Maisonnable

Carole Menahem Lilin

Ce texte m'a été inspiré par The house of dust d'Alison Knowles, série générée en 1968 par ordinateur... Cela m'a inspiré un poème, qui a généré une histoire. Ecoute musicologue/écoute émotionnelle.

Maisonnable…

 

« Une maison de sons

Dans une ville de bruits,

Utilisant la lumière des nuages,

Et habitée par des musiciens

   Qui croient se souvenir

                 D'avoir été des anges.

 

- Et alors ? demanda Sébastiane. Est-ce que ça les autorise à snober tous les autres ?

- Comment ça ? »

Pierre s'étonnait de l'interprétation de son amie. Une interprétation doucement, mais fermement, exaspérée.

« Ben… répondit-elle en levant le menton. Ils se prennent pour des anges et des musiciens, et qualifient les autres de « bruiteurs ».

- Ce n'est pas tout à fait ce que dit le poème, Seb. Mais il est exact que pour obtenir de la musique, il faut souvent filtrer, s'isoler, se concentrer… s'envelopper même parfois de nuages…

- Ah la la… (Rire cristallin). Tu prêches pour ta chapelle, là. Non ? C'est vrai qu'on ne t'a pas beaucoup vu, ces derniers temps. »

Elle ajouta, avec une certaine tendresse : « …Et tu nous a manqué. »

Il la regarda. Autant il était étroit, vêtu au plus simple (une clé de sol sur une portée verticale, ou bien deux parenthèses si vous préférez, noires les parenthèses, et le blanc de son teint pâle au milieu), autant la jeune fille s'étalait à l'horizontale. Non qu'elle était large, ronde tout au plus, de ces rondeurs de fruit des jeunes femmes. Mais elle s'ouvrait à l'espace de toute l'envergure de ses membres, bras souvent écartés, mains dansantes, cheveux qui fouettaient l'air, vêtements colorés qui volaient au vent… Elle ne savait pas écouter sans bouger, parce que son corps écoutait aussi, et quand elle n'avait pas dansoté sur son poème, Pierre avait su qu'il ne lui plaisait pas.

« La musique, reprit-elle. La musique, moi… »

Elle s'interrompit. Elle se souvenait que Pierre ironisait sur ces personnes qui ne peuvent évoquer une notion sans l'emprisonner dans leur opinion, moi je, moi…

« Continue, dit-il doucement. Je veux savoir. »

Elle grimaça, sourit.

« Bon, dit-elle en ouvrant ses pieds en éventail. La musique, moi, je l'entends partout. »

Sans se retourner, elle lança son bras en arrière, frotta sa main contre le muret, bruissement d'écorchure sur du velours. « Tu entends ? »

Elle se dressa sur la pointe des pieds, puis alternant pointes et talons, fit une série de petits sauts sur le trottoir – claquettes feutrées.

Le vent se leva derrière elle, faisant chalouper le platane, foisonnements secs d'extase.

Un moteur passa, un peu loin – son grave porté par on ne sait quel véhicule, la question n'est pas là. Mais, comme appelé par cette résonnance de tambour, le concert s'accéléra, klaxons, freinages, aboiements, voix d'enfants, rires de parents, chansons idiotes serinées à voix de tête – idiotes mais rythmées, et gaies.

« Tu entends ? » dit-elle, riant comme un ange, et toujours scandant, d'un claquement de doigts ou un clabaudement de paumes, ce concert improvisé, pour qu'il en perçoive le rythme.

Il, Pierre, ce musicien qui, claquemuré dans ses silences clos, pouvait faire preuve d'une oreille absolue. Mais qui entendait mal, et même pas du tout, les espoirs latents, les pensées chuchotées.

« J'entends, oui », dit-il timidement. Et il lui lança un sourire, teint rougissant regard pailleté, qui montrait qu'il avait bien entendu. Ou du moins espérait qu'il avait bien entendu.

« Une maison d'invites

Dans une ville au cœur battant

Habitée par des songes

   Qui se souviennent

                 Que le monde est musique

                               Et pas seulement nuit.

- Répète ! » dit-elle. Elle s'était mise à claquer des paumes pour scander les vers.

« Une maison d'invites/ dans une ville / au cœur battant / habitée par des songes/ qui se souviennent/que le monde est musique/ et pas seulement nuit / et pas seulement bruit.

« Une maison de feuilles / goulues et violonistes / dans une ville étroite / habitée par un monde / qui se souvient / que la vie est licite / et pas seulement cri / Une maison de joie / dans un monde de soupirs / habitée par des lunes / qui se souviennent / d'avoir été humaines. / Une maison d'amour… »

Là, elle l'interrompit, et interrompit son flamenco improvisé pour venir se jeter contre lui. Il lui ouvrit les bras.

 

 

 

  • oui j'aime bien, ça a du sens et j'aime les textes qui font sens! mais pourquoi le bis repetita? c'est voulu? pour quelle raison?

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Green window

    Frankie Perussault

    • Merci de votre commentaire! Non, la répétition est due à une erreur! Je vais voir si je peux effacer le bis.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Carole

      Carole Menahem Lilin

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