Mal d'enfant

18 ans: Il est pour elle, seulement pour elle... Dans son uniforme il brille! de la prestance sans arrogance du marin pétri de nonchalance, et de cette force protectrice... et sensuelle. Elle l'aime, elle le veut: pour tout, partout, surtout!. Le premier homme de sa vie (ou presque). Bon d'accord, c'est le premier, pas la peine de se mentir, pas la peine de se la jouer... C'est le premier, le seul, le Vrai, pour elle à tout jamais. Il était brun, il était pas si beau, il sentait pas le sable chaud mais s'il le lui avait demandé, pour lui elle aurait tout plaqué! Ses études pourtant si brillantes, ses parents divorcés qui continuent à se bouffer le nez par leurs enfants interposés! Pour être la femme du militaire, celle qui l'attend à l'embarcadère. Elle lui aurait tout donné, si seulement il le lui avait demandé... Même un enfant, si seulement...

21 ans: une gueule d'ange, un vrai démon! A cet âge là, qu'est ce qu'on peut être con! Mais qu'est ce qui t'a pris ma pauvre fille... T'es vraiment partie en vrille! Ok, il t'as sauvée quand ses copains t'ont bizutée. Et dans ton coeur d'écervelée, le beau marin a remplacé. Mais est ce que ça vaut le sacrifice de toutes ces années de sévisses? Cerveau brillant, ma fille, sûrement! Mais qui ne voit pas le dénouement... Jusqu'au jour enfin, où mine de rien, après une énième raclée il te demande d'enfanter. Fuir devient la seule option, les brumes du Nord feront fuir le démon.

24 ans: libre enfin, d'homme en mâle, tu vas, tu viens. Remplir ton cœur n'a plus d'importance, souiller ton corps est une chance... D'oublier. Perdre l'esprit, se noyer, quand le monde entier ne pense qu'à t'encenser! Quelle intelligence, disent ils, mais la belle Centralienne a perdu le fil, d'une vie qui ne rime à rien sans l'espoir d'un enfant à venir en son sein.

30 ans: quelques années, elle a erré, mais le véritable amour elle a enfin trouvé. Bien sur ça n'a pas été aussi évident que ça, les love story c'est pour le cinéma. Il est pas mal, il est gentil, une vie pépère ils ont construit. Des amis, une carrière, elle est comblée... La belle affaire! D'enfant il n'est plus question, ce n'est pas le moment, ce serait couillon. Le vide s'installe...

38 ans: Bon ce serait bien qu'on y pense, non? Euh... Oui si tu le dit. Dialogue connu et maintes fois ressassé. Mais cette fois, ma belle il faut vraiment y penser, ta date de péremption est bientôt dépassée! Ok, on essaie... Après tout on le mérite cet enfant, c'est vrai.

40 ans: l'important c'est d'y croire, se dit elle tous les matins dans le miroir. Encore un mois raté, ça ne marchera jamais. L'obsession est devenu pressante, incontournable, palpable. Elle ne vit plus que pour ça, et lui dans d'autres bras plus fertiles s'éloigne déjà. Sale égoïste! Dans ce panier ils y sont tous passés: son marin, son démon, ses conquêtes et sa passion!

44 ans: à quoi bon, maintenant poursuivre ce rêve d'enfant. La science lui a permis d'essayer ce que sa solitude lui refusait. Insémination, fécondation, aberration! Seule devant le miroir aujourd'hui elle broie du noir. Une belle carrière, une belle maison, du fric... C'est chic! Et d'un seul coup la vérité s'impose: cet enfant n'est pas une bonne chose! S'il nait demain, soyons fous, pour ses 20 ans donnons nous rendez-vous! Vielle peau de 64 ans, c'est la retraite qui t'attend. Ses 30 ans, grâce à la médecine moderne tu les fêteras sûrement. Mais tu ne connaitras jamais ses enfants. Et si tu les connaissais, serais-tu prête, ma fille, à leur imposer si jeune le premier deuil de la famille.

L'égoïste c'est toi, s'il te plait, pour instant regarde toi!

18 ans, elle ouvre les yeux. Vraiment, elle lui aurait tout donné. Même un enfant s'il le lui avait demandé. Un enfant, si seulement...