Marie

brajkina

Une obsession, un désir, une folie, une sorcière qui un jour disparaît.

    C'est une brise fraîche qui me fit ouvrir les yeux comme une caresse si douce qu'elle vous fait frémir.
Tandis que mes sens s'habituaient à la faible lumière de la chambre, je repoussais délicatement les draps et me levais sans bruit. Le souffle qui m'avait réveillée fit frissonner mon corps dévêtu. J'attrapais alors mon déshabillé de soie noir et l'enfilais avec réconfort. J'ouvris un peu les rideaux pour laisser le ciel malade de Paris éclairer la pièce et ainsi découvrir le corps endormi de Marie.

D'une respiration lente et irrégulière elle faisait glisser les draps sur sa peau satinée, dévoilant ainsi son épaule puis son bras et enfin ses seins. Marie dormait toujours beaucoup, je ne comptais plus les fois où j'étais partie en la laissant prolonger son sommeil de quelques heures alors que le soleil se couchait déjà.

Je m'allongeais à nouveau près d'elle en l'observant. Les courbes qui la composaient s'apparentaient à un morceau de piano d'un auteur oublié que l'on connaît sur le bout des doigts mais dont on n'arrive jamais à parfaitement saisir le cœur. Comme si effleurer les touches ne suffisait plus, comme si l'interprète devait voir au-delà, comme si ce n'était pas à la musique d'atteindre votre âme mais à vous d'atteindre la sienne.

Ses cheveux courts et bruns laissaient apparaître sa nuque et dégageaient habituellement une légère odeur florale, que je n'ai jamais pu réellement identifier. Ce matin-ci, alors que je me penchais pour les embrasser, je sentis des effluves boisées de sapin et la douceur acide de la pomme. Je souris en les caressant, les laissant glisser entre mes doigts malhabiles.

Marie ouvrit ses paupières en quelques battements de cils, pour me regarder telle une enfant réveillée en pleine nuit, perdue. Je déposais un baiser sur ses lèvres qu'elle me rendit avec langueur sur la poitrine. « Tu as bien dormi ? » s'enquit-elle comme une formalité en se blottissant entre mes seins. Je restais muette, elle n'attendait pas de réponse. Marie n'était pas du matin. J'admirais le velours de sa peau très blanche, en caressant son dos fébrilement des épaules aux reins. Je sentis ses muscles se relâcher à nouveau et sa respiration se faire plus forte « Tu ne vas pas te rendormir quand même ? », elle s'écarta et murmura « Pas tout de suite. » en manquant de tomber du lit alors qu'elle fouillait dans son sac pour finalement en sortir une cigarette. Elle l'alluma puis s'allongea sur le dos entièrement nue. J'embrassais son ventre, la chatouillant de mes mèches blondes volontairement, elle frémit et me tendis sa cigarette dont je pris une bouffée entre ses doigts. Je posais ma tête sur son épaule, toute contre son sein et soufflait la fumée dans des volutes qui dansaient irréelles au-dessus du corps gracile de Marie.

«Je vais partir, tu sais ? » Elle avait prononcé ces mots d'un ton grave et froid. Mon cœur se serra à nouveau dans ma poitrine, tout comme hier soir. J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortit. Je savais bien qu'elle finirai par partir, et ce depuis le début de notre relation. C'était son rêve de voyager, elle disait souvent que le Japon l'appelait, qu'il lui « chuchotait des couleurs et des formes » dans ses songes, elle aimait chanter de vieilles chansons de jazz ou de blues en prétendant s'appeler Mary lorsqu'elle faisait des croquis et s'énervait de ne pouvoir reproduire les tons ocres et rouges de la latérite dans ses peintures. Elle ne vivait que pour son art et m'avait confié un jour qu'elle aurait préféré mourir plutôt que de ne plus jamais toucher un pinceau. Je ne pouvais pas lui demander de rester, je l'aimais trop pour ça. Et puis elle ne l'aurait pas fait de toute façon. Partir avec elle était impossible pour moi, ma vie était ici. Mes amis, ma famille, mon métier, je ne pouvais pas abandonner tout ça, je n'en avais pas le courage. J'avais fini par me faire à l'idée que je ne passerais pas ma vie avec elle mais je n'avais pas anticipé que je le vivrais aussi mal.

Marie m'avait jeté un sort, moi qui avait toujours été volage et surtout hétéro, je me retrouvais avec une femme et complètement amoureuse. Je l'aimais comme je n'aurais jamais cru aimer. Son départ était comme une déchirure, un écroulement de tout mon être mais il fallait que je sois forte une dernière fois. Je fini par dire alors dans un souffle presque inaudible « Oui, je sais. »

Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier posé au pied de notre lit et se tourna vers moi. Ses yeux d'un brun clair me fixaient empreins de tendresse. « Viens avec moi. » Elle l'avait dit comme une prière, avec une douceur infinie.

Je fis non de la tête. Elle me l'avait déjà demandé des centaines de fois, en riant, en pleurant, calmement ou à bout de nerfs mais jamais elle ne l'avait fait comme à l'instant. Je me sentais aussi heureuse que comme si elle m'avait demandé de l'épouser mais j'étais désespérée de ne pas en avoir la force.

« J'aurais essayé une dernière fois. » fit-elle avec un sourire d'une tristesse sans nom, ses yeux se gorgèrent de larmes et elle m'embrassa avec la fougue de notre premier baiser en me serrant dans ses bras si fort que je me sentais fondre. La chaleur de son corps nu que je connaissais par cœur balaya un peu la douleur de cette séparation et l'amour contenue dans chacune de ses caresses l'effaça complètement. Dans une étreinte qui dura toute la journée et toute la nuit nous nous consolèrent l'une l'autre, voyant les choses comme un coup du sort. C'est ainsi que nous nous fîmes nos adieux.

Le lendemain quand elle partit à l'aéroport, j'étreignis le souvenir de son visage, le nez enfoui dans les draps encore chargés de son parfum et restait au lit, pour une fois.

  • Texte magnifique ! je t'avoue être sous le charme. Tu fais de belle comparaison, tu décris Marie comme une nymphe, une déesse. C'est magnifique. Bravo pour la longueur également.

    · Il y a presque 10 ans ·
    Bibliotheque

    Uneasy

    • Merci, c'est l'image que je voulais donner de Marie, je suis ravie et flattée que tu aies su comprendre le personnage.

      · Il y a presque 10 ans ·
      10259782 1419227721675702 6222184838133240847 n

      brajkina

  • Je suis sous ton charme et je te jalouse de ne pouvoir écrire des textes aussi long , j'en suis incapable.Merci

    · Il y a presque 10 ans ·
    8879627 abstract multicolore arbre symbole de la nature

    Danny Bourassa

    • Quel beau compliment ! Merci. (C'est en persévérant que j'arrive à écrire des textes plus longs.)

      · Il y a presque 10 ans ·
      10259782 1419227721675702 6222184838133240847 n

      brajkina

  • "C'est ainsi que nous nous fîmes nos adieux"
    Un très beau texte!

    · Il y a presque 10 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

    • Oh la la ! Merci pour la correction ! Et pour le compliment aussi.

      · Il y a presque 10 ans ·
      10259782 1419227721675702 6222184838133240847 n

      brajkina

Signaler ce texte