Madame Alexandre Bernheim, née Henriette Adler, femme du marchand / Lettre à Monsieur Alexandre Bernheim
Stéphan Mary
Lettre à Monsieur Alexandre Bernheim
Amour heureusement simple
Quoique parfois compliqué doux et brutal
Les cinq sens en éveil ta bouche vermeille m'émerveille
Et amoureusement vivons-nous le songe d'une nuit étoilée parfumée
Ephémères particules de poussière parfois solaires sans aucun doute solidaires
Effet mer ou océan qui tire vers l'horizon la barque du souvenir pas encore présent
Solide air mélodieux d'un chant de baleine qui par ultra son, tel un météore, se saisit de la langue pour épouser les lèvres
Tes lèvres
Ta bouche qui murmure "Mettez hors de moi ces vilenies qui nous séparent et vivons au présent ce désir qui nous unit." Amoureusement éphémère, le météore contourne le paratonnerre qui tonne quand vient la saison des ouragans urticant. L’histoire qui tend vers l'identification des soupirs sincères peut quelques fois être amère. Une mer de manques identifiés dans la palette des couleurs qui te peignent, oubliant ton aspect valétudinaire. Or le dormeur du Val étudie nerfs et myéline au sommet du vallon de nos vies.
Vies avalées valant ce qu'elles valent sans l'aval de la gratitude qui pourtant me semble essentielle. Gratitude perdue dans un ciel serti de diamants que je ne peux pas t'offrir. Improvisation sur les soucis multipliés ici ou là, dans la vallée ostentatoire d'un orgueil pas toujours bien placé, remettant tous les jours l'ouvrage sur le métier.
Rien n'est jamais acquis et il faut savoir se protéger de la serratia marcescence sauvage, limitant l'infinie transcendance d'un quotidien oublié.
Je te suis dans la mare de Georges Sand qui délicate avec les mots, toujours avec décence, enveloppe d'un regard l'essence des sens sans jamais en être lassée. Chopin veut un nouveau piano cylindrique afin de créer et créer encore ces petites musiques de nuit amoureusement simples. Il ne veut pas d'éphémère il en mourrait. Tout comme moi lorsque j'approche ta bouche, créant ainsi les sons d'un chant inaudible. Chanson dont je ne devine pas encore les paroles, tout juste effleurées par les ultrasons des baleines.
Il faut, nous devons, admettre que la frontière est ténue, sur le fil du rasoir où funambule je me glisse tous les soirs entre toi et ton autre, ton autre toi sous ton toit qui vacille un peu en avant un peu en arrière sur le front vieilli et ridé d'une libellule.
Libellule... Enfin tu souris et tu ouvres tes ailes pour mieux saisir la valeur du temps passé ensemble, de ce temps qui passe et ne repassera plus. La libellule se pose à l'angle de ton sourire chevaleresque, mi homme mi femme et toujours chevalier servant. Sur le dos de la licorne tu montes et remontes le courant d'une façon parfois ostentatoire mais peu m’importe. Tu es toujours à la recherche d'une myriade de chevaux aquatiques qui donnent un sens à ton existence. Tu chantes un mi bémol soupirant dans le Riad des déserts, sans même observer les effets de la nepeta insufflée par les vents des sables.
Nous voyageons Sand, Chopin, toi et moi et personne, tu entends bien ? Personne ne peut et ne veut te voir poursuivre ta déchéance bordélique.
Le bordel s'inscrit plus tard dans l'histoire, avec des gros hics mais sans toc des sentiments enchevêtrés au pied du lit. Tu déposes tes sentiments n'importe où, n'importe comment, juste pour t'en débarrasser avant d'ouvrir le seul tiroir du guéridon et d'y prendre l'invitation au voyage pour toi, Georges, Frédéric et moi. Enfin je peux te susurrer "Assois-toi à côté de moi, sur l'accoudoir de notre amour naissant". Frédéric sort son piano cylindrique de sa poche et nous embarque musicalement direction Entananarivo.
Nous sommes descendus pour une autre balade ensoleillée à la recherche des licornes susceptibles de nous éviter le torticolis des regards tournés vers le passé. Nous allons ensemble nous projeter droit devant, essayer quelque chose qui torde le cou à la hernie que l'habitude installe.
Abracadabra et les souvenirs s'effacent pour laisser la place au présent. Georges est retournée écrire à Nohant mais Frédéric est resté avec nous. Frédéric est malheureux, monstre jaloux et tyrannique qui s'est trompé d'amour. Georges est tout pour lui, amante, femme, sœur et aussi mère mais parfois la mère trop amère prend la mer. Elle a compris que Chopin voyait en elle une malachite miraculeuse, cumulant beauté raffinée et bienfaits thérapeutiques.
Tes yeux se perlent dans une métamorphose inattendue. Enfin tu me vois pour qui je suis et non pour ce que tu pensais que j'étais. Tout comme Sand et Chopin, nous nous accoudons sur la balustrade du verbe silencieux. Tout est dans le non dit, l'eau coule doucement. Les mots n'ont pas à être prononcés passionnément mais se suffisent à eux mêmes avec un soupçon de gestes, de phrases tout juste murmurées. La passion heureuse ment parfois, aveugle ignorante des turpitudes du quotidien.
Rien ne sert de courir il faut aimer à point. Point à la ligne pour l'amour abyssin des abîmes du sein de la mère nourricière. Georges ne s'y était pas trompée, l'amour de Frédéric est mirobolant, miro beau et lent.
Je t'ai regardé et j'ai occis sans gêne l'azote ammoniac qui bouffe tout. Je te veux oxygène de mes jours et mes nuits, sans l’amphigouri d'un quelconque détournement de sens parodique. Mais sans cesse je suis revenue sur le sempiternel reproche d'être trop aimante, initiative vaine pour décrocher de toi. Je te demande sans un mot, sans un geste, le sang le pis l'éternel amour qui bizarrement renvoie en écho le son M projeté d'une montagne à l'autre. Comme un Kroumir sans scrupule, je peux si tu le désires devenir ce que tu veux. Peu importe le sens, seul le vent impalpable du non dit revient avec la sagesse amoureusement vivante, d'une histoire dont on commence à deviner les tenants et les scrogneugneu n'aboutissant à rien.
Il me reste peu de temps pour te donner des nouvelles de Sand. Chopin n'est pas revenu. Elle a un nouvel amant, Alfred, qui ressemble à un balbutiement impatient de la passion. Ils sont à Venise. Georges revient bientôt. Je crois qu’Alfred n'est pas au mieux. Venise est un scénario d'amours passionnées et désolées quasi cinématographiques. Une autre histoire sur l'écran noir.
Nous nous sentons indestructibles mais courtoisement nous passons l'un derrière l'autre la porte de l'hôtel. L'encre de nos corps a inscrit dans l'éternité l'amour fou que nous avons vécu. Elle est là séchée sur l'oreiller. Ce sont mes derniers mots avant le grand saut. Nous avons eu le temps de nous aimer, nous aimer amoureusement.