Luna

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Petite histoire d'un personnage que j'ai créé. Je ne sais pas encore si je vais écrire une histoire plus grande autour de cet univers.

Je m'appelle Luna. Je vis avec ma sœur jumelle, Sol, dans une petite grotte inconnue de l'Homme, accessible seulement durant la marée basse. La raison de cet éloignement est que nous devons limiter au maximum nos rapports avec les Hommes. Enfin, en théorie. Je sais très bien que dès son réveil, Sol se précipite hors de la grotte pour rencontrer de nouvelles personnes. Elle a toujours été comme cela, vive et joyeuse, une vraie boule d'énergie. Pour ma part, je préfère rester prudente et ne voir personne, et aussi, je n'en ai pas l'envie.

Nous ne sommes pas humaines. Sol et moi sommes respectivement les esprits du Soleil et de la Lune. Nous avons deux particularités : premièrement, Sol n'apparaît que le jour, et moi la nuit, par conséquent, même si nous nous aimons beaucoup, nous ne nous voyons que durant l'aube et le crépuscule ; deuxièmement, nous pouvons influer sur les marées selon notre humeur et notre envie, mais nous n'utilisons jamais cette capacité pour éviter un dérèglement ; troisièmement, nous sommes immortelles. Peu importe le temps qui passe, nous garderons notre apparence juvénile, c'est la principale raison de notre retranchement. Si nous nous liions d'une manière ou d'une autre avec un humain, cela ne nous apportera que souffrance et la Lune et le Soleil ne doivent pas souffrir.

Le Créateur, ou Père comme l'appelle Sol, est celui qui nous a créées. Nous ne savons pas pour quelles raisons il nous a placées en ce monde. Selon Sol, c'est pour surveiller son autre création, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Les humains ont deux théories concernant le Créateur : soit il est un être omnipotent qui prend un malin plaisir à voir l'humanité souffrir, soit il est impuissant face aux épreuves de la vie. La première hypothèse est la bonne. Le Créateur est une entité sadique qui s'amuse de nos malheurs, y compris ceux de Sol et moi. Ainsi, j'ai arrêté de l'appeler Père comme je le faisais également avant. C'est Lui qui me maintient dans ce supplice perpétuel qu'est la vie, car même la mort, il me la refuse. Depuis cette nuit de mai 1906, je le hais de tout mon être. Perchée sur le bord de la falaise, je contemple la mer calmement comme j'ai l'habitude de le faire depuis ce jour, tandis que les souvenirs affluent vers ma mémoire. Je me souviens du soir de notre rencontre comme si c'était hier.


Tout a commencé un soir d'automne en 1902. Depuis longtemps déjà, j'avais appris à ne pas me mêler aux Hommes contrairement à Sol. Je restais la plupart du temps dans la grotte à admirer le reflet de la Lune dans cette immense étendue d'eau salée. J'avais beau regarder ce paysage depuis des siècles, je ne m'en lassais jamais. Ce soir-là, la marée était basse, je devais donc sortir un peu de la grotte, me mettant à découvert. J'avais toujours été précautionneuse, mais cette nuit, le spectacle était si magnifique, si captivant que j'avais fait abstraction de tout ce qui m'entourait. Mais je revins rapidement à la réalité quand j'entendis un chant paillard sortir de la gorge d'un villageois soûl. Je m'empressais de retourner me cacher dans la grotte quand j'entendis une seconde voix masculine, dénuée de toute ivresse, sûrement un ami de l'homme soûl venu le chercher pour qu'il ne fasse pas de sottise. Malgré tout mes efforts, je ne réussis pas à résister à la curiosité. Après tout, que pouvait-il se passer ? C'était la première fois que je laissais parler mon intérêt. Je jetai un petit coup d'œil vers les voix, laissant dépasser ma longue chevelure grise. Je pensais être discrète, quand tout à coup, le second homme, celui qui n'était pas ivre, tourna la tête vers ma direction. Je me dépêchai de me cacher, priant de tout mon cœur qu'il ne m'ait pas remarquée. Hélas, mes prières restèrent vaines, car rapidement il héla :

- Hé ! Il y a quelqu'un ?!

Puis, j'entendis ses pas dans le sable se diriger vers ma cachette. Encore une fois, je priais de toute mon âme Père de ne pas le laisser me découvrir, mais il ne répondit pas à mon souhait, une fois de plus. Je vis la tête de l'homme dépasser de la paroi rocheuse. Il devait être âgé d'une vingtaine d'année, avait la peau un peu hâlée par le travail à l'extérieur et un magnifique sourire rieur qui me rappelait beaucoup celui de ma sœur.

- Bonsoir mademoiselle ! Que me vaut le plaisir de rencontrer une si jolie demoiselle dans une grotte ? Seriez-vous par hasard une sirène poussant les marins à la noyade par leur chant ?

Je mis quelque temps à répondre, hésitante :

- Je… Je ne suis rien de tel. Je suis juste une jeune femme souhaitant regarder le miroitement de la lune sur la mer.

- Dans ce cas mademoiselle, nous vous laissons, mon ami et moi, retourner à votre contemplation. Au plaisir de vous revoir.

Je ne répondis rien, néanmoins, je savais au plus profond de mon cœur, que j'avais déjà envie de le revoir. Aujourd'hui, je sais que dès la première fois que je l'ai vu, je suis tombée follement amoureuse de lui, mais à l'époque, j'étais trop craintive et croyais qu'il m'avait lancée un sort.

Suite à notre première rencontre, nous ne fîmes que nous croiser la nuit sur la plage, et à chaque fois, nos discussions duraient de plus en plus longtemps. Je n'ai jamais regretté d'avoir laissé ma curiosité prendre le dessus ce soir-là.

Plus tard, j'appris qu'il souhaitait être marin et parcourir les mers et océans du monde. Il travaillait au port avec ses compagnons mais n'avait jamais fait qu'admirer les bateaux qui accostaient. Je le soutenais du mieux possible dans la poursuite de son rêve, je voulais plus que n'importe qui au monde protéger son sourire. En février 1905, alors qu'il avait enfin réussi à réaliser son rêve, il me demanda en mariage. Peu importait la raison pour laquelle je ne sortais que la nuit, il m'aimait. La fille éperdument amoureuse de l'époque accepta, malgré l'interdiction émise par Père. En mai 1906, alors qu'il était encore en mer, je tombai enceinte. Je ne pensais même pas cela possible. Mais pour Père, ce fut la goutte de trop. Cela déclencha sa colère, et il transforma cette colère en tempête, dans laquelle mon amant perdit la vie. Je savais qu'il mourrait un jour, et je m'y étais préparée. Mais je ne m'étais pas préparée à ce qu'il meure de la main de mon Créateur. Par la même occasion, il me prit, comme punition, mon enfant et effaça les souvenirs de Sol qui avait été ma confidente, me laissant ainsi glisser vers les tréfonds de la solitude.

Depuis ce jour, je ne l'ai plus jamais appelé Père. Depuis ce jour, tous les soirs je contemple la mer. Depuis ce jour je me remémore notre relation passée.Depuis ce jour, tous les soirs, une unique larme coule sur ma joue en souvenir du bonheur perdu. Depuis ce jour, tous les soirs, je me jette du haut de la falaise, priant qu'on me retire la vie, et tous les soirs, je me réveille sur le sable mouillée, bel et bien vivante.

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