Manhattan Coroner

Maina Madec

Un meutre commis à Manhattan amène le coroner Jack Hudson à chercher un tueur au style shakespearien.

Regardant le corps, le coroner eut un léger sourire. Encore un travail d'artiste. Elle avait dû être bien belle Marny car même gonflée d'eau elle gardait quelque chose d'attirant. Une legère strangulation devenue bleutée s'imprimait sur son cou de cygne. Le corps de cette grande blonde avait été découvert par un promeneur au bord de la Harlem River. Comme si c'était la rivière elle-même qui l'avait étouffée.

Le coroner répertoria rapidement les derniers crimes commis dans le secteur mais aucun ne lui ressemblait. Des réglements de comptes entre mauvais garçons, des drames conjuguaux mais pas de crimes visant des jeunes filles comme Marny. Pas depuis que le tueur en série Stetson était derrière les barreaux.

Manhattan avait sans doute affaire à un nouveau criminel qui n'en était peut être qu'aux prémisses d'une grande série.

Par amour du travail bien fait, le coroner Jack Hudson eût presque été tenté de le laisser faire.

Les parents éplorés venus reconnaître le corps et la pensée de sa propre fille partie étudier au Québec lui firent a contrario jurer de confondre le meurtrier.

Dans la blancheur de la morgue, le souvenir vivace d'un tableau observé au Tate Britain de Londres lui vint à l'esprit.Une oeuvre de Sir John Everett Millais représentant Ophélie, l'héroïne de Shakespeare, chantant dans une rivière avant de disparaître. A la différence d'Ophélie, Marny ne s'était pas noyée. On l'avait étranglée avant de donner son corps en patûre à la rivière. Il ne pouvait cependant s'empêcher d'associer cette fille blonde à l'héroïne de Shakespeare. Tandis qu'il commençait à agencer dans son esprit les phrases de son futur rapport, il se surprit à fredonner une chanson du groupe Jack the ripper : « My name is Hamlet » dans laquelle Hamlet devient Ophélie suite à des prises d'hormones féminines.Le coroner aimait ces avancées de la science. Plus jeune, peut être, il se serait laissé aller à bousculer les frontières du genre. Il s'en était tenu au travestissement en enfilant parfois les robes de sa femme Eva. Cela stimulait leur activité sexuelle de sexagénaires essuyant quarante ans de vie commune.

Tandis que les rêveries de Jack se poursuivaient, le croque-mort du cimetière Lower découvrait, à l'occasion d'un enterrement, le corps d'une prostituée au corps parfait, Rosetta, dans le caveau d'une famille qui n'était pas la sienne. Le soir même, Jack ne put se détacher de cette intuition qui lui commandait de chercher du côté des accros de Shakespeare. Après Ophélie c'est Juliette qui venait de crever. Il lui fallait faire vite s'il voulait sauver Cordélia, Cléopâtre, Desdémone...

Si les interrogatoires des spécialistes du dramaturge anglais ne donnèrent rien, Jack se décida à mettre son art du travestissement au service de l'enquête. Sous l'apparence de la Lady Mac Beth somnambule du tableau de Fuseli, grande, échevelée, rousse, hagarde, il se mit à écumer les rues et les nuits de Manhattan jusqu'au soir où dans un rade de la 52ème rue sa tactique fut fructueuse.

Accroché(e) au comptoir elle-il déclamait :

« Venez, venez, esprits qui excitez les pensées homicides ; changez à l'instant mon sexe, et remplissez-moi jusqu'au bord, du sommet de la tête jusqu'à la plante des pieds, de la plus atroce cruauté. Venez dans mes mamelles changer mon lait en fiel... ».

La plupart des habitués n'écoutaient pas et tentaient d'atteindre ses atouts pour les malaxer de leurs grosses paluches.

« Un verre mademoiselle, une partie de jambes en l'air ? ». Shakespeare se vautrait dans la lie du monde. Seul un homme dissimulé dans le fond de la salle applaudit, interrompant pour un instant le vacarme des soûlards. Jack se décida à prendre congé avant que les hommes en rut ne le défroque. Vacillant sur ses chaussures à talons il se dirigea vers les docks. L'appât Lady Mac Beth fonctionna à merveille et le poisson qui avait applaudi vint ferrer à l'hameçon. Il s'apprêtait à enserrer le cou de sa troisième victime lorsqu'un coup de talon sur la tempe le fit vaciller.Le coroner connaissait l'efficacité de cette arme, aussi n'avait-il pas frappé trop fort.

L'assassin était la progéniture d'une actrice qui l'avait abreuvé de tirades et l'avait abandonné pour suivre la tournée d'un célèbre metteur en scène. Il s'était juré de tuer un à un tous ces rôles.

Dans la cellule du Metropolitan Correctionnal Center, Lady Mac Beth continue à perturber ses songes.


  • Imagination extraordinaire ! style toujours aussi génial, déjanté juste comme il faut. Bravo ! Toujours fan ++

    · Il y a plus de 10 ans ·
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