Max Chef de pub
vic-nekavo
Septembre 2085 - Bureau de la communication du gouvernement de la VIII° république - Sous-sol N°425
- Entrez Max, ça va? Asseyez-vous. Nous avons un nouveau projet.
Blanc. Silence pesant. Regard fixe. Prunelles ambrées voilées. Alex, mon boss, soupire, baisse la tête - ce qui ne lui ressemble pas - souffle, faisant vibrer les poils rudes poivres et sels qui ornent sa lèvre supérieure. Il mastique un invisible schwing gum. Je vois ses pieds s'agiter sous le bureau, sa nuque est raide comme s'il portait une minerve. Hou là là, pensais-je, ça doit être grave pour qu'il soit dans cet état là. Il est placide d'habitude le chef. Pas le genre à flipper pour un rien. Jamais vu dans un état pareil. Bon, il la crache sa pastille ou quoi? C'est pas que je sois débordé en ce moment, mais là ça commence à durer. Il relève la tête.
- Pas trop stressé en ce moment?. Ca se passe bien avec votre nouvelle collaboratrice? Mignone hein? Lola, c'est ça? Recrutée exprès pour vous, mon vieux. 95-70-95. Choisi moi même. Le bonheur non?
- Ouais, plutôt sympa. Efficace. Rien à dire.
Bon, c'est quoi le problème? Il divorce l'Alex ou quoi? Je suis viré? Muté aux archives? J'ai les boyaux qui commencent à manifester, surtout que j'ai pas vraiment eu le temps de déjeuner ce matin et que ça gargouille sec là dedans. J'arrive pas à m'asseoir et reste debout comme un benêt, oscillant d'un pied sur l'autre, croisant et décroisant les bras, le regard errant du sol au plafond, d'un diplôme encadré d'Alex à la photo officielle de notre nouveau président: un sourire béat encadré par deux oreilles en forme de chou-fleur au dessus d'une combinaison bleu marine, ornée de moult décorations, le tout sur fond rose légèrement phosporescent. Bof! Pas très convaincant le gus, mais bon, lui ou un autre... Je parle pas de la photo. A chier! Le contraste des couleurs me fait penser à une ancienne pub pour produit à déboucher les cagoinces. Pas moyen de capter le regard d'Alex qui danse la carmagnole d'un mur à l'autre.
- Bon, Max, asseyez-vous. Ils viennent de m'appeler. Nous sommes les premiers au courant. Je vais pas vous faire un topo sur les dangers de la démographie galopante dans notre situation. Il va falloir leur faire avaler que...hum...comment dire...
Alex se racle la gorge et déglutit péniblement. Je laisse échapper un soupir de frustration. Putain, notre Alex est dans un sale état. Bon, ils ont décidé quoi encore?
- On n'aura plus le droit de faire des enfants, lâche t'il brusquement.
Silence plombé. Nos têtes rentrent simultanément dans nos épaules. Il faut dire que le coup de gourdin qu'on vient de se prendre en assommerait plus d'un. J'arrive pas à ouvrir la bouche, les maxillaires en position off. Ce doit être pareil pour lui et je comprends l'effort qu'il a dû faire pour m'annoncer ce cachet blanc au goût de cyanure, qu'à l'évidence, ni lui ni moi ne sommes prêts à avaler. Nos regards se croisent. L'or habituellement brillant de ses iris semble avoir fondu, atomisé par la douleur et le spectre de cette fin de vie, pour ressembler à la surface obscure d'un lac sous-terrain, couleur de tain usé. D'habitude les filles me draguent pour mes yeux vert lagon, mais là franchement, je ne jurerais pas de mon succès. Sans doute que moi aussi, mon regard ressemble à une flaque de flotte sale au goût de vase.
Nouvel échange de regards en apesanteur. Il parle le premier.
- Allez Max, ressaisissez-vous. On a un an devant nous. Et puis j'ai eu Louise au téléphone, vous savez, la directrice de la recherche en charge des nouveaux moyens de survie. Cette femme est formidable. Elle ne perd jamais espoir. Une battante! Prenons-en de la graine. Elle essaie de voir comment fabriquer de l'oxygène en rab à partir de je ne sais plus quelle substance chimique, vous savez, moi je n'y connais rien, ces trucs là m'échappent. Enfin, bref, elle se dit qu'elle va peut être y arriver à temps et qu'on pourrait se contenter de contrôler les naissances. En attendant, parlez-en à votre équipe. Trouvez un truc sympa et efficace pour éviter que tous les couples se précipitent dans l'année qui vient à mettre en route un moutard. Bien sûr, les femmes qui sont enceintes accoucheront. Ce seront les derniers habitants de la planète terre. Mais il est clair que celles qui tomberaient enceintes innopinément seront avortées.
Il ajoute beaucoup plus bas:
- Les équipes médicales vont être prévenues dans la matinée, hum, afin de pouvoir prendre toutes les mesures nécessaires, commander les stocks de pilules abortives. Il va falloir former le personnel, conclut-il dans un souffle.
Plus fort, la voix devenue rocailleuse du fait de l'étranglement du larynx comprimé par le stress:
- A vous de trouver la solution pour le leur faire comprendre sans créer une panique dont clairement, on se passerait bien vu les circonstances.
Nouveau silence de mort.
- Max, du nerf! J'ai besoin de vous. Ce n'est vraiment pas le moment de flancher. On n'en n'a pas le droit! Que croyez-vous, ce n'est facile pour personne. Ne baissons pas les bras et faisons confiance à Louise. Cogitez-nous un truc dont vous avez le secret qui fera avaler l'affaire à la population sans sourciller et surtout, sans paniquer. Vous savez faire, n'est-ce pas? Je suis certain que vos méninges bourrées d'imagination vont nous pondre une campagne de com. extra. Allez, courage! Tenez moi au courant dès que vous tenez quelque chose. J'ai demandé qu'on vous prépare un dossier avec les chiffres et tout ce que vous avez besoin de savoir. Il devrait être sur votre bureau en fin de matinée.
Comme je reste tétanisé dans mon fauteuil, Alex se lève.
- Max, laissez moi seul maintenant. Moi aussi j'ai besoin de cogiter. Vous n'êtes pas seul dans cette galère. Je ne sais même pas comment je vais le dire à Sarah qui vient de se marier et a passé le week-end avec son mari à choisir des prénoms pour leurs enfants. Je ne serai jamais grand-père. Croyez que ça m'amuse? On va tous avoir à faire notre deuil de ces enfants qui ne naitront pas. Sauf miracle. L'espoir fait vivre. C'est votre devise, non? Sortez maintenant!
C'est un cauchemar. Je vais me réveiller c'est sûr. Je ne peux pas lui dire que Macha est peut être enceinte, que nous essayons de l'avoir cet enfant depuis trois ans, qu'elle s'est bourrée de médocs au point de se rendre malade, de piqures douloureuses pendant des mois, que chaque mois nous espérons, enfin, le tenir dans nos bras ce petit d'homme là. Pour la première fois depuis des lustres - la dernière a dû être le jour de mes 12 ans où je me suis cassé la figure dans l'escalier et pété le poignet - j'ai envie de pleurer, pas des petits sanglots retenus mais un fleuve de larmes, lourdes et chaudes, chargées de colère et d'amertume, charriant mes espoirs brisés comme autant de branches emmêlées dans un ultime chaos. Ma pudeur maladive me pousse à me lever d'un coup sans un regard pour Alex, à sortir de son bureau sans même penser à en fermer la porte ni à lui dire au revoir.
Salut Wen et merci. Ce n'est que le début d'une histoire, à suivre si j'ai le temps de finir de l'écrire.
· Il y a presque 12 ans ·vic-nekavo
J'aime bien !
· Il y a presque 12 ans ·Tu aurais pu lui donner un côté encore plus futuriste limite apocalyptique sur le réchauffement climatique, la pénurie d'oxygène due à la pollution de l'air, etc.
Mais passer du contrôle des naissances à l'extinction volontaire de l'être humain... Ça pourrait faire une nouvelle sacrément apocalyptique.
wen