Ma trajectoire jumelle
la-fille-d-octobre
Il est des rendez vous qu'on ne peut rater , surtout celui là ...
La cabane était sommaire mais ce n'était pas le confort que j'étais venu chercher. Après avoir déballé mes affaires je m'empressais de me préparer à cette rencontre. J'étais aussi agité que pour un premier rendez-vous amoureux. Ce n'était pas des papillons que j'avais dans le ventre à ce moment-là mais plutôt une sarabande d'éléphants. Tout était prêt et j'avais pris soin de faire une liste pour ne rien oublier. L'empressement de marquer mes rétines pour toujours se faisait sentir au rythme de ma respiration et tout mon corps exprimait la joie. Je pouvais bien devenir aveugle après cela je m'en fichais complètement. Il fallait marcher quelques minutes dans la neige pour atteindre le lieu qui se méritait mais rien ne pouvait m'arrêter pour cette rencontre unique et magique, pas même mon souffle coupé. J'atteins un espace assez dégagé, les anciens avaient pris soin de laisser là quelques bancs en pierres pour s'y installer. La nuit était silencieuse comme impatiente elle aussi de danser avec les étoiles. J'y étais enfin, là, posé, les poumons brûlés par le froid, m'amusant de voir autant de fumée sortir de ma bouche. Le silence était sourd sans doute amorti par le lourd manteau de neige. J'entendais les battements de mon cœur, je sentais ses vibrations et je me laissais balancer par celles-ci. Les yeux accrochés au ciel je pouvais enfin me laisser transporter par ce premier acte qui avait pour actrice principale la voie lactée. Je me tenais debout face à la noirceur de l'espace piqué d'astres éclatants. La nuit je me sentais vivante loin de l'agitation du monde, je savais que cette nuit serait spéciale et que ma suprême compagne serait la déesse de l'aube. Mon regard grand comme des baies vitrées gigantesques rendait la nébuleuse encore plus profonde, comme si nous pouvions nous y perdre pour l'éternité. Je me rappelais admirer le ciel lorsque j'étais enfant depuis le balcon de ma chambre, ses immenses immeubles qui nous entouraient et m'obligeait à me mettre sur la pointe des pieds. Le ciel paraissait tellement loin et inaccessible que je me mettais à rêver que nous étions à la campagne et que nous avions pour seule compagnie des arbres millénaires. La voute céleste semblait si vivante avec tous ses points qui brillaient là-haut que je m'amusais à les compter, mais cette nuit le ciel, j'étais dedans. Cette imminence ne sera pas anodine dans l'absence des vallons, comme tout droit sorti d'un monde illuminant de grandeur et de somptuosité un arc diaphane. La nature réveilla posément son visage aérien pour faire face à la naissance de cette galopade étoilée. Les arbres en ombres chinoises se tenaient par la main et servaient de témoins à cette seconde suspendue qui allait faire danser mon cœur lorsque que la belle apparaitrait. Je me souviens de ce que ce père que je n'avais rencontré qu'une seule fois m'avait raconté sur ses souvenirs de voyages. Il m'avait confié un secret et je l'avais conservé au creux de moi comme mon seul héritage. Un secret de sages du fin fond des âges, une intime confidence qui aujourd'hui prenait tout son sens car il ne suffisait pas de voir, mais il fallait aussi savoir écouter, percevoir les aurores boréales. Elles produisaient des sons, parfois même une mélodie, on pouvait y déceler des bruissements ou des vibrations et si nous tendions nos oreilles et que notre cœur était assez pur alors elles nous parleraient avec des éclats de voix. Il y avait des hommes qui avaient réussi à capturer ce langage pour montrer au reste du monde que la magie existait. Peut-être était-ce là la clé en chacun de nous, ce pourquoi nous étions ici et ce de quoi nous étions faits. Une poussière d'étoile qui nous composait et qui plus que jamais cette nuit-là m'inviterai à rejoindre mon hérédité. L'humanité toute entière venait de ce champ astral. Voilà ce qui me restait de ses mots, je ne pouvais les oublier ni m'y soustraire. Ainsi toutes ces années je me faisais la promesse d'y aller un jour, de n'avoir qu'un seul rendez-vous pour enfin savoir ce que c'est que de sentir le linceul de notre terre glisser comme un tapis roulant, respirer enfin le parfum de l'univers et connaitre cette ivresse. Je voulais plus que tout me saouler du bruit sourd de cet atmosphère. Il ne pouvait y avoir de hasard, nous étions bien la somme des choix que nous faisions, que ce soit dans le bien ou dans le mal. C'est comme ça que j'ai choisi de venir ici tout près du lac Myvatn car c'est là que je voulais être pour être encore plus présente dans cette vie. Je n'aspirais plus que jamais à être loin du chaos et me laisser guider dans le royaume d'Ullur et ses légendes. Exister ici et maintenant, me transformer en cette essence tangible et manifeste descendant du berceau de ma destinée. Je n'avais plus qu'un seul désir devenir la gardienne de ce sanctuaire sacré dans un espace-temps consacré. Pour la première fois de ma vie j'étais assise au bon endroit et au bon moment. Le vent se leva, il était tendre et à la fois mordant et c'est ainsi que je vis se dessiner de larges trainées verdoyantes, des âmes dansantes aux majestueuses arabesques ondoyant dans la nuit polaire. Voilà que l'aurore prenait forme et ne semblait vivre que pour moi, ondes chatoyantes, fureur de couleurs et de nuances qui se mélangeaient. C'était magnétique, envoutant, j'assistais à la plus grandiose des cérémonies. Mes yeux étaient embués de tant de beauté, mes larmes coulaient et je mesurais toute la chance que j'avais d'assister à un tel spectacle. Je me remplissais encore et encore, je me nourrissais telle une boulimique un jour de jeun. Je sentais la tocante de ma poitrine s'affoler mais je pouvais bien mourir puisque je vivais ce dont j'avais toujours rêvé. J'étais debout là, à présent je n'avais plus que 10 ans, mais une mélodie me rappela à l'ordre, mon concentrateur d'oxygène était presque à vide, sans m'en rendre compte j'avais retiré mes lunettes pour respirer malgré la promesse solennelle que j'avais faite à mon pneumologue. Je savais que je ne retournerai pas à ma vie, c'était mon choix, ma fatalité, ma façon à moi d'écrire mon point final. Je suffoquais mais paradoxalement je respirais enfin, libéré de tout. Je sentais ma tension s'adoucir, je n'avais plus mal, je ne souffrirai plus, cette nuit j'étais le ciel.
J'avais envie de lui tenir la main... Mais elle n'avait pas besoin de moi.
· Il y a presque 7 ans ·Magnifique
nicolas13
C’est extrêmement émouvant. J’ai vu ce ciel
· Il y a presque 7 ans ·isa-bleue
Merci Isa-bleue je voulais vraiment que le lecteur s'y retrouve ; )
· Il y a presque 7 ans ·la-fille-d-octobre