'éteint. Je frisonne.

Demain la lumière va revenir. Ma robe sera rouge. M'appellerai -je encore Lumière ?


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