Masque et Mails au NéonGod

Anne Charlotte Tunroc

Laure mène une double vie, employée de bureau le jour, danseuse dans un gentlemen club le soir. Un jour, un de ses collègues vient : sera-t-elle démasquée ? pourra-t-elle retourner au travail ?

Je me dépêche car je suis très en retard pour aller danser au NéonGod.

En courant, je sens mon corps se réchauffer. C'est assez agréable de le sentir revivre après des heures passées derrière l'écran, les jambes serrées, les cuisses contractées, le buste penché, les épaules tendues,  les coudes pressés contre mon flanc, la tête perpétuellement baissée vers le clavier, à regarder mes mains s'activer comme d'immenses araignées.

Courir me procure comme une seconde naissance. Je sens mes lèvres se gonfler, et mes joues remonter en un grand sourire quand je claque enfin la porte du bureau et que je me retrouve face au soleil de début septembre. Lorsque je me précipite dans le métro, frôler les corps achève de m'apaiser totalement. La chaleur de la course fait doucement battre la pulpe de mes doigts, mes oreilles et  mes mollets, dans une douce tension qui monopolise mes pensées.

Je devrais penser à ma danse, mais je veux d'abord passer ma journée en revue.

Elle fut assez banale, à l'exception, de cet incident sensuel qui m'arriva vers 17.00.  Alors que je travaillais à un très bon rythme, j'eus soudain une rêverie à l'occasion d'un mail de Maurice. Maurice est, selon beaucoup de mes collègues, homosexuel. Mais je me pose la question de la véracité de cette rumeur. Maurice a une manière de bouger, de parler, de rire ou de se vexer qui peuvent certes paraître masculine, mais je ne dirais pas pour autant qu'il me semble à moi efféminé. A différentes occasions, je me posais la question de son attirance pour les femmes. Plusieurs fois en soirée, il me fit le reproche de draguer ou de me laisser draguer, dans une possessivité qui pouvait bien entendu n'être qu'amicale, mais qui m'interrogea. Une autre fois, en réunion, j'avais eu le plaisir de constater qu'il regardait très souvent mes seins, qui n'étaient pourtant pas particulièrement décolletés ou attirants. Est-ce qu'on peut visuellement se laisser obséder par des seins, sans avoir envie de les lécher ? est-ce qu'il fit cela de manière visible, pour que les autres personnes présentes en réunion constatent son goût pour les femmes et que la rumeur le laisse tranquille ? Je ne sais pas, mais depuis, je me demande souvent ce que ce sont ses nuits. Et à 17.00 ce jour là, je me pris à l'imaginer avec des hommes et des femmes, dont j'aurais pu faire partie, sentant sa longue sur mon sexe tandis qu'il se faisait prendre par un homme, ou bien derrière un homme que j'aurais sucé. La fatigue de la journée, associée à ces visions avaient rapidement fait monter mon excitation.  Je n'arrivais plus à me concentrer, je sentais mon sexe fondre, la chaise exciter encore plus mon clitoris, et j'avais dû partir aux toilettes pour me toucher. J'entendais les voix de mes collègues autour de moi, leurs rires, les claquements de porte. La  honte d'être ainsi au milieu d'eux,  dissimulée par une simple porte, les jambes écartées, me tenant un sein, me caressant le clitoris d'une autre main, en retardant la jouissance en enfonçant parfois mon doigt dans le vagin, me permit d'atteindre un orgasme gigantesque proportionnel à ma frustration de devoir encore rester quelques heures au bureau, à mon épuisement nerveux et à mon envie d'être bientôt sur scène au NéonGod.  

A 20.00 enfin je partis. J'étais danseuse, strip-teaseuse deux fois par semaines dans un club privé tout ce qu'il y avait de plus chic. J'avais été repérée en soirée car j'aime beaucoup danser et j'aime à cette occasion entièrement libérer mes articulations, et l'animalité que je réprime en moi au quotidien. J'avais accepté l'offre car je dansais le visage entièrement recouvert d'un masque, et, à raison deux fois deux heures de danse, j'augmentais mon salaire de près d'un tiers, en écoutant du Marvin Gaye dans un très bel endroit. Je n'étais jamais ennuyée par les clients, qui connaissaient très bien les règles de l'établissement et venaient plus pour se détendre que pour jouir.

Ce soir là, j'arrivais un peu en retard et revêtais ma tenue sans trop faire attention, ce n'est qu'une fois habillée que je me rendis compte qu'elle était particulièrement belle et ouvragée comparée à d'habitude. Le peignoir en soir était bordé de plumes, le soutien gorge laissait un peu voir les mamelons, et était taillé dans une dentelle d'une très grande douceur, qui devait être mêlée à du cachemire, ou au moins à de la laine, la culotte ouverte était du même tissu, le serre taille était un simple ruban, et retenait des bas dont j'étais quasiment certaines qu'ils soient en soie. Tout était plus beau, plus brillants, plus neuf que d'ordinaire, je me sentais exceptionnellement attirante.

Je me dépêchais d'entrer en scène, il y avait assez peu de clients.

Je commençais à jouer avec mon peignoir et à le frotter sur moi, les spectateurs à ce stade regardaient généralement à peine la performance, ils venaient d'abord pour fumer un bon cigare, boire un whisky ou parler affaires. Je me retrouvais bientôt en sous-vêtements et commençais  à danser, généralement j'attirais alors leur attention. Je prenais la barre entre mes jambes, glissais dessus, la serrais entre mes bras tout en me penchant en arrière et en secouant les cheveux. Leurs regards commençaient alors à m'exciter et je mettais plus de vigueur dans mes coups de hanches, je descendais mes fesses plus bas et attardais encore plus mes mains sur mon ventre, entre mes jambes et sur mes fesses.

Alors que je finissais presque ce premier numéro, mon regard fut soudain attiré par un spectateur au premier rang qui venait de répondre à un appel téléphonique. Je lui jetais un coup d'œil et mon corps se glaça. C'était Maurice qui était là, à une table avec deux autres hommes. Il raccrocha puis me regarda. Nos regards se croisèrent, il sourit de manière à peine perceptible puis parla à un de ses amis. Je continuais à danser tout en le regardant. Je me sentis prodigieusement excitée par son regard, je me tournais pour le regarder en tournant la tête tandis que je descendais les fesses le long de la barre, je prenais mes seins à pleine main et écartais largement les jambes pour ramener mon sexe contre la barre. Son sourire s'élargit, je sentais l'orgasme monter et quand il advint, un peu avant que la musique ne cesse, je le vis fis applaudir silencieusement.

Je rentrais en coulisse. Je tenais à peine sur mes jambes. Je regardais mes cuisses inhabituellement luisantes de mon foutre. Gary, le patron me croisa et me félicita pour mon numéro en riant et en me pinçant la nuque. J'étais pour la première fois en cet endroit, gênée, et j'avais honte d'avoir joui sur scène et d'avoir peut-être été reconnue par Maurice.

On frappa à la porte de la loge, j'ouvrais. C'était Gary à nouveau.

« Laure, un client voudrait une danse dans le salon bleu, est-ce que tu es d'accord ou bien je demande à Zahra ? »

Je ressentis un choc au fond de mon ventre. J'acceptais immédiatement sans voir même le temps de réfléchir à ce que je disais ou faisais. Ce type de danse n'était pas plus risqué que le reste car les clients étaient auparavant avertis de ce qu'ils encouraient s'ils nous touchaient, mais c'était une situation très rapprochée, et si c'était Maurice qui m'attendait dans le salon, il y avait de fortes chances pour qu'il me reconnaisse. Je demandais à Gary de baisser au maximum les lumières et je lui dis que j'arrivais tout de suite.

Je soupirais puis me mettais en route. J'ouvris la porte. Maurice était seul. Je m'avançais, tenant à peine sur mes talons. Je sentais mes tempes battre violement sous le coup d'une émotion que je n'arrivais pas à distinguer de l'excitation ou de l'épuisement physique à la suite de mon précédent orgasme. J'avançais vers Maurice et m'appuyais sur ses épaules pour balancer les fesses en rythme. Je me mis ensuite derrière lui pour caresser son torse et ses oreilles, je voyais son sexe dur à travers la toile du jean.

Je repassais devant sa chaise et me mettais dos à lui pour balancer mes hanches. Alors que je commençais à sentir l'odeur de mon excitation, il posa ses mains sur mes fesses, je pouvais à peine continuer à danser.  Penchée vers le sol, je sentais mes seins pointer à m'en faire mal, et j'avais une envie odieuse de lui prendre la main et de la mettre sur et dans mon sexe. Je me remettais face à lui, pour effleurer son cou de mes lèvres puis je me mis à quatre pattes, pour secouer ma tête entre ses cuisses. Il mit ses mains sur mes cheveux pour rapprocher ma tête de son entrecuisse. Et contrairement à l'impératif de distance de ce club, je tentais de prendre le sexe à travers la toile, tenter d'agripper le tissu avec mes dents, tout en agrippant ses cuisses pour me donner plus de force. Soudain, il me prit brutalement par la taille et m'assit sur lui, il me toucha les seins, écarta mes fesses et me mordit le cou. Je jouis instantanément en hurlant. Il me jeta ensuite par terre, sortit son sexe, se toucha quelques seconde, puis jouit sur mes seins. Je jouis à nouveau en gémissant et en me touchant le clitoris. Lorsque je rouvris les yeux, il était déjà parti.

J'avais une réunion avec lui le lendemain matin. J'arrivais et constatais qu'il me dit bonjour en me regardant en face, avec la même voix que d'habitude, les mêmes dandinements, et sans aucune gêne. J'étais convaincue qu'il ne m'avait pas reconnue. J'avais du mal à associer l'homme qui m'avait donné du plaisir hier, avec cette folle. Alors que j'ouvrais mon cahier et cherchais une page, il me dit tout à coup, baissant la voix et reprenant cette expression impassible que je lui avais découvert hier : « Je suis épuisé, je suis sorti hier dans un endroit que tu aimerais beaucoup Laure, nous en reparlerons peut-être». Il commença ensuite à tranquillement aborder le sujet de notre réunion. Je regardais fixement la page de mon cahier, pensant à l'enfer d'excitation que serait désormais ma vie dans ce bureau, et au plaisir que j'espérais prendre bientôt, dans les toilettes, sur les tables, le canapé de la salle d'attente, dans les placards, et partout.

 

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