Mamie fait de la résistance

antoine-lefranc

Ma grand-mère est une vraie libertine. Je sais, ça paraît improbable dit comme ça. Quand on parle de libertin, on se figure un jeune vagabond libre penseur arpentant le monde. Pas une vieille grand-mère chétive calfeutrée dans sa cuisine en formica. Et pourtant. Ma grand-mère est affranchie de tous les dogmes qui ne lui plaisent pas. Saint Thomas ne croyait que ce qu’il voyait, Mamie ne croit elle que ce qu’elle veut. Et elle n’a pas voulu croire à la mort de Papi. Pas plus qu’elle ne veut croire aux robots qu’on envoie sur Mars, ou à ces téléphones permettant de prendre des photos. Mais pour Papi, c’est différent, car on a vraiment cherché à lui imposer cette croyance.

Cependant Mamie refuse de céder au cruel dogme de la réalité. Elle admet que Papi est parti, mais c’est là sa seule concession : Papi va revenir, il s’est juste absenté. D’ailleurs il ne peut que revenir. Pour cause, elle a mis sa tasse sur la table. Jamais Mamie n’a cédé. Son opinion sur Papi est moins vraie que la notre, mais elle est bien plus heureuse. A mes yeux, cela justifie qu’on la respecte. Quand je passe rendre visite à Mamie, je ne manque jamais de demander des nouvelles de Papi. Et pendant que je bois mon verre de lait, juché sur une des chaises de la cuisine, Mamie me raconte en souriant qu’aujourd’hui Papi est parti au marché. Ou au cinéma. Mamie ne joue pas la comédie, elle est réellement persuadée que Papi est toujours dans le coin.

 Cela affole tante Clothilde qui dit qu’il faut que Mamie « accepte ». Je ne suis pas d’accord. Mamie est heureuse, je ne vois pas ce que ça a d’affolant. Mamie a passé sa vie à accepter les malheurs. Elle a accepté sans broncher les ennuis, les soucis, les tracas. Elle a bien le droit maintenant de refuser librement la mort de Papi. Je pense que ça l’aide à vivre. Papi n’est toujours pas revenu, mais le sourire de Mamie n’est lui jamais parti.   

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