M. Singulier ----- two
ristretto
M.Singulier vivait sans tambour ni trompette, pourtant il était mélomane.
Tous les matins, à l'heure où les braves gens dorment encore d'un sommeil juste et profond – à vrai dire je ne sais ce que cela représente ayant pour ma part le sommeil plutôt léger et approximatif – à l'heure disais-je où les derniers fêtards tentent de rentrer chez eux sans GPS, lorsque les livreurs de journaux croisent les renards urbains ( oui, les renards se sont très bien adaptés à la ville et n'hésitent plus à marauder dans nos cités, mais là n'est pas le propos) M. Singulier, ayant depuis belle lurette avalé un café soluble, s'asseyait droit comme un i au milieu de Sa pièce devant le clavier et composait des sonates.
Depuis que sa voisine Mme Veuve Bleu-Marine lui avait intenté un procès pour tapage nocturne, il s'était équipé d'un casque hifi et d'un avocat dont les conseils étaient inversement proportionnels aux honoraires comme tout homme de loi qui se respecte.
Un vingt neuf février, il avait commencé à écrire une symphonie. Il ne reprenait cette partition que les années bissextiles.
Il vouait aux années bissextiles un culte inconsidéré.
Cette étrange vénération lui était venue à dix ans, un matin d'hiver – relativement ensoleillé d'ailleurs- quand l'institutrice remplaçante toute fraiche émoulue de l'Ecole Normale tout autant que fraichement moulée dans une jupe en jersey, lui avait demandé d'écrire ce mot sur le tableau noir. Le petit Singulier avait eu une révélation soudaine, et quelque peu inopinée, de l'effet concomitant du vocabulaire aux sonorités sifflantes et du jersey soyeux qu'il suivait jusqu'à l'estrade.
Depuis ce jour, il avait trois passions : les années bissextiles, le jersey et les bas de dos féminins – ou si vous préférez les fesses, les popotins, les lunes, les miches et j'en passe.
Pour en revenir à nos moutons, non pas ceux qui attendent sagement sous l'armoire héritée de la grand mère de Normandie, la symphonie – pour l'instant inachevée- magnifiait ce moment d'extase et aussi les textiles modernes.
Pour l'ordinaire, les sonates faisaient l'affaire.
A dix heures tapantes, M. Singulier , profitant que ce fut l'heure de l'aspirateur chez sa voisine de palier, et l'heure de l'essorage 1200 tours chez la voisine du dessus, écoutait sa création en stéréo ( cash, ce n'est pas Eddy) . Pour cette diffusion, il prenait place dans le fauteuil comme s'il eut été spectateur dans une salle de concert. Il applaudissait à tout rompre, puis allait faire sa toilette.
À suivre …
vivement la suite !! (encore, je sais que je me répète, mais est-ce de ma faute si je reste sur ma faim ??)
· Il y a plus de 13 ans ·mls