MA ROSE

danmarron

ROSE

            Vendredi 8 janvier 2010, il est 14H15. Un attroupement d'une dizaine de personnes s'est formé autour du corps d'une femme. Des témoins l'ont vu se jeter par la fenêtre du douzième étage. Maintenant, son corps ensanglanté, sans vie gît sur le sol telle une poupée chiffon désarticulée dans une mare de sang. « Les secours ont été appelés, ils ne devraient pas tarder à arriver ! » dit un bado. « C'est incroyable de faire ça, elle parait ci jeune ! » rajouta une autre personne. « C'est la dame du douzième ! Mais quelle idée lui a prit de faire ça ? » Rajouta un des témoins.

            Le même jour à vingt heures, Pierre Martin rentre chez lui après sa journée de travail à l'usine de caoutchouc, la plus grosse entreprise de la région. Certes sa société n'était pas loin mais depuis des années, il avait pris pour habitude de passer par le « Bar du cinéma » avec Jean et Thierry, deux collègues. C'était l'endroit où pendant une heure avec ses deux compagnons, tous les soirs ils refaisaient le monde. C'était même devenu une coutume. Tout y passait, la politique, le foot, les derniers ragots,... Chacun y allant de son discours et surtout de sa tournée. Quand ils se séparaient, c'était légèrement éméchés qu'ils rentraient chacun dans leurs foyers. Comme tous les soirs, Pierre passait toujours par la petite entrée derrière le bâtiment pour prendre l'ascenseur. Ainsi il évitait tous ces « Bonsoir ! » hypocrites des voisins. Ce soir là, il rentra dans l'appartement et sa première impression fût qu'il y faisait très froid. « Qu'est-ce que c'est ce bordel ! » pensa t'il en s'engageant dans le couloir et ouvrant nerveusement toutes les portes afin d'en contrôler les fenêtres. « Merde alors ! Qu'est ce que Rose a foutu ? Eh ! Rose t’est là ? », Se mit il à crier. Aucune réponse. C'est en arrivant dans la cuisine qu'il trouva l'objet de son tourment. La fenêtre y était grande ouverte. Il se précipita sur celle-ci et la referma d'un geste ferme. Pierre commençait à avoir les nerfs. C'était la première fois qu'il rentrait chez lui et que Rose était absente. Où était-elle ? Peut être chez la voisine, pourtant il lui avait interdit d'y aller. C'était une mauvaise femme. De plus célibataire toujours très bien habillée mais qui pouvait tourner vite la tête à Rose en l'incitant à sortir, faire du shoping, ou autre... Non, elle ne pouvait pas y être. Pierre constata que le repas n'était pas fait non plus, la table pas mise. « Bordel de merde mais qu'est ce que c'est que ce foutoir ! ». Il ouvrit le réfrigérateur et se décapsula une bière pour reprendre ses esprits. Mais plus le temps passait, moins il arrivait à maîtriser sa violence. Et violent, il l'était grandement.

            Quinze années plus tôt, Rose et Pierre s'étaient rencontrés au cours d'une soirée. Les vingt ans d'un ami commun. Entre eux, ce fût le coup de foudre immédiat. Pierre, âgé de vingt trois ans était un grand gaillard, cheveux brun mi long et d'un tempérament toujours enjoué et cool. Il travaillait comme contrôleur des produits finis. Rose était une jolie plante d'une vingtaine d'années, petite, fine aux cheveux long et bruns. Douée pour les études, elle était en troisième année de droit. A la suite de cette soirée, ils ne se quittèrent plus. Quelque semaines plus tard, elle s'installa chez Pierre qui possédait un petit appartement situé au douzième étage d'une tour nommée « Les bleuets » dans un quartier relativement calme. Les premiers mois se passèrent dans l'insouciance, le bonheur partagé entre sorties cinémas, restaurants, théâtres, week-end à la mer. C'était l'idylle totale. Si bien qu'un soir, Pierre demanda Rose en mariage. « Tu sais Rose, tu es trop belle, trop intelligente, trop tout quoi. Je t'aime au delà des limites et je voudrais t'épouser, que tu devienne Madame Martin ». Rose était sur un nuage et accepta la demande sans retenue. Ils se marièrent. Ils se dirent « oui » pour le meilleur et pour le pire ». Les mois passèrent. Rose avait décroché un poste dans un grand cabinet parisien. Pierre, lui, continuait son métier d'employé. Mais quelle que chose commençait à naître en lui. Un sentiment étrange. Cette fierté qu'il ressentait depuis le début, de vivre avec Rose, de sortir, de « la montrer » commençait à se transformer en jalousie. Un soir, il dit à Rose : « Tu sais, ça m'embête que tu sois obligée d'aller travailler pour le foyer. J'ai bien réfléchi et je pense qu'avec mon seul salaire, on doit pouvoir s'en sortir. Comme ça, tu pourrais rester à la maison pour t'occuper que de toi, enfin de nous ». Rose fût très surprise de cette annonce. Mais toujours toute amoureuse qu'elle était, elle pesa le pour et le contre et en conclu que ce serait peut-être une bonne idée. Elle pourrait mieux s'occuper du foyer, préparer de meilleurs petits plats et être plus disponible pour son mari. Rose accepta. Et qui sait, pourraient-ils avoir un enfant. La chaire de leur amour.

            Les mois passants, Rose était devenue une parfaite femme au foyer, une bonne ménagère. Elle faisait toutes les taches ingrates telles que, lavage, repassage, ménage, courses, cuisine, … avant vingt heure. Elle savait que Pierre aimait l'ordre et que le soir venu, harassé par sa journée de travail, il lui fallait trouver du réconfort dans un milieu serein et chaleureux. Rose, ne s'accordait donc que quelques moments de répits pour lire ou regarder la télévision. Cette situation lui pesait mais elle était amoureuse. Puis il y eu cette soirée organisée pour l'anniversaire de Clémence, une amie du couple. La préparation, choix du costume de Pierre et surtout la tenue vestimentaire de Rose. Pierre avait opté pour son costume bleu marine (le seul qu'il possédait) et une chemise blanche. Rose de son coté avait choisi son petit ensemble rose fuchsia composé d'une robe courte et d'une petite veste. Cet tenue, elle ne l’avait lus mise depuis des lustres. Pierre, lui rappela qu'ils allaient à un anniversaire et qu'il n'était peut être pas nécessaire de se vêtir ainsi. « C'est une des seules occasions que j'ai de mettre cet ensemble » Lui avait-elle répondu. Il y avait beaucoup de monde ce soir là. Le dîné fût parfait, quoique fortement arrosé. Puis vînt la soirée dansante. Sur une musique des années 80, la moitié des convives se levèrent pour aller dandiner devant la scène où se trouvait le disque jockey. Rose et Pierre, eux étaient restés rivés sur leur chaise. Il avait entamé une conversation sur le déclin du parti communiste en France depuis ces vingt dernières années avec son voisin de table. Chacun défendant son point de vue en terminant les quelques carafes de vin rouge que les convives avaient laissé. Un bel inconnu vint inviter Rose à danser sur un morceau de Scorpion « Steel loving you ». Elle accepta volontiers car les propos de son mari et de son acolyte la dérangeait fortement. Entre deux pichets de vin, Pierre aperçu au milieu de l'assemblée Rose et son inconnu enlacés tout deux sur ce slow. Il laissa tomber son interlocuteur et fonça sur le couple enlacé. D'un geste brusque, il les sépara. « Qu'est-ce que cette façon d'être comme ça en public ? Tu t'es vue ? On aurait dit une s..... en chasse ! » Il prit Rose fermement par le bras et revinrent à la tablée.

            En rentrant chez eux le soir, Rose était triste, amère même d'avoir dû subir une telle honte devant tant de monde. Pierre s'étant aperçu qu'il était peut être allé un peu trop loin, se confondit en excuses. « Tu sais Rose, pardonne moi pour tout à l'heure, j'ai été bête de m'énerver comme ça. Mais tu es si belle que je ne supporte pas que quelqu'un d'autre que moi puisse te toucher, même pour danser ». Rose ne répondit rien et alla se coucher.

            Les semaines, les mois passèrent. Pierre rentrait désormais de plus en plus tard et assez fatigué. Sa pause au « Bar du cinéma » se prolongeait jusqu’à très tard. Quand il arrivait, les questions et les réflexions commençaient à pleuvoir. « Qu'as-tu fais aujourd'hui ? », « On mange encore ça ! », « Qui as-tu vu ? », « Il y a eu des coups de fil ? », … Rose devait répondre de son mieux à ces interrogatoires en devant toujours feindre la bonne humeur. Mais dieu sait si ça lui pesait de voir son mari dans un tel état. De plus que certain soir, il devenait complètement malade et commençait à en vouloir à Rose de sa pseudo stérilité. Même que lors d’une soirée identique aux autres, il arriva avec un chiot. « Tiens, c’est un bébé labrador ! A défaut d’enfant, tu auras un chien ! » Rose, comme d’habitude encaissa le coup sans dire mot. Elle avait capitulé, elle se laisser aller. Fini le maquillage, les jolis vêtements, le raffinement. Pour quoi, pour qui devrait-elle se pomponner ? Depuis des mois, elle ne voyait plus personne. Ses seules sorties étaient d'aller à la supérette. Pierre avait réussi à écarter toute personne pouvant nuire à son équilibre mental. Même sa famille avait été éloignée de leur entourage. Une vie de recluse, voilà ce que Pierre avait réussi à donner à sa Rose. Il était loin le temps de l'insouciance, des sorties, des week-ends à la mer, des parties de franches rigolades. Elle qui s'était imaginé une vie faite que de douceur, de tendresse et d'amour aujourd'hui se voyait faner à vue d'œil. Heureusement, elle ne pouvait pas enfanter et c’était mieux ainsi.

            Pierre sorti de ses songes pour aller chercher une autre bière. Puis, revenu sur le canapé, commença à vociférer des insultes envers Rose. « Mais bordel où est-elle ? Ah la vache, elle s'est tirée ou quoi ? » Il fonça dans la chambre vérifier dans les armoires si ses fringues y étaient toujours et fût vite rassuré de voir leurs présences. Si elle était partie, elle aurait pris au moins des affaires se rassura t-il. Donc elle n'est pas loin. Elle va rentrer d'un moment à l'autre.

            Pierre revint s'asseoir dans le canapé non sans avoir fait au préalable un détour par le réfrigérateur. Les bières ainsi que les apéros pris précédemment commençaient à lui tourner la tête. Mais dans ces cas là, au lieu de somnoler, la violence prenait le dessus. Il alla d'un pas chancelant vers la cuisine et commença à casser quelques assiettes sur le sol se disant que Rose en rentrant aura du travail à faire au lieu de penser à ses batifolages. « Eh merde ! Plus de bière ! » Il se rua sur le bar afin d'y dégoter une bouteille de whisky. Il en but quelques gorgées au goulot puis dans un dernier moment de lucidité, alla se coucher avec sa bouteille. « Ne tenant plus debout, autant que je me finisse couché ! » pensa t’il. En effet, il était deux heures du matin lorsque Pierre sombra dans un sommeil profondément alcoolisé.

            Le samedi 9 janvier à 6 heure 30, il fût réveillé par la sonnette de la porte d'entrée. Comme il tardait à émerger, des coups de poing commencèrent à tambouriner. « Gendarmerie ! Monsieur Martin, ouvrez nous vite, nous savons que vous êtes là ! Nous avons quelque chose de très grave à vous dire ! ».

            Le premier reflex de Pierre fut de constater que Rose avait découché et malgré son mal de crâne, d'un pas chancelant, il alla ouvrir sa porte. En effet, deux gendarmes étaient sur le palier.

            « Monsieur Martin, je suis l'officier Legrand. J'ai quelque chose de très tragique à vous annoncer aussi nous aimerions pouvoir rentrer chez vous et que vous vous asseyez ! ».

            Pierre s'exécuta. Qu'allait-il lui annoncer ? Qu'avait-il fait pour avoir une visite aussi matinale des forces de l'ordre ?

            « Voilà Monsieur Martin, nous sommes ici pour vous annoncer une terrible nouvelle. Le décès de votre femme madame Martin Rose hier Vendredi 8 janvier 2010 à 19H15. Les premières constatations nous permettent de penser à un suicide. D'après des témoins, votre épouse se serait jetée de la fenêtre de votre cuisine. Elle n'a pas survécu à cette chute ».

            Pierre n'en croyait pas ses oreilles.

            « Mais pourquoi a t-elle fait ça ? »

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