Ma collègue

Eric

Un quotidien dont on pourrait en rire… ou pas

Comme tous les matins ouvrables, je vais pousser cette porte. Comme tous les matins, je vais apercevoir ce sourire disgracieux m'accueillir telle une lame froide et tranchante. Alors, comme tous les matins – habillé de ma politesse – je lui dirai un bonjour monocorde sans âme espérant ainsi un sursis avant l'assaut. A peine dix minutes se sont écoulés et je la vois se trémousser sur son siège, c'est le premier signe - comme une gamine qui a envie de pisser – de sa joie de raconter son merveilleux et trépidant week-end, je n'y échapperai pas. Elle a la quarantaine passée, a une haute opinion d'elle même malgré sa vulgarité assumée et semble se trouver belle – embourbée dans son surpoids – qui semble la satisfaire de par son regard optimiste, qui ne voit que sa poitrine énorme attirant à elle, le regard des hommes…

S'il n'y avait que cela, me direz vous. La mocheté est tout autant subjective que la beauté mais il se trouve que le désastre, la ruine est aussi intérieure.

Elle approche. J'attends son « Tu sais pas ce qui m'est arrivée ». Et ben sûr, il tombe. Comme un couperet, et trop bien éduqué ou trop con je lui réponds « Quoi ?» L'erreur fatale, le bug.

Une longue litanie s'ensuit, un chapelet de banalités qui n'intéresse qu'elle, qui vont des ses performances de bricoleuse du samedi après midi, à ses facilités pour le sexe le samedi soir, ainsi que ses relations en montagnes russes d'avec sa mère à moins que ce soit l'inverse, de toute façon cela me fait ni chaud ni froid. C'est un moteur qui ronronne, comme un climatiseur qui m'enverrai son haleine chaude et je me dis seulement à l'intérieur de moi « si tu savais ce que j'en ai à foutre ». Mais voilà, il se trouve qu'elle m'aime bien. Je ne fais rien pour, je ne sais pas pourquoi, mais elle m'aime bien. C'est compliqué pour moi de lui dire que ce n'est pas réciproque. Pas envie de la blesser malgré tout, toujours cette putain de politesse, mais du coup, je suis devenu le public de son one woman show, dommage que ce soit si mauvais. Alors drapée dans sa fausse modestie, qui se voit comme le nez au milieu de la figure, elle éructe, elle murmure, elle ponctue de ses propres rires, les évènements de son week-end pastoral, pourtant aussi plats que le pays de Tintin.

Néanmoins, avec insistance et force de détails, elle me décris et mime chaque action comme si elles étaient primordiales à la vie de tous, dans un récit tumultueux et rocambolesque ses soirées « filles », au cinéma, dans les bars et restaurants ou encore chez untel ou autres et toutes ses activités diverses et variées et je repense à ce nombre incalculables de fois qu'il fini par me sembler permanent, ou elle s'est plainte de son salaire rase motte – alors, que si je devais le reporter à sa productivité - ce serait aussi indécent qu'un gagnant de loto.

Dix sept minutes qu'elle s'écoute et que je fais semblant, puisque je travaille en même temps. J'ai l'impression d'être son psy, je ponctue évasif, par des hum hum ou des « Ah oui ? », ce qui suffit amplement pour relancer cette mascarade, car dans ce dialogue à sens unique, je sais qu'elle ne me posera pas de questions sur moi, cela ne l'intéresse pas puisqu'elle ne serait pas dans mes réponses.

Au fond je suis presque impressionné par cette capacité à se dévoiler autant sans pudeur et retenue, avec aussi peu de filtres pour sa vie privée alors que l'on est pas ami, pas proche.

Dans ces dix sept minutes, en gros, parce que j'aurai zappé certaines choses, j'aurai appris, qu'elle a installé un grillage dans son jardin de douze mètres de long, que son gamin lui a menti à propos d'un devoir de math, qu'elle a mis un videur de boîte nuit, super mignon, à ses pieds, qu'elle a mangé une pizza en forme de cœur, qu'elle a fait un gâteau au chocolat qui était trop bon, qu'elle a mangé chez sa mère, mais qu'elles se sont prises la tête à propos de l'éducation des chiots qu'elle vient de récupérer. Et vous savez quoi. Tout s'est terminé, non pas parce qu'elle était essoufflé, non pas, parce que je lui ai dis merde. Non. Juste parce que son téléphone a sonné et que cela lui donnait l'occasion d'avoir un autre public. Il est 9h34, j'ai traité deux dossiers et elle n'a toujours pas commencé, je n'arrive pas à lui trouver des excuses malgré l'insistance des autres à répéter qu'elle a ses mauvais côtés, certes, mais qu'elle est aussi rigolote et généreuse. Hélas, je n'arrive plus à le voir, elle prend trop de place, c'est un nombril cacophonique, qui me fait l'effet d'une craie qui crisse sur le tableau noir de mes journées.

Mais qu'est ce qu'elle peut bien dire à ses vraies amies ?

  • Bien brossé le portrait! et pour moi, ta collègue,elle est folle de toi!

    · Il y a presque 9 ans ·
    B

    yseult

    • J'espère que non ! :) De plus, je suis à un âge ou l'on sait celles qui vous aime et celles qui vous désire, puis Narcisse n'aime que son reflet et l'écho de sa voix

      · Il y a presque 9 ans ·
      Default user

      Eric

  • Tu devrais participer au concours Les portraits de l'irrévérence !

    · Il y a presque 9 ans ·
    1

    yellowfrance16

    • c'était justement dans ce cadre là mai j'ai oublié de le préciser, pas trop l'habitude, trop occasionnel :)

      · Il y a presque 9 ans ·
      Default user

      Eric

    • j'espère qu'elle ne lira jamais ton texte :)

      · Il y a presque 9 ans ·
      1

      yellowfrance16

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