Madame tout le monde promène son chien

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Je rêve d’être madame tout le monde qui promène son chien, mais avec une vie cachée, une vie secrète, une vie d’écrivain…

Suis-je un auteur, ai-je les capacités, de quoi vais-je parler ? Autant de questions que je me pose au quotidien. Alors que dans ma vie rêvée je suis déjà célèbre, cachée sous mon pseudonyme. Personne, quand je vais acheter du pain dans ma petite ville, ne se doute que je suis l’auteur du dernier roman en vogue sorti pour les fêtes et qu’ils viennent de dévorer. Quelle sensation de puissance, quelle euphorie de voir les gens lire mon livre dans les transports en commun, d’en entendre parler dans les médias et d’avoir reçu une proposition d’adaptation au cinéma.

Je vais de ville en ville, de dédicace en dédicace et personne ne se doute que je ne suis pas celle qu’ils croient. Je suis l’Anna Montana de l’écriture !

Mais voilà, mon éditeur me presse de pondre une nouvelle « tuerie » financière, un nouveau coup d’éclat. Car, comme un scandale en efface un autre, un nouveau succès fait retomber dans l’oubli le précédent. Les éditeurs sont toujours à l’affut d’un futur bestseller, comme d’autres cherchent la chanson de l’année, je ne dois donc pas décevoir le mien si je veux rester au top.

Dur quand on n’a pas de méthode, quand, grâce à la chance du débutant, on a été publié et que, ma fois, on ne s’y attendait pas. La bonne histoire au bon moment, on était dans la vague. Mais la vague est passée et le talent aussi, si toutefois j’en avais.

Je commence à écrire comme je commence à peindre une toile, avec une idée, mais sans connaître le résultat final. Cette idée se développe, s’étire, se déforme au gré d’autres idées qui me traversent l’esprit, au gré des relectures et de ce qu’elles m’inspirent. Ah, l’inspiration ! C’est justement en inspirant un grand coup que je commence à taper sur le clavier de mon ordinateur les premiers mots de ce qui devra être, et peu s’en faut, l’histoire du siècle, que dis-je, du millénaire. Je laisse donc les mots me mener où ils veulent, au fil des idées qu’ils évoquent en moi.

Mais arrive une angoisse : combien de mots déjà ? Combien de signes ? Avec ou sans espaces ? Combien cela fera de pages au final ? Oui, mais s’il est publié en format de poche, ce ne sera pas pareil, forcément. Et s’il était DÉMATÉRIALISÉ ? À l’air du numérique il n’y aurait rien d’étonnant. C’est à la fois excitant et terriblement dérangeant. Moi qui envisageais de faire un ouvrage complet, où tout dans l’œuvre participe à l’histoire, à l’effet escompté sur le lecteur : le grain du papier, son odeur, la police d’écriture, les illustrations… Avec l’édition numérique, on n’a plus l’ouvrage dans les mains, mais on pourrait rajouter le son, des liens vers Internet, que sais-je encore ? Trop de portes s’ouvrent à moi et je me noie dans l’infiniment grand. Une vue de l’esprit, une de plus, enfin une du mien qui, je dois bien le dire, me pose de plus en plus de soucis à vouloir obtenir la perfection en tout ce qu’il conçoit. Or, le passage à l’acte, qu’il soit : dessiné, bricolé ou écrit, n’est, le plus souvent, pas à la hauteur de mes espérances spirituelles.

J’oublie la pression, la peur de ne pas plaire, la peur de jours moins fastes et je me lance d’en l’ÉCRITURE. Après tout, c’est ce que j’ai toujours rêvé de faire : écrire, même si mes rédactions au bahut étaient qualifiées de médiocres (trop de répétitions qu’ils disaient et pas assez de vocabulaire), même si je ne l’ai jamais fait, même si j’ai toujours été nulle en orthographe. Allez courage, j’oublie mes complexes, cachée sous mon pseudo. La nulle, ce ne sera pas moi, ce sera l’autre, l’autre moi, l’auteur, celui qui a peut-être du talent, celui qui ose la prose et qui n’a pas peur d’être jugé par ses pairs comme par le premier venu.

Comme toujours quand je crée, j’ai une montée d’adrénaline, le sommeil me quitte, mais en revanche ce que je dois coucher sur le papier ne me quitte pas. Ce sont des flashes alors que je travaille, des phrases qui arrivent et me réveillent en pleine nuit, des rêves même, tellement réels que je les écris aussitôt réveillée. C’est une fatigue intellectuelle de tous les instants et mes proches s’en plaignent indubitablement. Mais c’est un besoin, quelque chose qui me pousse. Je vais au-delà de moi dans un lieu inconnu, une autre dimension. C’est le moment le plus difficile car il est trop prégnant. Je préfère celui plus léger de la relecture même si je ne vois pas les fautes ou encore celui de la mise en page pour que celle-ci fasse sens avec l’histoire.

J’oublie certainement des étapes de la vie d’un écrivain et c’est bien normal car je n’en suis pas un ! Je n’ai même jamais été publiée. Ah si, une fois, mes poèmes au lycée. Des Haïku écrits à la suite d’un chagrin d’amour. Je suis arrivée 2e au concours, mais, incomprise : c’était une suite de poèmes, ils ont été publiés comme un seul. Seule, c’est comme ça que je me suis sentie, même si j’avais en moi ce petit grain de fierté. Est-ce cela que je recherche aujourd’hui, comme une madeleine de Proust ? Ce « je ne sais quoi » qui change tout, qui redonne goût à la vie, qui donne envie d’y croire.

Alors j’écris pour le plaisir, j’aime me lancer des défis et je laisse de côté l’auteur célèbre car s’il arrivait, je crois bien qu’il m’encombrerait…

28/02/12 M.V.

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