MacAtheir ou Génial par défaut
koss-ultane
Un souvenir par procuration est toujours un souvenir, non ? Moi, je dis que j'ai bien fait de demander. Même si ça n'a pas marché.
J'étais un laborieux scribouillard qui n'avait trouvé qu'un éditeur sonné par le combat de trop contre un frère surdoué de l'édition volant de succès en succès et ne laissant que l'underground à ce frère aîné et désargenté pour s'exprimer la tête haute avec tous les risques que cela supposait de trauma crânien en milieu souterrain. Bref, lui, mon éditeur zinzin, qui d'habitude me lâchait royalement la grappe en matière de délais, de contenu, de contenant, m'appela pour me convoquer dans sa miteuse tanière de diffuseur apte à ne retenir que les nullards de mon espèce. J'arrivai mollement en son repaire. Il bondit à l'unisson de sourcils broussailleux et d'une paire de paluches d'étrangleur vers un plafond si craquelé que l'on en apercevait les solives voisines. “Moi qui ne cherche jamais à me racheter, je vais pas tarder à l'être en catalogue” pensai-je. Il avait soixante-quinze ans mais en paraissait deux-cent-quinze de plus. On aurait dit un Sharpey croisé avec un pruneau tellement il était ridé. Il me faisait penser à Charles Vanel, l'air rigolard en plus, la francisque en moins. Chez les Demeisteer, il y avait quand même des choses qui ne se faisaient pas. De toute façon, juifs, communistes et directeurs d'un établissement pour attardés mentaux, son papa et son tonton avaient très vite appris à courir en zigzag dès le début des années trente dans leur Antwerpen originel et doucereusement antisémite avant même que le Sémite n'existât en ses murs. En forme d'arche au-dessus de son bureau, une étreinte gerbative subie, au relent de tabac froid et haleine de poney mort plus tard, je m'affalai dans le minuscule office sur le pliant réservé aux invités. La crainte de voir tout ce qui faisait l'étage du dessus nous visiter à l'impromptue en snobant l'escalier, mon absence de musculature et la carence en accoudoirs et dossier de mon assise faisaient que je m'effondrais sur moi-même, les épaules tombantes comme fondues à la bougie.
_ Alors, l'écriture ?! Ça avance, coco ?
_ Pourquoi l'édition recule, caca ?
_ Ha ! Il est terrible ! Non, j'ai pensé : pourquoi tu ne ferais pas comme les autres écrivains ? Que tu ne partirais pas t'isoler pour être au calme et te concentrer sur ton œuvre en cours ?
_ Peut-être parce que je n'en ai absolument pas les moyens ? Et que, du coup, je n'en ressens pas le besoin ? Une chance. Peut-être est-ce aussi parce que je vis dans l'arrondissement le plus dépeuplé de Paris ? Qui plus est sans jamais sortir de mon immeuble ? Que je survis dans cinq mètres carrés en sous-pente et que mes uniques instants de socialisation de la journée sont, “preumio”, la file d'attente matinale devant le chiotte sur le palier et, “dernio”, à seize heures, une pause thé avec un Finlandais de deux mètres et soixante-cinq kilos qui perche à l'autre bout du boyau qui nous sert de couloir et ne jacte pas un mot de français ?
_ Non, mais ce n'est pas pareil que de partir et de se dépayser un peu.
_ Vous êtes le seul “presque Français” que je croise tous les six mois environ. Je n'ai ni télé ni radio et ma seule fenêtre est un opaque vasistas braqué sur un firmament étoilé de guano avec de temps en temps, les jours de fête, un cul de pigeon qui passe dans le cadre. Je crois bien n'en voir pas assez de mon pays pour me dépayser.
_ Ouais, mais t'es mon meilleur vendeur avec tes “conneries” comme tu les appelles…
_ Ah ! Merde ! On en est là. Ça va si mal ?!
_ Mais non ! Pas du tout ! Au contraire, je viens de toucher le jackpot. Un héritage à la con ! Des gens que je ne connaissais même pas !
_ C'est l'avantage des larges parentèles éclatées. T'échappes au repas de famille et tu récupères l'argenterie à la première grippe rigolote qui passe à la maison de retraite.
_ Ha ! Il…
_ Donc ! tonnai-je en me grattant le cul de façon ostentatoire avec double grimace de contorsion puis de soulagement afin de bien faire passer le message en levant une fesse et un oeil inquiets vers un plafond bientôt ajouré.
_ Je sais que tu as un petit faible pour Rome. Hein !? Tu pourrais arrêter de te gratter le cul quand je te parle de Rome ?!
_ Oui, si ça vous fait finir plus vite bien que je ne voie pas l'incompatibilité de la chose.
_ Rome au printemps. Faudrait être fou pour refuser !
_ Et pourquoi pas Tombouctou pendant que vous y êtes !? Voyager pour voyager, ça me fait chier.
Il remarqua immédiatement l'accentuation de mon air de fatigué de naissance. Je le vis fouiller dans sa vieille argumentation d'ancien bonimenteur. Comme si l'on pouvait passer la main dans le domaine de l'embellissement de la médiocrité en camelotant ce qu'il avait toujours cameloté. D'ailleurs, n'était-ce pas ce qu'il faisait avec mes rares feuillets invendables ?
_ Un peu de soleil te ferait du bien, t'es blanc comme un caca de métier…
_ C'est normal, je suis blanc et hygiénique, tout le monde ne peut pas avoir une douteuse tronche de métèque. De toute façon, le complexe de supériorité m'est inaccessible avec mon voisinage finlandais à longueur d'année, c'est lui la peau de bidet et moi le basané. Et je prends mes rares vacances en Ecosse, en janvier, c'est vous dire si le soleil m'intéresse. Et puis surveillez vos expressions s'il vous plaît ! Sinon on va avoir le lobby des produits laitiers sur le dos. En même temps que tout l'étage du dessus, susurrai-je.
_ Bon ! Va pour l'Ecosse ! C'est magnifique…
_ Z'y avez jamais foutu les pieds !
_ Non, mais j'ai la chaîne “Voyage”…
_ Z'auriez la chaîne “Transit”, seriez plus mon éditeur.
_ Parce que ?
_ Passeriez moins de temps aux chiottes à lire mes conneries.
_ Ha ! Il est terrible ! Formidable ! Je t'appelle pour te dire où et quand tu pars, coco.
_ Et tout ça on pouvait pas se le dire au téléphone, caca ?
_ Je n'aurais pas eu le plaisir de te voir, grand nigaud !
_ Ah ! Parce que vous ressentez du plaisir à me voir. La cataracte en plus d'Alzheimer. Ha ! Il est terrine ! Formidiable ! Oui, on sait.
_ Ha ! Il est terrible !
“Les maladies incurables aussi” relevai-je en sortant après une poignée de main condescendue à un aspirant vieillard se gondolant gravement. “Bon, va pour l'Ecosse !” répétai-je à l'unisson de mes aspirations les plus enfouies. L'était content, coco ! J'adore cette contrée perchée. Quand dans un pays, les villes, les villages et les campagnes sont géniaux, on part déjà sur un bon pied, non ? Au hasard de ma mémoire, seul le coin du Loch Ness n'est pas terrible. Et c'est précisément l'endroit de l'arnaque touristique nationale. Mais est-ce un hasard ? Bref. Ma valise me servant de table de chevet dans mon grand placard-studio, j'eus vite fait de fourrer le contenant dans le contenu. Deux jours après, je reçus ce coup de téléphone totalement inattendu. Le château de MacAtheir serait mon point de chute. Un coup d'aile, un salut à Edimbourg et j'étais dans un autocar hésitant sans cesse entre la droite et la gauche sur des routes saoules. Notre omnibus s'arrêtait si fréquemment qu'il paraissait hoqueter ses passagers un à un dans les lieux les plus improbables. Nous ne marquâmes pas un seul arrêt officiel, départ et terminus exceptés j'imagine. On lâcha une sub-claquante sur la rive d'un lac noir, un pécore devant une tourbière s'étendant à perte de vue, un autre type exactement au milieu d'un nul part ayant l'air de le ravir puis qui devant une bergerie éventrée, qui derrière un muret en pleine lande et enfin Mactruc devant un grand arbre en bord de rien d'autre que la route. Enfin, ma pomme roula devant une grille en fer forgé te faisant immédiatement te demander comment tu allais pouvoir entrer sur les terres du gland Gampbell avec tes seuls bras de flûtiste pour pousser ce monstre clos avant de découvrir, soulagé, la petite porte en bois sous lierre qui la jouxtait timidement. Me voici petit bonhomme de Sempé perdu dans un immense décor. C'était vert, sylvestre, taillé avec soin. Un jardin anglais pouvait difficilement avoir sa place dans une propriété écossaise. J'avançais avec ma valise à roulettes qui labouraient plus qu'elles ne tournaient dans le fin gravier. Un climat charivaro-vivaldien conjuguait les quatre saisons dans la même journée et simultanément à cet instant. Soleil tiède entre nuages noirs incontinents et brise glaciale fouetteuse vous faisaient accélérer plus efficacement qu'un kapo hémophage la bave au menton, la verge à la main. Ce n'était pas un gros manoir comme cru de prime abord à la loupe déformante de ma vue basse. C'était une gigantesque bâtisse. Mais loin. Très loin. Distante la bêcheuse. A cet instant, j'aurai volontiers loué les services d'une de ces machines, et de son préposé, que l'on persiste à appeler des pousse-pousse et qui, d'évidence, sont des tire-tire. Tout du long, les jardins étaient toujours aussi impeccables et personne ne travaillait dessus à cet instant. J'étais Adam de retour au paradis un jour de mauvaise météo pour les méditerranéens. Que j'étais content de les avoir laissé derrière moi avec leur convivialité de façade, leur sens de la politesse intrusive, leur gesticulation aussi grotesque que stérile, leur conception de l'amitié pleurnicharde et leur impossibilité à vivre seul sans trouver cela effroyable ou suspect ! Je parle ici de ceux qui revendiquent haut et clair ces clichés généralistes, pléonasme. J'arrivais au pied d'un escalier de cinq marches blanches. La façade faisait quatre-vingts mètres de long à vue de nez et ses extrémités s'achevaient en tour crénelées et élancées. Un type, déguisé en Fantasio à quelques détails près, se rua sur moi. Salutations obséquieuses d'usage puis poussée de porte plus tard, je fus devant une conciergerie hallucinante. Je ne savais pas ce que Demeisteer leur avait dit mais le concierge me reconnu tout de suite et prononça mon nom de famille sans le fracasser. Ce qui était plutôt rare, surtout pour un étranger. Il était brun, droit comme un “i” dont le point eut été une chevelure chimiquement brune d'où rien ne dépassait. Il avait un regard de rapace qu'il domestiquait d'un sourire parfait car naturel. J'inclinais ma tête pour saluer la fin de mon périple. Derrière lui trônait une éléphantesque maquette de l'hôtel coupée en deux. Un drapeau de la nationalité de l'occupant et un curseur désignaient quel petit-déjeuner devait lui être servi et où. Je souris en remarquant mon tricolore emblème planté tout en haut de la bâtisse miniature, côté façade. Posée sur le comptoir, une brochure présentait le château MacAtheir vu du ciel. Il se révélait alors centre d'une toile d'araignée géante dont dix-sept chemins de randonnée, s'élançant depuis les abords même du colossal bâtiment, et leurs interconnexions entrelaçaient les fils. Trois autres étendards signalaient l'incroyable faiblesse du taux de remplissage d'un hôtel qui devait comprendre quatre-vingts chambres et suites sur trois niveaux, plus les soupentes. Mauvais signe. Etant un grand marcheur devant l'éphémère, je saisis un dépliant et le glissai dans ma poche avant de suivre mon super larbin dans un ascenseur chromes et cuivres aux boiseries rares et nombreuses. Arrivés au troisième, un ultime coup de cul nous fit gravir une volée de marches dépourvues de tapis rouge. Mauvais signe bis. Nous voici sous le toit du monstre. Le côté pile de cet étage est réservé au personnel et le côté face aux désargentés comme Demeisteer et moi. “Mon royaume pour une poutre !” aurait pu hurler le propriétaire d'un micropénis à mon unisson en ce moment même. Je retirais dans la foulée de mon guide ce que j'avais dit sur la pingrerie supposée de mon éditeur maudit. La pièce faisait six mètres de large sur une vingtaine de long barrée de trois poutres basses aménagées pour confortablement y visser un cul. Au bout, comme le larbin m'en faisait la visite, il y avait une superbe salle de bain de dix mètres carrés supplémentaires. C'était clair, propre, totalement sourd tant c'était calme. Le type disparut à la vitesse de l'éclair. Et là, le truc qui tuait. Flatterie de mes addictions. Après la solitude, le sucre. Un goûter était ici qui m'espérait affamé avec des tas de machins au chocolat. Ça partait mal. Je sentais que j'allais me plaire en ces lieux au-delà du raisonnable. Les séquelles de la danse de Saint-Gui de l'autocar anesthésiaient encore trop mon appétit. Je le sentais décevant, paresseusement embryonnaire pour l'instant et m'en allais le cultiver en ne faisant rien d'autre qu'espionner le monde par mon armée de velux. Tout était sublimement sculpté dans des verts cousins qui se côtoyaient à mes pieds. Pas un poil de cul ne dépassait. D'ailleurs, je me demande bien ce qu'un poil de cul viendrait faire la dedans !? Un grain terrible s'abattit sur le décor. Mes hublots en devinrent flous. J'adore le mauvais temps vécu depuis un intérieur chaud et sec. Moi qui, petit, désirai ardemment être gardien de phare, restai planté là jusqu'à ce que mon estomac fît un saut de carpe. "Prédateur" et "Carnassier", mes deux jeux de molaires auxquels j'avais donné ces noms de guerre, s'approchèrent du guéridon pâtissier. Sans surprise, cela s'acheva avec deux virgules brunes aux commissures des lèvres et une rafale de “rototi” en guise de glas. Un rototo, des rototi, faut suivre les gars, je ne peux pas tout vous expliquer tout le temps non plus. Une papouille ventrale et un levé de fessier plus loin, j'explorai mon couloir. Il y avait de la vie à l'autre extrémité. Je me souvins du gribouillis “Union Jackiste” du second drapeau de cet étage et battis en retraite. Ne parlant pas anglais. Autre point commun avec les Ecossais, enfin, pas le langage que l'on a essayé de nous instiller à l'école en tout cas. La chambre entre les deux occupées était vide. Je me mis au travail en consultant la brochure. Un coupe-vent enfilé et me voici redescendu mettre en pratique ma psychorigidité. Je décidai d'explorer tous les sentiers de randonnée, un par jour, en commençant par ceux qui rayonnaient depuis la façade du bâtiment. Je partis à droite sur un chemin, baptisé d'un nom gaélique imprononçable, long de dix-sept kilomètres. Le chemin. J'ai dû prendre l'équivalent de trois baignoires d'eau froide dans la capuche percée au cou de ce vêtement censément étanche par rafales de trois litres à la giboulée. La beauté de l'endroit ne se démentait à aucun moment. C'était sublime partout où l'on regardait. La mousse, les roches, le ciel, même le vent était beau ici. Il jouait du xylophone avec la cime des arbres chahuteurs et sifflait les mi-tempêtes entre défilés minéraux et alignements organiques. Je revins évidé comme après une fouille rectale par un parkinsonien borné cherchant le point “G” chez un mâle. Le concierge me sourit en me voyant rentrer mais ces yeux de tueurs psychopathe titraient “Regardez-moi ce con”. Je le choppai à la pointe du menton en lui lançant :
_ Vous n'avez donc pas de drapeaux écossais ? en désignant d'un sourcil inhabituellement brun de pluie l'immense maquette dans son dos.
Le type me répondit du tact au tac :
_ Nous n'avons que trop rarement des compatriotes pour clients, monsieur.
Pan ! Dans ta gueule le froggy. Néanmoins, je persistai.
_ Et vous avez souvent des Français ?!
_ Une fois par an, l'hôtel est réservé pour un événement de pèche international et beaucoup de Français sont fidèlement du nombre, monsieur.
Et toc ! Bon. J'allai dégouliner ailleurs.
_ Vous parlez remarquablement ma langue, tentai-je de me rattraper d'une sortie amène.
_ Je n'ai, hélas, aucun mérite, monsieur, l'étant à moitié par ma mère.
“Bingo !” pensai-je.
_ Père écossais et mère française, vous êtes un digne descendant de Walter Scott, quelle signature !
Le type se fendit d'un sourire king size. J'essayai de faire de même mais mes pommettes en glace vive refusèrent cette mobilisation générale. Je m'éclipsai avec ma casquette “Scotland” à la croix de Saint-André et eau courante vissée sur le crâne.
Impressions du premier jour, étrangement toujours les plus définitives :
Grande-Bretagne : agglomération de peuples courtois qui n'ont rien à faire les uns avec les autres sinon la guerre entre eux et avec le reste du monde. Ilien : humain à part. “Monguilien” : humain à part et qui l'a cru.
Quelques délicieux jours d'isolement s'écoulèrent au rythme de mon ordinateur portable, de mes pataugas sur les chemins de randonnée autour du vaisseau admirable et de repas déraisonnables faisant la part belle aux fruits de mer et aux desserts. Quand un soir très tard, après dîner, après fumé, après “boivé”, le concierge se pencha vers moi pour me dire quelque chose d'apparemment secret à mon passage devant son poste de pilotage.
_ Pourriez-vous nous rendre un immense service, monsieur ? Un petit peu contraignant pour vous, hélas, je n'en disconviens pas.
_ Arrêter d'être français ?
_ Non, monsieur.
Il sourit comme si une huître sans coquille venait de lui glisser de la raie. Quand on peut faire plaisir.
_ Vous avez sans doute remarqué qu'une personne occupe une chambre à votre étage ?
_ Ah ?
_ C'est aussi un auteur, comme vous, qui doit malheureusement nous quitter très tôt demain matin afin de se rendre à Londres pour cause de deuil et revenir demain soir très tard.
Il prit un temps, attendant je ne savais pas quoi de moi. Re :
_ Ah.
Ça le relança.
_ Ce monsieur a un chien adorable qu'il ne peut, comprenez-le bien, emmener avec lui. Surtout pour se rendre à des funérailles religieuses toujours un peu contraignantes.
_ J'en conclu que “ce monsieur” n'est pas londonien.
_ Non, monsieur. Accepteriez-vous de garder ce chien très calme et gentil ?
_ Limite dépressif, donc.
Il sourit.
_ Oui. Comprenez bien que nous l'aurions gardé avec joie mais nous allons être un peu débordé ces deux prochains jours.
Je jetais un iris de feu par-dessus son épaule et remarquais une forêt de drapeaux britanniques, enlaidie de quelques étrangers, hérissant la totalité de la façade amovible de la maquette.
_ Ah ! Mince. C'est le congrès de quoi, là ? La pèche à la pieuvre ?
_ Non, monsieur. C'est un mariage.
_ Un seul !? Avec autant de participants ? Quel gâchis ! Et comment s'appelle… ?
_ Bilgetz, monsieur.
_ Bill Gates marie sa fille ici !?
_ Non, c'est le chien, monsieur.
_ Le chien de Bill Gates marie sa… fille ici ?!
_ Non, c'est le chien, monsieur. C'est le nom du chien : Bilgetz.
_ Oula ! Il doit avoir des puces hors de prix.
_ Ha ! Ha ! Monsieur.
“Et pourquoi est-ce que les asociaux ne seraient pas solidaires, après tout ?” rêvassai-je.
_ J'accepte cette lourde responsabilité, tranchai-je en me sentant brutalement investi de rien.
_ Je vous en remercie au nom de ce monsieur et du château MacAtheir, monsieur.
Je feutrai ma voix en jetant des coups d'œil latéraux lourds de sous-entendus inutiles.
_ Quand dois-je prendre livraison du colis ?
_ Demain matin, après votre petit-déjeuner, monsieur. Ce sera notre dernier moment de répit avant l'arrivée des invités. Rassurez-vous, nous préserverons votre tranquillité tout le temps que les convives seront ici. Vous pourrez prendre tous vos repas dans la bibliothèque “Bonnie Prince Charlie” qui se trouve après les deux grandes salles à manger du rez-de-chaussée. Vous pouvez y accéder librement et discrètement sans avoir à passer par ici ou les salles à manger en descendant par l'escalier à l'autre extrémité de votre couloir et, ainsi, emprunter le second ascenseur, monsieur.
_ Très bien. Je ferai ça.
_ En ce qui concerne les nuisances sonores durant ces deux jours de festivité, hélas, je ne puis rien promettre à monsieur.
_ En tant que Parisien de naissance les gens me dérangent plus que les décibels, n'ayez crainte.
_ Merci, monsieur. Pour les repas, ne vous souciez de rien, Bilgetz a ses croquettes spéciales.
Et voilà sur quoi je partis me coucher ce quatrième soir : “Bilgetz a ses croquettes spéciales”. Inutile de vous dire que je fis un de ces rêves à la con ! Passons. Oublions la pâté nauséabonde sortant d'entre les touches d'un clavier d'ordinateur qu'un Bill Gates outrageait de ses coussinets malhabiles dans un bruit de machine à écrire pour revenir au lendemain pré-fatidique. Pas besoin de vous confier non plus que la vision de cet homme haletant à truffe terreuse et oreilles de cocker, en justaucorps et fraise à la François premier autour du cou façon croquette surdimensionnée, ne me quittera plus. Jamais.
Mais après tout, que peut-on offrir à un homme susceptible de tout se payer sinon des grattouillis derrière l'oreille rehaussé du premier rôle dans un de vos cauchemars ?
Derniers instants de calme avant la tempête lors de ce petit-déjeuner qui s'acheva avec l'adoption temporaire d'un toutou tout doux. Evidemment perdu dans mes pensées, j'oubliai le colis et passai devant le concierge qui bondit tel un crotale-kangourou à ma vue depuis son comptoir et me tendit une laisse molle. Je sortis de ma léthargie et tirai à peine sur le cordon ombilicale de l'animal. Il apparut d'un pas tranquille. Bilgetz était ras de poil, tout gris luisant avec un joli collier noir perlé de faux brillants, enfin je l'espérai. Il s'assit immédiatement à mes pieds et ne demanda rien. Il regarda par les portes-fenêtres les premiers envahisseurs descendre de leur luxueuse voiture. Je lui caressai la tête. Il leva vers moi une truffe humide et subodorante en plissant les mirettes. Je lui fis un “scrontch-scrontch” derrière l'oreille qu'il apprécia à sa juste valeur en fermant les yeux de volupté puis bailla brusquement, l'air étonné par cette interruption mandibulaire impromptue. Je n'eus pas même à tirer sur notre lien, il me suivit d'un pas docile. Arrivé dans la chambre, je constatais que, non loin du secrétaire sur lequel j'officiais à longueur de journée, son panier avait été déposé. Il s'y affala, posa sa tête sur le rebord et me regarda quelques secondes à deux reprises en ne mobilisant que ses yeux puis les ferma. Il devait être habitué au bruit du clavier que l'on profanait avec de grosses phalanges boudinées et se laissa bercer par mes premiers écrits. Il partit bien vite au pays des chiennes en chaleur toute l'année, des “scrontch-scrontch” permanents, des sucreries outrancières et des auto-anulingus sans contorsion. J'extrapole ici de chiennes aspirations peu éloignées de celles, décevantes car convenues, des mâles, toutes races, tous milieux et toutes époques confondus, non ? Mais peut-être suis-je trop câlin et pas assez canin bien que le reproche ne m'en ait encore jamais été fait ?
La mêlée ayant sérieusement commencée en bas, on me servit mon repas dans ma chambre en même temps que le sien. Nous nous restaurâmes de concert. Puis, je repris mes écrits et lui ses rêveries. En fin d'après-midi, toujours absorbé par l'expulsion de mes raturages glaireux, je ne fus sorti de mes aventures virtuelles que par un “clap” anodin. Il faisait sa toilette et me rappelait qu'il était là et que j'avais charge d'âme. Je décidai de sortir nous aérer afin de nous soulager de tout ce qui était évacuable. J'osai comprendre que, à côté de sa laisse, le petit sac en papier était destiné à une relève de sentinelle en biotope huppé. Nous sortîmes par le dos de la bâtisse que je n'avais pas encore exploré, n'ayant emprunté que les parcours de randonnée rayonnant depuis la façade jusque là. L'envers de l'endroit m'était donc inconnu. Les convives avaient été réunis dans les salles à manger et les retardataires étaient en partance pour je ne savais où. Les “extra” et le personnel avaient déserté le parc dans le dos du château après y avoir dressé un village de tentes blanches immaculées magnifique et d'un manifeste esprit moyenâgeux. Nous ne fîmes pas dix mètres en direction de cet espace vert et blanc que Bilgetz enfantait déjà une cervelle d'intégriste d'un fort beau gabarit. Aussi bien dressé que lui, telle la colombine s'abattant sur le colombin, je dégainai illico mon pochon à étron, que je trouvai soudain bien léger au regard de ce qu'il était censé accueillir, et récupérai la déjection calorifère. “Un peu de chaleur dans ce monde de brute” méditai-je. Brièvement car l'inconsistance de la chose me fit comprendre l'urgence de traquer la poubelle avant que l'emballage ne cédât sous le bonbon. Très vite, je pensai qu'un établissement de cette classe devait avoir de discrets, voire camouflés, sinon insoupçonnables, réceptacles à détritus afin de ne pas nuire à une harmonie si chèrement gagnée sur dame nature. J'avançai derrière une haie de troènes ou assimilés. Rien. Je m'éloignai de plus en plus de la bâtisse avec ma pâte à tartiner les trottoirs parisiens à la main. Bilgetz me précédait de quelques mètres en reniflant le sol et me jetait de réguliers coups d'œil afin de ne pas me perdre. Soudain, je fus frappé par ma terne médiocrité française quotidienne : “mais bien sûr ! Il est là le génie du designer moderne qui a tout compris. Plutôt que de les planquer ces fichues laiderons de poubelles, il en fait carrément autre chose et il les pose en plein milieu du chemin et il en décline une complète rangée afin d'en faire de l'inattendu définitivement harmonieux et totalement indétectable pour qui ne connaîtrait pas les attributs du château MacAtheir. Il en érige une haie qui ne vous empêche d'aller nul part. Même le symbole est beau, bordel !”. J'opinai du chef en me disant que décidément nous avions beaucoup à apprendre du génie écossais. Je me débarrassai donc de mon colis piégé dans la première et la plus haute des boites en forme de chapeau chinois déjà garnie de tas de trucs confirmant son emploi. Néanmoins, je ne farfouillai pas non plus dedans à la recherche d'une visite en règle, soyons honnêtes. A peine le couvercle conique rigolo soulevé, je le rabaissai sur le moins bon moment de mon séjour prêt à repartir vers de nouvelles aventures flanqué de mon Bilgetz au territoire colonial dégagé désormais. Nous ne traînâmes pas dans le parc de peur d'être pris dans le flot des endimanchés éméchés. Le soir même, alors que “toutou” et moi somnolions, on frappa discrètement à la porte. J'ouvris avec le chien sur les talons. Il fêta cet inconnu qui avait pleuré. Je lui adressai un rictus à la con. On fait toujours de plus ou moins faux sourires aux gens qui viennent de larmoyer. Sorte de barrière sur laquelle serait marquée : “garde ton chagrin, chacun sa merde !”. Il me rendit ma risette en zircon avant de récupérer le panier, la laisse et la gamelle de “Bill” qui le regardait faire cette cueillette comme s'il était la huitième merveille du monde loin devant les sept autres. Je compris soudain le réconfort que ce genre de bestiole docile et asservie pouvait apporter à un maître en désespérance. Je flattai une dernière fois la tête des quelques zébrures brillantes courant sur son pelage ras tendis que la lumière du couloir se fût éteinte. D'un dernier signe de tête je saluais l'équipage qui rejoignait l'autre bout de l'étage. Pas un mot échangé, pas un couinement de la part du klebs. Pas de malaise non plus. Je jouis donc à nouveau du plein usufruit de mes appartements en pays Scots pendant quinze secondes avant de m'effondrer terrassé par la fatigue abrutissante d'une journée d'écriture débilitante exonérée de sa quotidienne excursion sur les chemins de randonnée de la région.
Le lendemain, content de retrouver ma pleine indépendance, je descendis au petit-déjeuner en oubliant de passer par l'autre ascenseur. Mon concierge, deux malles de voyages sous les yeux, me salua d'un signe de tête. Le brouhaha des deux salles à manger, de quatre-vingts places chacune, pleines à craquer, aurait couvert notre habituel niveau sonore d'échange verbal. Nous étions donc partis pour nous taire. Une légère contrariété assombrissait son visage. Je le questionnai d'un signe de la main afin de savoir s'il préférait me voir emprunter l'itinéraire bis recommandé la veille. Il me fit signe que non avec une si lasse mélancolie que ma curiosité en fut piquée. J'attaquai.
_ Comment allez-vous, aujourd'hui, monsieur le concierge ?
_ Fort bien, monsieur, je vous remercie. Et vous-mêmes ?
_ Insolemment bien.
_ A la bonne heure, monsieur. Vous n'avez pas été trop gêné par le bruit cette nuit, j'espère ?
_ Absolument rien entendu.
_ Tant mieux, monsieur, cela me soulage d'un tracas.
_ Parce que vous en avez d'autres ? Cela ne s'est pas bien passé hier soir ?
_ Oh ! Si ! Monsieur. Les mariés étaient ravis et leurs jeunes invités aussi. Ils sont “repartizilares” mais, hélas, une fausse note a malencontreusement quelque peu gâché la fin de la soirée entre le repas et la nuit avec l'orchestre sur la piste de danse.
_ Allons bon ! Une bagarre entre oncles alcoolisés ? sondai-je le préposé.
_ Oh ! Non ! Monsieur. Pire que cela et totalement incompréhensible.
Des convives continuaient à me passer dans le dos afin de rejoindre les deux salles à manger qui ne désemplissaient pas, au contraire.
_ Vous m'intriguez et me faîtes un peu peur aussi, monsieur du concierge.
_ Le dramatique incident est survenu au moment du feu d'artifice, monsieur…
_ Parce qu'il y a eu un orchestre et un feu d'artifice ?! Ah ! Oui ! Alors je n'ai vraiment rien entendu du tout.
_ Tant mieux, monsieur. Alors vous n'avez pas entendu les cavalcades dans les niveaux inférieurs non plus ?
_ Le feu d'artifice aurait-il mis un feu moins artificiel au château ?
_ Non, monsieur.
_ Oh ! Mon dieu ! A un invité ?!
_ Non, monsieur, fort heureusement pas. Pire que cela, je le crains. Pour les invités s'entend.
Je marquai un signe de dénégation devant les propos brumeux de mon concierge semblant porter le deuil de la moitié de l'humanité. Celle avec des sous, s'entend.
_ Tout avait été si parfait jusqu'au bouquet final, reprit-il rêveur.
_ Pétard mouillé ? Tous les pyromanes ne peuvent être de Kingston me direz-vous.
_ Ha ! Ha ! Monsieur.
_ Décevant ?
_ Oh ! Combien ! Monsieur. Je dois confesser que personnel et invités se délectaient ensemble de ce magnifique spectacle quand, soudain, une des fusées du bouquet final n'est pas partie aussi haut que prévu et qu'après son explosion, nous fûmes tous maculés d'une substance brune malodorante tombée en pluie de fines gouttelettes sur nos visages tournés vers le ciel.
_ Cela pourrit donc les feux artifices ?! J'ignorais.
_ Pensez aux toilettes de ces dames et aux costumes de ces messieurs, monsieur. Ce fut une tragédie. Surtout pour ceux qui n'avaient pas prévu de vêtements chics de rechange. Sur la piste de danse, deux heures plus tard, une fois nettoyée et les mariés partis, le spectacle fut d'une rare tristesse. Que peu de monde osa redescendre après s'être changé et les gens étaient avec leurs habits du quotidien. Certains très élégants mais le cœur n'y était plus. Il n'y avait plus rien d'extraordinaire à cette soirée.
_ Sinon ce qui était tombé du ciel.
_ Oui, monsieur.
_ Eh ! Ben ! Dîtes donc ! Si je m'attendais.
_ Et nous, monsieur.
Ce fut avec une coupable envie de rire rentrée que j'abandonnai mon concierge à son désespoir. Je pénétrai dans la première des deux salles à manger en enfilade que je devais traverser pour rallier la bibliothèque qui nous était réservée, à nous, les habitués, les exclus de la fête. Je dévisageai les personnes attablées sans pouvoir m'empêcher de les imaginer mouchetés, sourire inclus. Je tournai bien vite mon visage vers les fenêtres et creusai mes joues afin de ne pas m'esclaffer. De plus, j'avais la malplaisante sensation que le silence se faisait sur mon passage. “Pure paranoïa de froggy cerné par quinze douzaines de rosbifs en terre hostile” réfléchis-je et me résonnai-je. Les deux salles à manger étaient spacieuses et richement décorées de tapis moelleux et nombreux excepté en banlieue de leurs portes communicantes afin de n'en pas gêner l'ouverture. En ce lieu, vous retrouviez le parquet sur trois mètres à l'exacte frontière entre les deux salles. Soudain, à l'approche de cette césure à l'hémistiche, j'entendis le bruit caractéristique que font les griffes canines sur le bois des parquets. Je me retournai et découvris mon Bilgetz en goguette qui, m'ayant reconnu sans aucun doute, n'hésitait pas à précéder son maître d'une longueur de salle à manger. Je m'arrêtai pile à la frontière des deux pièces et commençai à flatter mon infidèle compagnon truffé. Le silence devint assourdissant. Tout à coup, entre deux séries limitées de “scrontch-scrontch” derrière l'oreille distillées au représentant canin, un fou rire effroyable m'asservit de ses spasmes et convulsions et fausses rémissions, amorces de nouvelles rafales de contractions abdominales. J'en devins cramoisi tirant sur la cyanose. Je me relevai et, les mains sur les côtes et le visage rubicond plus que jamais braqué vers les fenêtres, traversai l'interminable seconde salle à manger, en plein brouillard d'eau salée et récital de congas entre les tempes, avec le chien pour éclaireur. Je portai mon T-shirt “I love rien, I'm Parisien” avec une inaccoutumée humilité spontanée à cette seconde. Rendu dans la bibliothèque, je petit-déjeunai comme si de rien était en tendant l'oreille à la rumeur grossissante qui bruissait de l'autre côté de la porte. Un comité de lynchage s'y constituait à n'en pas douter. Une fricassée de minutes plus tard, cinq hommes, d'un âge certain sans être blets, l'écume aux lèvres, déboulèrent grossièrement dans notre modeste endroit où les quatre “non invités” se restauraient en ses coins cardinaux. Ils foncèrent d'abord sur moi puis se ravisèrent à mi-parcours en découvrant le véritable propriétaire du clébard. Je ne leur accordai pas le moindre regard. Je lus le journal. Enfin, je regardai les images, c'était en anglais. Vous ne pouvez pas imaginer le niveau d'incompréhension paroxystique que peuvent atteindre un quintet de furieux et un propriétaire canin, sourd de naissance, qui d'évidence ne lit pas sur les lippes. Ce furent gesticulations, ânonnements, éclats de voix et insultes envers le maître et son chien. Aux six hommes qui en vinrent aux index accusateurs et majeurs illustrateurs, je manifestai la plus totale indifférence jusqu'au croûton de mon ultime tartine synchrone de la finale ponctuation de mon dernier article incompréhensible. A cet instant, je me levai, me massai la poitrine de mouvements circulaires jumeaux, me flattai la panse bedonnante, m'étirai tel un tigre de soupente, choisis le moins vieux, enfin le moins aviné, du quintet vociférant, et lui collai un bourre-pif des familles qui l'envoya sur le cul via un guéridon sournois car croc-en-jambiste. La stupéfaction de la violence, sans argumentaire préalable de la part d'un élément doublement étranger, instaura un silence égayé d'yeux ronds, de bouches bées et de points d'interrogation pendus au-dessus des scalpes. La vue du vermillon liquide sous le tarbouif de l'affalé sonna tout le monde en même temps que la fin du premier round. Je m'emparai de la laisse de Bilgetz posée sur la table de “feuilles mortes”, son maître, et l'attachai au collier précieux de l'animal tremblant de tous ses muscles. Je regardai droit dans les yeux chacun des protagonistes, qui s'étaient multipliés depuis que c'était devenu pugilistique, et dis de la voix la plus rauque possible dans un anglais impeccable, une fois n'est pas coutume : “Y a-t-il là matière à terroriser un animal ?”. Je fouillai ostensiblement les regards de chacun sans exception, en réconfortant Bilgetz de quelques “scrontch-scrontch” derrière les oreilles, puis fendis la foule hostile en retraversant les salles à manger, mon fébrile limier à mes côtés. Au trois-quarts de la seconde salle, ce qui devait être la mère d'un des mariés, cheftaine de la sauterie, surgit devant moi. Elle chercha à articuler quelque chose, ne trouva rien de pertinent puis s'écarta de mon chemin. Je m'apprêtai à la snober d'un regard méprisant l'inventoriant de la tête aux pieds avec retour sur la face. Que c'était bon de se sentir héroïque ! Seul contre tous, plus toutou. J'étais à deux doigts d'être “zekingnofzecaçeul” pour la première et certainement unique fois de mon existence. J'étais en train de leur montrer à tous ceux-là qui avait le plus de tripes lorsque ce bon vieux “Bill” vint à faire de même en soulageant sa trouille d'un jet diarrhéique dans l'ourlet d'un pantalon en maculant le voisinage dans un feux d'artifices d'exclamations négatives. Encore. Je donnai le bout de la laisse à la marâtre qui le prit sans comprendre, ouvris une des fenêtres de la salle à manger, sautai sur le perron, dévalai les cinq marches et courus en espérant recouvrer la vélocité du poulbot chapardeur que je n'avais jamais été. Quel instant de pur bonheur ! Qu'il était bon de retrouver cette peur primale d'être pourchassé, dévoré par la meute, écartelé par la populace !
Impression du dernier jour, souvent à jamais indélébiles :
Ne jamais faire confiance à un chien prénommé «Bill».
Né de la vision d'un projectile d'artifice s'élançant vers Mars lesté d'un sac de merde plombant sa trajectoire au-dessus d'une assistance médusée, c'était contre le fou rire, me coupant les jambes à un moment où j'en avais cruellement l'usage, qu'il me fallait lutter plus que contre la peur. Quelques minutes plus tôt, j'avais été le cent soixante et unième sur les deux fois quatre-vingts convives à additionner un plus chien et à réaliser que ces gens avaient été douchés par une giboulée de mousse de croquettes de luxe, riches en fibres et fer, post alambic intestinal canin. L'expression locale “la couème de la couème” se découvrait un sens inattendu. J'eus une pensée pour le maître incapable de se douter que son doggy-sitter par défaut de la veille, ô combien !, avait confondu une haie, qu'il souhaitait avant-gardiste, avec une rampe pyrotechnique, et une poubelle, qu'il voulait design, avec une fusée éclairante, chapeautée à la chinoise afin de la préserver des intempéries, constantes autochtones.
Même s'il échappe au côté purement pratique et novateur, vous pouvez faire confiance au génie écossais pour faire de votre séjour un moment inoubliable. De votre vie aussi car, maintenant, à chaque fois que j'esquisse trois pas de course un fou rire pavlovien me vient. Autre grand expert du conditionnement canin, je crois. Dire qu'il m'aura fallu presque quarante ans et un voyage à l'étranger pour célébrer désormais avec d'étranges souvenirs le quatorze juillet et ses tirs de fusées chatoyeusement multicolores et tristement inodores.
Evidemment, je sais ce que vous vous demandez. Comment cela s'est-il fini pour moi en Ecosse, au château MacAtheir ? Eh bien, comme dans une de ces institutions d'enseignement que nous avons tous fréquenté plus ou moins longuement et avec plus ou moins de bonheur, cela s'acheva dans le bureau du directeur. La cheftaine de la sauterie, déjà rencontrée, un chef artificier à cocard frais, inconnu et renfrogné, plus le propriétaire d'un nez salement tuméfié, victime de mon ramponneau de la matinée et moi-même nous tenions côte à côte devant un vieux barbu, chenu, ventru, vermoulu, mal foutu mais qui me plut. Elle narrait le fécal incident pétardier pendant que j'opinais du chef en luttant contre un fou rire qui frappait au quatre coins de ma poitrine et priais afin qu'il ne trouvât jamais ma gorge et que “nez en coin” ou le préposé au son et lumières à la face dalmatienne ne rassemblassent pas assez de courage pour m'en coller une. Une Anglaise velléitaire et un Français repentant et débonnaire arbitrés par un Ecossais, sans surprise, tout était en train de bien tourner pour moi jusqu'au moment où, ayant tout reconnu sauf la préméditation, ce qui me fut accordé, je demandai à la dame où, et à quels tarifs, pourrai-je me procurer les photographies de la soirée incriminée ? Mais, même français ou surtout à cause de cela, est-on véritablement fautif lorsque l'on est incorrigible ?