Mandela et les autres

Jean Jacques Sebille

fallait-il être présent ou absent aux obsèques de Nelson Mandela

Il était assez surprenant d'entendre les critiques faites lors de la cérémonie organisée en l'honneur de Nelson Mandela du côté de Soweto. Les réfractaires à François Hollande ont raillé sa présence. Certains ont découvert qu'Obama n'était pas Mandela. Enfin, les commentaires ont plu pour s'indigner de la présence pêle-mêle de Robert Mugabé, Raul Castro, Hassan Rohani, Mahmoud Abbas, George Bush, Li Yuanchao et tant d'autres moins illustres mais tout aussi controversés. Et tout le monde enfin, de souligner l'accueil glacial réservé au Président Zuma dont le discours fut couvert par les sifflets de la foule. Face à tous ces commentaires dont on ne comprend pas vraiment l'utilité, il semble bon de rappeler qu'il ne s'agissait aucunement d'un concours pour désigner le successeur de Nelson Mandela dans le rôle d'icône planétaire, mais bel et bien d'une cérémonie pour lui rendre hommage comme cela est naturel vu son envergure. Si la présence de tel chef d'Etat avait été conditionnée à la capacité de ce dernier à être l'égal du défunt, personne n'eût été autorisé à entrer dans l'enceinte du FNB Stadium. Cela ne fait de mystère pour personne qu'il n'y a pas un dirigeant au monde qui puisse lui arriver à la cheville. Aucun n'a son parcours, son aura, son courage, sa sagesse, sa vision politique et aucun n'aura son empreinte historique. Pour autant, il faut se réjouir de la présence de tous ces leaders non pas pour ce qu'ils sont, pour ce qu'ils font ou ce qu'ils ne font pas,  mais pour le symbole que cela envoie au monde : les nations entières de la planète s'inclinent devant le symbole le plus fort des cinquante dernières années. Oui c'est bien qu'Obama, dans ce qui restera probablement son plus beau discours depuis sa réélection, rende ce vibrant hommage même si les USA ont considéré trop longtemps Mandela comme un terroriste. Et c'est tant mieux si Bush lui a emboîté le pas jusqu'à Johannesburg. Oui, c'est bien que Mugabé pleure sur une popularité et une aura qu'il n'aura jamais. Oui, c'est bien qu'Obama tende la main à un Raul Castro qui la lui serre en retour sous les caméras du monde entier. Oui, c'est bien que l'Iran soit présent en la personne de Hassan Rohani. Oui c'est bien qu'Hollande et Sarkozy assistent côte à côte à la cérémonie. Oui, c'est bien que Li Yuanchao prenne la parole, que Mahmoud Abbas ait fait le voyage. Et la liste est longue de tous ces chefs d'Etats plus ou moins vertueux, dont la présence n'était pas tant pour honorer le défunt que pour signifier la portée historique de l'événement.  Qu'on se rassure, sous cette pluie battante nul ne lui fait de l'ombre. Mandela est un mythe qu'aucun individu se penchant sur sa dépouille ne peut salir. Quand on sait l'incroyable force que requiert la démarche de Mandela dans son obstination à la lutte, dans son renoncement à la haine et dans sa quête du pardon, on se dit que ces petites polémiques sont d'une grande futilité. Mandela a passé sa vie à ne côtoyer que des gens bien moins fréquentables que lui. Selon les cas, il s'est battu contre eux, a composé avec eux, a collaboré avec eux, a négocié avec eux, a travaillé avec eux, a vécu avec eux. Une fois devenu l'icône qu'il est, tout le monde a voulu être vu à ses côtés et à chaque fois, la comparaison était terrible pour celui qui se mesurait à son immense stature, que ce soit les politiques ou les people.  Il ne me semble pas étonnant qu'en ce jour qui célèbre sa mémoire, les choses soient demeurées identiques. En assistant à cette cérémonie, les puissants de ce monde se sont inclinés devant un merveilleux symbole et c'est suffisamment rare pour qu'on s'en réjouisse. Ils ont en outre reçu une terrible leçon : aucun d'entre eux, lorsque leur heure sera venue, n'aura droit au centième, au millième de la ferveur et de l'émotion suscitées par cette disparition. En revanche, s'il est une chose qu'on pouvait déplorer en ce jour, c'était l'absence de certains. L'événement ne leur a visiblement pas paru d'une importance suffisante pour qu'ils daignent interrompre le cours de leur vie et qu'ils participent à ce recueillement universel. Les absences de Netanyahu pour un motif illisible ou de Poutine qui a délégué Valentina Matvienko sont regrettables car elles semblent vouloir relativiser l'indéniable dimension historique de Nelson Mandela. Et puis, ces absents n'auront pas reçu en pleine face l'avertissement courageux d'Obama qui pointa du doigt ces leaders présents, qui se déclarent bien volontiers solidaires de la lutte pour la liberté incarnée par Mandela, sans la tolérer d'aucune façon que ce soit chez eux pour leur propre peuple. Décidément hier, c'était encore une fois les absents qui avaient tort. 

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