Marguerite ou Iris

nyckie-alause

Ecrit pour le concours "La peau" Occitane en Provence

Quand Marguerite ouvrait la porte de l'appartement l'air s'empoissait d'un parfum étonnant, mélange de fleur de seringa, de vanille légère et d'une tendance acide qu'elle avait capturée en traversant la ville. L'odeur du dehors, de la rue. C'était un plaisir renouvelé que de la voir secouer ses cheveux après y avoir enfoncé ses doigts à rebrousse-poils en dénudant la clarté de sa nuque. A chaque fois, sa chevelure me donnait l'impression de changer de nuance, de s'éclaircir, comme le teint de Marguerite quand elle se calme et reprend un souffle régulier après la course du dimanche matin quand je la poursuis, zigzagant au travers des arbres du parc.

Après avoir abandonné son sac et ses gants sur la commode, elle déposait sa veste, son manteau ou juste le foulard dont elle recouvrait son cou et ses épaules, cela dépendait de la saison qu'elle avait traversée avant de rentrer chez nous. Au fur et à mesure de ce rituel, elle reprenait une consistance intime qui m'était seulement destinée. Alors, simplement vêtue de sa robe, pieds nus sur le tapis de l'entrée, elle se tournait vers moi et me souriait. Les mains qui avaient traversé sa chevelure l'instant précédent s'attardaient dans la mienne en sens inverse, du haut de ma tête elles glissaient jusqu'à ma nuque et, quand elles touchaient mon cou frissonnant, ses pouces exerçaient une pression à laquelle je ne résistais pas. Mon visage se relevait vers elle et elle déposait sur mon front un baiser qui faisait monter du rouge dans mes joues et du brillant dans mes yeux. 

J'ai oublié les mots qu'elle me disait quand je la suivais à travers les pièces qu'elle traversait jusqu'à gagner sa chambre, ces mots qu'elle me disait pour que je la laisse, ces mots qui me repoussaient loin d'elle quand elle s'enfermait et me laissait seul dans l'espace assombri du couloir. Je n'avais d'autre choix, pour ne pas sombrer dans le désespoir, que de retourner dans l'entrée et de plonger mon visage dans son foulard pour respirer l'odeur de sa peau, de caresser ses gants comme j'aurais caressé ses mains.

Puis je suis devenu un homme, c'était écrit. J'ai aimé. Je crois que j'ai été aimé aussi. Chacune de mes amoureuses m'a attiré dans ses rets par un je ne sais quoi de brillant et suave à la fois. Cette douceur dorée du duvet qui scintille aux rayons du matin. Ces grains comme une plage de la peau qui frisonne à la vague de mon souffle. Une douceur de soie dans les creux de son corps que le drap qui glisse dénude. Le parfum doucereux piégé au pli du coude. Le bruit que fait ma main qui caresse sa nuque. 

Puis être quitté ou laisser partir. Se retrouver seul, revenir en arrière.

Se sentir un enfant. Etre laissé dans le couloir. Entendre l'eau qui éclabousse la faïence. Imaginer cette eau glissant sur la peau de Maman, la peau de Marguerite. Et moi, rejeté et tremblant de la perdre. Sentir dans la vapeur qui s'échappe, l'odeur citronnée de la verveine, comme un goût de bonbon dont je serai privé. Privé jusqu'à ce que…

Jusqu'à ce que, enfin, Marguerite ressorte. Elle a passé un peignoir kimono ou se croisent deux dragons qui s'enroulent autour de cerisiers en fleur. La moire de la soie leur donne vie à chaque pas et le bruit si caractéristique de l'étoffe comme une caresse, comme une promesse de douceurs inaccessibles ou, j'en rêve, futures. Je ne peux m'empêcher de la suivre, frôlant du bout des doigts le nœud de la ceinture, le tombant de ses manches, ne rêvant qu'au moment où, enfin, elle s'installera sur le canapé. 

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle accepte que je la rejoigne et que je me blottisse contre elle. Sa peau est si fraîche et si douce que j'ai du mal, les yeux fermés, a définir la frontière entre la soie du kimono et la chair de son décolleté. Si je ferme les yeux, c'est pour tenter de me souvenir de ce que j'ai perdu en grandissant. Plus jamais je ne verrai ce que cache le vêtement, si doux. Ces choses tendres qui m'ont nourri et dont je sens contre mes joues les reliefs désormais réservés à un autre.

Ses mains ont enduit son visage d'un onguent qui, si cela est encore possible, l'a rendue plus lumineuse. Il me reste du fond de mon enfance l'impression que ses caresses sur mes joues me donnait une partie de cette lumière inexplicable accentuée encore par le souvenir mélancolique que j'en ai. Je crois qu'elle et moi, nous nous ressemblions. La même rousseur, la même douceur, les mêmes silences. 

Et un matin, j'ai rencontré Iris. Les femmes que ma vie avait croisées devinrent transparentes. 

Iris. Elle en avait le parfum léger, la prestance et l'élégance élancée. Jusqu'à sa robe qui était de ce vert étonnant du feuillage qui tire vers le gris et dont les mouvements ont cette sorte de fausse raideur qui s'oppose au diaphane de leurs pétales. 

Iris est assise sur un banc face au petit lac. Elle surveille un jeune garçon qui l'interpelle en criant « Maman, regarde-moi! ». Chaque fois qu'il tape dans son ballon il crie « But! » avant de repartir pour recommencer son manège. 

Puis l'enfant est tombé et j'ai rattrapé son ballon. 

Iris a quitté son banc. Le soleil glisse sur sa peau, le vent passe ses doigts dans ses cheveux, son odeur fraîche, ses bras nus, ses mains longues… Elle saisit l'enfant et le serre contre elle. Il se blottit, elle le berce et le console.

Je suis à nouveau un enfant qui aspire au contact de velours de cette peau. Un enfant que le désir de consolation submerge. Un homme envoûté par les peaux de la mère et de l'enfant  qui se touchent, par la beauté et la tendresse qui émane de ce tableau. Entre mes mains je ne peux m'empêcher de ressentir la douceur poussiéreuse du cuir du ballon, presque aussi doux que les gants que Marguerite abandonnait dans l'entrée. Quand je l'approche de mon visage, comme une image surgie de mon passé, une odeur de sueur mêlée au parfum d'herbe écrasée et de fleurs odorantes, envahit l'espace. L'enfant a cessé de pleurer. Tendant le ballon comme une offrande, je marche vers elle et elle m'invite à m'asseoir.

  • Tes deux nouvelles sont très belles Nyckie, mais pourquoi tu les postes ? Je n'ai pas encore vu les résultats ; ( si tes textes sont sélectionnés ?

    · Il y a presque 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • les résultats devaient être publiés au plus tard le 22 et aujourd'hui nous sommes le 23. A mon avis, elles ne sont pas suffisamment "fiche produit"

      · Il y a presque 8 ans ·
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      nyckie-alause

    • Nous sommes malheureusement habitués aux retards dans l'annonce des résultats. Mais je trouve que tes nouvelles correspondent exactement aux demandes. Ils avaient bien précisé que justement, ils ne voulaient pas de "fiche produit ". En tout cas ton écriture est très belle

      · Il y a presque 8 ans ·
      Ananas

      carouille

    • Merci du compliment et puis, dans un concours, l'important c'est de participer…

      · Il y a presque 8 ans ·
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      nyckie-alause

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