M. Singulier -- trois et fin

ristretto

Ne vous attendez pas à ce que je vous décrive la toilette de M. Singulier. Rien de bien original, il se lavait comme tout le monde, enfin comme tout un chacun équipé d'une salle de bains classique sous nos latitudes – eau chaude eau froide et tutti cuanti.

Bien sûr, il y a mille façons de pratiquer les ablutions du matin. Certains, les plus téméraires, se frictionnent énergiquement sous une douche à basse température, d'autres plongent dans un bain moussant, et quelques anonymes préfèrent la toilette de chat - mais ceux là restent muets comme des carpes sur le sujet.

La matinée de M. Singulier se poursuivaient invariablement par les emplettes de victuailles.

Comme je vous le disais au début de cette histoire – « M. Singulier , part one », cherchez l'alinéa vous même, merci – cuisiner était un des plaisirs incontournables de ce monsieur.

Les halles, les marchés et même dans une moindre mesure les « superettes », enthousiasmaient M. Singulier.

Choisir les légumes, les tâter, les caresser, les soupeser, tout en laissant son regard suivre les formes arrondies, pulpeuses et appétissantes des nombreuses clientes l'entourant ( car si l'on en croit les statistiques, il y a plus de femmes à faire les courses que d'hommes sans qu'il ne soit rien dit de leur humeur à effectuer cette tache) lui procurait une riche inspiration créatrice pour les recettes qu'il inventait au retour.

L'hiver son alimentation en pâtissait, car trop souvent il choisissait les choux pommés denses et fermes sous la main.

Il dédaignait les cèleri raves trop ridés et rudes sous sa paume, carottes et poireaux se retrouvaient au fond du caddie sans aucune attention de sa part.

Heureusement les nombreuses variétés de pommes venaient agrémenter le tout.

Mais dès le printemps les plaisirs fruitiers égayaient le moment des courses.

Peau de pêche, lisses et rougissantes tomates, abricots soyeux, pastèques ou melons, il ne s'en lassaient pas.

En fait, il avait depuis belle lurette appliqué le principe diététique dont on nous rabat les oreilles : manger des fruits et des légumes.

Muni de ses provisions, notre honnête homme s'en retournait chez lui sans manquer toutefois de s'arrêter au Tabac Presse du coin de la rue – hormis au mois d'aout, ce buraliste ayant pour habitude de fermer son rideau de fer et de partir quatre longues semaines se la couler douce sous le soleil, là exactement, et nulle part ailleurs.

Donc, les onze autres mois, M. Singulier achetait le quotidien local, histoire de faire comme tout le monde, et une fois par semaine un magasine féminin histoire de rien.

Comment faisait-il au mois d'aout ? Ma foi, je ne saurais le dire, car c'est aussi l'époque de mes congés et de ce fait je n'y suis pas non plus. D'ailleurs, je vous trouve un tantinet trop curieux.

En vérité, je ne sais pas tout de ce monsieur Singulier. Vous avez surement remarqué que je ne donne jamais son prénom. Simplement, parce que je ne le connais pas.

Il pourrait porter Marcel.

Si cette question vous paraît essentielle, nous pourrons en débattre à la fin du récit, et ouvrir pourquoi pas un sondage sur le sujet ; pour l'instant, l'heure est la cuisine.

Mijoter, mitonner, rissoler, rôtir,

fricassée, potée, soufflé,

gratin, marinade, estouffade,

soupes et consommés

Une myriade de partitions, la cuisine et la musique , tout est affaire d'harmonie.

M.Singulier prenait ses repas dans Sa pièce.

Oui, à vos yeux : La Pièce Fourre Tout,

pour lui : un cocon, un port d'attache, un havre de paix,

en vérité la pièce d'un bon célibataire.

Il aurait presque pu se prénommer Alexandre.

Cela faisait quelques années que M.Singulier menait sa vie sans souci entre sonates et velouté de tomates, entre adagio et poule au pot, entre mezzo et entremets.

Rares étaient ceux qui connaissaient son parcours antérieur.

Pourtant, des aventures, des voyages, des rencontres, des amours, des désamours et tout le reste, il en avait eus. Il n'aimait pas se raconter, ou plutôt il n'aimait plus.

Il y avait eu un temps pour cela, et à l'heure actuelle ( au jour d'aujourd'hui comme le dit cette expression très agaçante qui ponctue les discours de milliers de gens très agaçants) il préférait se délecter de plaisirs simples et instantanés (et égoïstement diraient les envieux).

M.Singulier vivait en single béatement.

Nous pourrions à loisir poursuivre le portrait de M. Singulier. Parler encore de ses siestes sur canapé, de ses films préférés, de ses lubies, de ses fantasmes, de ses manies ou de ses petits et grands défauts. Mais tout cela ne nous regarde pas. Chacun a le droit à son jardin secret.

Pour vous comme pour moi, il est temps de clore ce chapitre et l'histoire singulière de M. Singulier.

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