L'un sauve l'autre.

chess

Un samedi pluvieux, un froid mordant, une douleur indescriptible.

Elle est sur le sol, ne portant qu'une culotte noire, ainsi qu'une chemise trop grande, celle qu'elle adore plus que les autres. Elle est à moitié nue, et pourtant cette chemise l'habille mieux qu'une robe de soirée horriblement chère. Elle est là, les yeux sur l'écran, concentrée. Entre ses fines mains, une manette, sous ses yeux : Mario. Elle le manipule, le fait sauter, courir, mourir à sa guise. Elle sourit, parfois, et ses lèvres purpurines forment des mots, des insultes et souvent des cris de victoire. Elle est calme, mais pourtant, son esprit est en ébullition. Elle savoure chaque moment de sa partie, elle soupire, vit avec le jeu. Dehors, la pluie tombe à verse, le vent se déchaîne. De temps à autre, elle sursaute, surprise par la violence de la tempête. Elle souffle, une dernière fois et éteint la console, puis la télévision. Elle reste debout, et colle son nez à la vitre glaciale. Elle attend. Toujours et encore. Elle respire d'une façon irrégulière, et chaque inspiration lui semble être une boule d'épine avalée, puis recrachée. Elle baisse ses yeux noirs, ses yeux miroirs ; et fixe avec attention son pied droit. Elle frissonne, puis compte le nombre d'orteils qu'elle possède. Un doux sourire peint son visage, compter ses orteils c'est n'importe quoi. Et puis quoi encore ? Compter le nombre de bras, de dents, de yeux ?

Elle se recule, et observe l'eau tomber du ciel, et s'écraser violemment sur le macadam. Et d'un coup, sa tête brûle, son esprit menace d'exploser. Elle vacille, se rattrape avec une table, mais manque de peu de tomber. Elle a mal, une douleur effroyable la transperce. Ces maux l'agacent, elle n'en peut plus, elle ne supporte plus de les vivre. Elle reste là, assise sur le sol, l'index et le majeur de chaque main sur chacune de ses tempes, à masser, doucement, en tremblant. Son souffle est court, son cœur peine à battre normalement, la chaire de poule s'est emparé d'elle, elle transpire. De la sueur froide. Ses yeux se vident de vie, elle souffre. Son regard se gèle, et ses paupières se referment, ses lèvres, seuil du souffle vital, s'entre-ouvrent et se sèchent très vite, dévoilant des crevasses, suite à de nombreuses morsures. L'angoisse est devenue son amie, sa maîtresse, sa douceur. Chaque nuit, la peur venait se blottir dans son cou, elle caressait de ses doigts putrides sa joue si rose, si belle, si enfantine. Elle murmure des phrases, et son haleine infecte irrite ses narines. La peur est omnisciente, dans cet appartement. Et elle a l'habitude de s'emparer du corps de cette jeune femme, tous les soirs. 

Inerte, sur le sol, elle restera des heures inconsciente. La douleur ne se fait plus ressentir, elle est comme morte, mais son souffle trahit la vie qui reste dans son corps. Une forme apparaît dans le couloir, elle semble fixer le corps alangui sur le sol. Une petite forme, son ombre noire paraît agile, et ses yeux jaunes transpercent l'obscurité. Elle se mouve, et se rapproche du corps engourdi. Elle se penche, et renifle doucement son cou. Elle se recule, émet une sorte de grognement et repart dans les ténèbres du couloir. Dehors, l'orage s'est mis à gronder et le vent a redoublé d'efforts. Après quelques minutes, elle se réveille. La douleur est toujours présente, mais plus légère. Elle se relève, frotte son cou avec énergie et reste assise, ainsi. Elle étire ses bras devant elle, et observe ses mains. Soudain, elle porte ses deux mains à son visage, et se met à sangloter. Elle pleure, comme une enfant de cinq ans, elle pleure comme une enfant qui aurait perdu son doudou préféré, elle pleure, elle pleure, elle pleure. Elle relève la tête, puis tente de se remettre debout, les larmes coulant toujours. Une plainte, un gémissement de géhenne sort de sa bouche. Elle serre les dents, puis plisse les yeux au maximum, comme pour forcer son corps à relâcher la pression. Une musique retentit dans son crâne, elle l'entend, elle perçoit chaque note.

Une fois debout, elle se dirige vers la chambre à coucher. Elle ouvre la porte, et détaille la pièce comme si elle ne l'avait jamais vu auparavant. Un lit en hauteur trône magnifiquement au centre de la pièce, une largeur collée contre un mur, puis un bureau juste en dessous, avec un ordinateur dessus. Des cadres, des photos sont accrochés au mur. La musique n'a pas cessé. Elle persiste. Une douce mélodie, comme celle dans les boîtes à musique. La jeune femme monte dans son lit, puis s'allonge sur le matelas, pour plonger sa tête dans l'oreille et continuer de pleurer à chaudes larmes. Inconsolable, elle paraît totalement ailleurs, à écouter cette mélodie qui n'existe que dans son crâne. Elle souffre, encore une fois, elle gémit de douleur. Et s'en suit des sanglots interminables.

Alors qu'elle hurle son désespoir, sa rancœur et son mal, un petit félin sort de nulle part. Il roucoule, de sa façon de s'exprimer, puis grimpe une à une les barres de l'échelle. Sa petite taille n'empêche rien, le chaton parvient à monter. Il traverse la masse de couvertures, puis arrive à hauteur du visage de la pauvre femme. Le chat semble s'arrêter, puis contempler la douleur dans les yeux de sa maîtresse. Il s'assoit, et ses iris se dilatent. Droit comme un sphinx, le petit corps se met à ronronner, dès que la femme a posé son regard foncé sur lui. Il semble sourire, de ses babines félines, de ses prunelles chat-oyantes. Elle esquisse un sourire. Finalement, elle n'est pas si seule, cette petite boule de poils grise est là, elle aussi. Elle lève sa main, et la dépose avec douceur sur le chétif crâne du fauve, puis la descend, en suivant la colonne vertébrale du carnassier. Elle sourit, une fois de plus, et le chat redouble de ronrons. Il se love contre elle, enfouit sa tête dans le cou de sa fragile maîtresse. Son ronronnement apaise la jeune femme, elle soupire, respire plus calmement. Elle ferme les yeux, et ne pense à rien d'autres qu'à ce chat. Elle souffle, un grand coup et bloque sa respiration un moment. Le chat s'arrête de ronronner et relève sa tête, il dépose sa petite truffe humide contre la joue de sa maîtresse, et ne bouge plus. Là, joue contre truffe, le temps semble s'arrêter. Plus rien n'existe à part ce chat et cette femme.

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