Maniac

Nathan Noirh

Je suis ton ombre, je suis ton contour, ton double, ton fantasme, ta chimère et ton contre-jour.

Je ne la sors que très rarement de chez moi. De même que je n'invite que très rarement chez moi. C'est ma belle. Ma brune. "Ma".

Je t'ai eu. Elle est à moi. A partir de maintenant jusqu'à la fin des jours, des mois et des temps. Tu m'appartiens toute entière. Tu ne t'enfuiras pas, et tu ne te manifesteras pas. Tu écouteras et tu feras. Ta peau, tes cheveux, tes yeux, tout est à moi. Tu sais qui je suis, et de quoi je suis capable. L'amour que j'ai pour toi est si beau et si clair, que je ne te laisserais presque pas en profiter. Je suis ton ombre, je suis ton contour, ton double, ton fantasme, ta chimère et ton contre-jour. L'inéluctabilité de ta présence à mes côtés donne naissance à plus de désirs à mes yeux, qu'un nécrophile errant dans un cimetière. Le spectre que tu voit chaque nuit n'est nullement l'illusion de ton esprit, mais la simple présence de mon visage qui te scrute dans la nuit. Quand le jour s'éteint et que tes yeux tombent, je suis en-dessous de ton lit, grattant de mes ongles l'agonie de mon attente contre ton plancher. Ressens-tu mon désir ? Brûlant et froid comme mes dents qui cherchent à connaître ta peau. Je ne peux jamais te toucher, te caresser, te prendre dans mes bras, toi toute menue et toi toute nue. J'approche sans interruption à pas feutré derrière toi, te prendre dans ton silence et ta solitude, la teinte de ton ombre pour en faire mon manteau. Je découperais d'ailleurs volontiers ton épiderme de bas en haut pour m'endormir dedans le soir, et me réveiller ardent de soupirs au petit matin. J'aime tes cheveux courts, tes yeux verts qui crient la détresse chaque jour, le dessin de tes lèvres décharnées par l'angoisse et la terreur, ton allure incertaine dans cette atmosphère amphigourique que tu dois vivre chaque jour de ta vie. 

Tu es à moi. Ta douleur ne sera jamais physique ou visible. Elle s'installera au fil des jours, des mois et jusqu'à la fin des temps. Je suis le ballet épais et nébuleux qui entoure chacun de tes pas, la rythmique d'une menotte secouée contre ton oreille et la dynamique d'une chaîne aride et desséchée autour de tes épaules. Je suis lourd et frigide contre toi, comme une roche terne qui s'accrochera à tes pieds chaque fois que tu voudra les déplacer. Tu ne partiras jamais d'ici, tu ne sortira jamais vivante. Personne ne t'entendra crier, hurler, invoquer à la mort et à t'en déchirer les muscles de ta gorge si fine et appétissante. Personne ne viendra te rendre visite, t'apporter des bonnes nouvelles ou le maigre espoir que quelqu'un qui existe dehors pense à toi et ne serait qu'un minimum concerné par ton existence. Malgré ta captivité, ta prison n'a pas de barreaux, de fers et de clous. Même si tu le voulais de tout ton âme, tu ne pourrais pas. Cela t'ait physiquement impossible. Moi seul décide si tu as le droit de sortir, de te montrer aux autres. Ma volonté est ton cachot, et mes désirs sont tes règles de détention. Tu sais que tu ne peux pas protester, que tu ne peux pas nier le besoin vital que tu as de rester avec moi, car sans ma présence ton existence serait aussi inutile qu'un coeur dans le corps d'un cadavre en décomposition, grignoté par les charognes et les chiens noirs du Mexique. Je torturerais et je ferais gémir tous les enfants de loup sur cette terre qui essayeront de t'enlever à moi. Je poursuivrais sans me reposer une seule seconde le voleur de ma déesse, l'image de mes pensées, l'ébauche de ma raison. J'userais de mes mains et de mes doigts pour serrer le cou des bandits sans lendemains, et j'y prendrais du plaisir. Quiconque tu appelleras d'une façon que je ne saurais ignorer, risquera de connaître un pandémonium infini de douleur et de détresse. Je suis fou, entends-moi. je suis cinglé et certainement hors de ma tête et de toutes mes raisons. La faute à toi et à ta silhouette, ton image qui dure et se propage comme les ondes du fracas des cailloux dans l'eau, ta magnificence ne cesse de m'obséder. J'aime ton éclat et ta prodigalité, ta brillance qui se reflète sans cesse et sans raisons apparentes, elle est là ma poésie du matin, celle du jour et de l'été. Celle qui scintille à la moindre lueur, le moindre rayon, la moindre clarté; 


 Tu es un écho de mon être, ma douce, ma belle. Tu es comme le reflet des coyotes qui s'abreuvent à la rivière, interdits mais pourtant si assoiffés. Ta condition actuelle ne te permets pas, à proprement parler, d'exister. Tu es tout pour moi, mais pourtant tu représente le néant de mon âme. Tu es la tribulation de mon être, et la géhenne de ma vie. Tu n'as pas de nom, pas de mots pour te décrire, pas de raisons de faire ou d'être, tu n'es pas, tout simplement. Mais chaque jour je me délecte de toi, de ton regard, de la lumière sur ta peau.

Depuis le début, je n'ai cessé de m'admirer. Les miroirs représente mon agonie éternel, ma punition majestueuse. La nuit m'étouffe et me prive de mon image, elle m'interdit de me voir, de me consulter, de m'aimer. Tu es à moi. Je t'ai eu. Elle est à moi. A partir de maintenant jusqu'à la fin des jours, des mois et des temps. Tu m'appartiens toute entière. Tu ne t'enfuiras pas, et tu ne te manifesteras pas. Tu écouteras et tu feras. Ta peau, tes cheveux, tes yeux, tout est à moi.   

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