Memento Mori

moons

«  Rose,


Je n'y ai pas cru lorsque l'on me l'a dit.

J'étais là, assise, au dernier rang, à regarder la neige tomber à travers la fenêtre quand des bruits sourds se sont fait entendre sur la porte. La principale est entrée. Puis la CPE. Puis l'assistante sociale. Et enfin, notre prof principale. Elles ont toutes observées la classe de leurs yeux insipides puis leurs regards se sont arrêtés sur moi. Moi et la chaise vide à mes côtés. Et elles ont baissé les yeux. Elles ont serré les lèvres, fort. Très fort. Je pense qu'elles n'en aurait pas été capable autrement.

Il y a eu ce silence dans la classe. Pesant. Insupportable. J'ai tourné la tête et malgré le ciel grisâtre, l'extérieur paraissait toujours plus étincelant. J'ai senti une boule s'installait au creux de mon estomac. J'étais sure que c'était pour moi. Pas comme toutes ces fois où j'avais peur d'apprendre que mon père était à l'hôpital quand un numéro que je ne connaissais pas s'afficher sur mon portable. Cette fois, ce n'était pas de la peur. C'était de la certitude. Je le sentais, tu sais. Dans ma peau. Dans ma chair. Et même dans mes os. Comme si tout arrêtait soudainement de bouger en moi. On peut souvent lire « Mon cœur loupa un battement...» et tu imagines bien que ça me faisait rire tout ça. Pourtant, c'est ça. Et plus encore. Ton cœur s'arrête. Ton sang ne circule plus. Tes cellules commencent déjà à mourir. Pendant un instant, tu as même très froid. Honnêtement, ça ressemble à la mort. L'expression mourir de peur est donc totalement fondée, j'imagine. Mais tout cela tu le ressens réellement. Et en ce jeudi matin, je le sentais. Je sentais que c'était le début de la fin. Et j'avais raison.

Mme Lison m'a appelé, d'une voix tremblante sans oser soutenir mon regard. Elle me fuyait et je n'aimais pas ça. Elle m'a demandé de la suivre. Je me suis levée machinalement, sans réfléchir. J'ai fait quelques pas, avant de regarder en arrière. Tous les autres me scrutaient, avides de curiosité. Quand j'y repense, il savait probablement pourquoi on m'appelait personnellement. Ce n'était pas comme si ta disparition avait été un secret. On est sortie dans le couloir. Ils m'ont demandé de m'asseoir sur une chaise. Il n'y avait jamais eu de chaise au troisième étage dans un couloir. Il l'avait spécialement monté pour moi. Tu te rends compte ? Je me suis assise, redoutant les mots qui allaient sortir de leurs bouches. Elles se sont regardées. Longtemps. Finalement, la CPE s'est agenouillée à ma hauteur. Elle a posé ses mains sur mes genoux. Je pouvais sentir sa détresse désormais. Ses mains pâles tremblotaient à l'annonce qu'elle allait me faire. Elle m'a regardé dans les yeux avant de fuir, une nouvelle fois, mon regard. Puis elle a ouvert la bouche. Je n'entendais rien, quasiment rien. J'étais fixée sur ses lèvres. Avais-tu déjà remarqué qu'elle avait une petite cicatrice blanchâtre qui lui les lui barrait ? Quand sa cicatrice a fini de se mouvoir, elle m'a demandé si j'avais compris. Cette fois, elle cherchait à capter mon regard. A me lire. J'ai tourné la tête et j'ai regardé toutes ses femmes qui m'épiaient, l'air inquiet. Je n'étais pas sure de ce que j'avais entendu. J'ai entendu ton prénom. Ton prénom de petite fleur gracieuse et noble. On t'avait enfin retrouvée. Pourquoi étais-tu partie ? Pourquoi ne m'avais-tu rien dit ? Je t'ai appelé. Tu ne m'as pas répondu. Mais j'étais sure que tu reviendrais. Jamais, tu ne m'aurais laissé seule. Jamais. Et pourtant...

Je leur ai demandé où tu étais et elles se sont simplement regardés avant de m'expliquer une nouvelle fois ton épopée. Cette fois, j'avais l'impression que les mots étaient taillés. Les pointes fines me rentraient dans la peau, me transperçaient le cœur. Enfin, la principale s'est avancée. Je l'ai toujours trouvé hautaine. Distante. Elle a prononcé le mot maudit. Morte. Elle t'a outragé de cet adjectif.

Et c'est ce qui m'a réveillé. Je me suis levée et je l'ai poussé. Peut être trop violemment, je crois. Et j'ai couru. J'ai dévalé les marches rapidement et je suis sortie. Je me souviens inspirer l'air. Mais rien ne voulait rentrer. J'étouffais. Le lycée m'écrasait. J'ai couru. Le plus loin possible.

J'ai couru comme on en avait l'habitude de faire le soir avant le couvre-feu. J'ai couru comme ce jour où tu étais particulièrement énervée contre ta mère. Le jour où tu as appris qu'elle trompait ton père. J'ai couru de la même manière.

Mais sans toi. Tes pas n'étaient plus l'écho des miens. Il n'y avait plus que moi. Il n'y avait que mes empreintes sur cette fine couche de neige. Mes larmes voilaient ma vue, roulaient sur mes joues et rencontraient ma sueur dans mon cou. A ce moment, je crois que j'aurais préféré être percutée par une voiture plutôt que de connaître un monde sans toi, Rose. La voiture aurait brisé mes côtes et mon crâne aurait touché le sol. J'aurais saigné. J'aurais eu mal. Même là, je t'aurais retrouvé. Tu ne vois pas ? Mon sang rouge sur la neige blanche. J'aurais été entouré de six litres de rose. Symbolique, n'est-ce pas ?

Mais aucune voiture ne voulait me toucher.

Je crois que je n'ai jamais couru aussi loin. Je ne reconnaissais rien de ce paysage blanc. Blanc de pureté. D'innocence. Mon cœur battait fort. Trop fort. J'avais mal. Tellement mal que je ne ressentais rien. Je savais seulement que j'avais mal. Dans ma tête résonnait ce mot « Morte. », sans cesse. Sans répit. J'ai pris mon téléphone et j'ai appelé. Une fois. Deux fois. Trois fois. Je t'ai envoyé un sms. Puis un autre. Je voulais que tu répondes. Tu devais répondre. Mais tu ne le faisais pas. Je me suis allongée dans la neige froide. Le contact était saisissant. Douloureux. Mais pas autant que mon cœur. J'ai regardé le ciel et les flocons qui me tombaient dessus. Je regardais sans réellement voir. Sans réellement entendre.

Au loin, des voix retentissaient. On appelait quelqu'un. Une certaine Anna. C'était moi, je crois. Je ne me rappelais même plus mon prénom. J'étais là, dans la neige. Amorphe mais pourtant déchaînée. Attendant la fonte des glaces, la fin du monde, ou qu'importe. J'attendais. J'attendais un signe de toi.

On m'a retrouvé. Rapidement. Je suis rentrée chez moi. J'ai pleuré. Un peu. Beaucoup. Beaucoup trop. Ma mère m'a parlé des 7 étapes du deuil. Deuil. C'était comme avoué que tu étais morte. Mais tu ne l'étais pas pour moi. Tu riais toujours sur ma photo de fond d'écran. Tu ne pouvais pas être morte. J'étais dans le déni, d'après elle. Ensuite, il y aura la colère, la tristesse, la résignation , l'acceptation et la reconstruction. Se reconstruire. C'est moche comme mot.


Ton père est venu me voir. Il n'était plus là. Ses yeux étaient tristes. Plus rien ne vivait à travers. Je te l'ai toujours dit, tu étais tout pour lui. Il m'a prit dans ses bras et j'ai réellement compris. Tu étais partie. Il pleurait. Jamais, je n'aurais pu imaginer ton père pleurer. Il riait toujours. Comme toi. Avec toi. Ses prunelles étaient un livre. Et c'était tellement bon de se plonger dedans. On y cueillait ce qu'il se fait de mieux. De la joie, du bonheur, de la fierté, de l'amour, de l'espoir. Même quand ta mère l'a quitté, ses yeux ne se sont jamais éteint.

Il s'est levé après un moment et il m'a prit la main. Je l'ai suivi sans réfléchir. On est monté en voiture. La route m'a paru longue. On entendait seulement le bruit des pneus sur la route. Mais ce n'était pas pesant, c'était même reposant. Il s'est garé. On est entré dans le bâtiment. A la morgue.

Je t'ai enfin revu. Tu étais la même que dans mon souvenir. Tes cheveux blonds étaient bien coiffés et rangés derrière tes oreilles. Tu avais toujours ce grain de beauté au milieu du front. Tu dormais. Tu étais paisible. Je t'ai approché et j'ai posé ma main doucement sur ton visage. J'avais peur de te réveiller, tu comprends. Ton contact m'a effrayé. Tu étais gelée. Je ne m'étais pas rendue compte que tu avais ce teint bleuâtre. J'ai posé ma tête contre ton buste. Bien sur, je n'entendais rien. Mais je m'en doutais. Mon regard a dérivé et j'ai vu ce qu'ils ont essayé de masquer. Une petite marque rouge autour de ton cou. C'est donc ça. Tu t'es pendu. Tu as préféré pendre au bout d'un fil plutôt que de me parler. Tu as toujours dis que le suicide était un acte de lâcheté. Pourquoi t'y es tu soumise ? J'ai pleuré. Encore.

Ton père est venue me chercher. Il m'a prit par les épaules. J'ai posé mon front contre le tien. La douceur de ta peau m'a frappée. Petite Rose en porcelaine. J'ai aspiré une grande bouffée d'air et je pouvais encore sentir ton parfum. Ton parfum qui t'était propre. Un mélange de vanille, et de l'odeur des vieux livres où tu aimais te réfugier. Une de mes larmes est tombée sur ta joue crayeuse. Elle a roulé sur ton visage. Doucement. Comme si elle ne voulait jamais s'évaporer. Comme si elle ne voulait jamais te quitter.


J'étais habillée de ma robe beige, celle que tu m'avais forcé à acheter. Et pendant un instant, je t'ai détesté de m'avoir toujours rappelé à quel point tu haïssais le noir. Je croyais te faire un hommage, alors qu'on m'accusait de te manquer de respect.

Chacun de nous avait une rose blanche. Tes préférées. On l'a jeté sur ton petit cercueil vernis de noir. Quand je me suis retrouvée face à ce trou, j'ai compris que c'était le moment de te faire mes adieux. Je n'avais pas envie de te lancer une rose. J'avais envie de sauter sur ton cercueil, l'ouvrir, te prendre dans mes bras et te crier dessus. J'avais tellement envie de te dire à quel point tu avais été égoïste de ne pas penser à moi. Mais j'ai quand même lancer la rose. Et la mienne s'est posé naturellement à la place de ton cœur. Je ne me suis pas sentie mieux après. Pas allégée, pas différente. Juste vide. Et seule. Parce que maintenant, il n'y avait plus que moi. Je suis restée après la cérémonie, je t'ai regardé fuir sous terre, alors que tu dormais.

Ta tombe était belle, si cela peut servir de consolation. Elle était garnie de fleurs, et de plaques. « A ma fille. », « A ma nièce. », « A ma meilleure amie. ». Rien de bien extravagant.

Tombe. Je ne devrais même pas être là à te narrer à quelle point elle était jolie. Je devrais plutôt complimenter tes nouvelles chaussures.

Mais tout est éphémère. Les belles fleurs ont fané. Au fur et à mesure, elles n'ont pas été remplacé. Ta tombe est devenue aussi triste que les autres. Ta présence n'est devenue que souvenir pour d'autres.


J'ai dû retourner au lycée. Et la vie n'a jamais été aussi dure à porter. Tout le monde se retournait à mon passage. Nous n'étions certainement pas populaires, mais quand on te voyait toi, il y avait forcément moi. On chuchotait ton prénom. Il avait été partout. Sur les réseaux sociaux, à la radio locale, dans les journaux. Ils connaissaient ton nom et ton histoire mais pas ton visage, ils ne savaient toujours pas qui ils avaient perdu. Dans la classe, tu es devenu un tabou. Une chaise à combler pour oublier.

Mais le premier jour, j'ai pleuré. Je n'ai même pas eu la force d'atteindre les toilettes pour me cacher. Je me suis assise sur le bord d'une fenêtre ouverte, mes pieds pendant dans le vide, mes bras sur la barre, le visage englouti dans mes mains. Le vent froid de janvier me taillait la peau, mais ça n'avait aucune importance. Je te voyais rire. Je t'entendais parler. Je sentais ta présence à mes côtés. C'était ça le pire. On vivait dans ce lycée.

Une porte a claqué. J'ai entendu mon prénom. J'ai reconnu sa voix. Sa voix forte et inquiète. Je me suis retournée. C'était bien lui. C'était bien M. Baptiste. Il a du être surpris de voir mon visage, si souriant auparavant, être ravagé par les larmes. Je me souviendrais toujours à quel point on l'exaspérait toutes les deux. Il s'est approché doucement, comme pour ne pas effrayé un oiseau sauvage. J'étais absorbée par ses obsidiennes plus noires que la nuit. Je pouvais presque voir mon pauvre reflet à travers. J'avais l'air si pitoyable, si fragile. Sa détresse était clairement justifiée. Après tout, tu étais mon âme sœur et tu venais de mettre fin à tes jours. La logique aurait voulu que je te suive. J'aurais eu une excuse au moins. Pour ton cas, nous n'avons jamais su. Tu n'as pas laissé une lettre, un mot. J'ai été questionné sur ta vie, énormément, longuement. Les gendarmes pensaient à une histoire d'amour qui avait mal tournée, comme si tu étais n'importe quelle adolescente. Je leur ai soutenu que c'était impossible et l'un d'eux m'a questionné sur l'ampleur de notre relation. Tu sais, j'en ai entendu des bêtises, mais celle là m'a simplement fait rire. Et pleurer aussi. Alors dans leur rapport, ils ont écrit que tu t'étais ennuyée de la vie, tout bêtement. Mais je n'y croyais pas. Je n'y crois toujours pas.  

Je crois que M.Baptiste a hésité à poser sa main sur mon épaule de peur de me voir sursauter, ou simplement sauter. Je n'étais pas si désespérée, j'étais seulement triste, perdue. Il m'a basculé de l'autre côté de la fenêtre, délicatement puis il la refermait, rapidement. Presque brusquement. Et il n'a rien dit, il ne m'a pas rappelé que je n'avais pas le droit d'être dans les couloirs aux heures de cours, ou encore qu'il était désolée pour moi. C'est peut-être ça, d'ailleurs, qui l'a distingué des autres. Il m'a tendu un mouchoir en tissu. Tu te souviens comme on se moquait toujours de lui pour ses mouchoirs en tissus. Pourtant, ce jour là, il n'y avait rien de plus réconfortant que le coton légèrement parfumé qui séchait mes larmes. Avant de partir, il m'a fait promettre de ne rien faire de stupide, de penser à moi, avant de penser à toi. Comme si c'était possible. Mais je lui ai promis. Et comme une idiote, j'ai toujours eu le besoin de tenir mes promesses.


Après ça, je me suis enfermée dans mon propre monde. Celui où tu en faisais encore partie. Celui où tu ne m'avais jamais quitté. Celui où nous serions toutes les deux si rien ne s'était passé. Le matin, j'allais au petit déjeuner à notre table habituelle, puis j'allais me brosser les dents et je restais dans la salle de bain en prétendant que tu n'avais toujours pas terminé de te préparer. Je le voyais ton reflet. Je le voyais réellement. En classe, je m'attendais toujours à ce que tu répondes pendant l'appel quand un professeur oubliait que tu n'avais plus de raison d'apparaître dans sa liste. Il m'arrivait aussi trop souvent de sortir mon portable et de chercher ton prénom dans la liste de mes conversations. Je ne le cherchais pas vraiment. Tu étais la première. Il n'y avait eu que toi. Il n'y avait plus que toi.

Je n'ai pas pu effacer tes derniers messages. Je les lisais sans cesse et je souriais. C'étaient les seuls moments où je souriais. Dans ces moments, tu étais toujours avec moi. Toi, tes remarques énervantes, tes questions agaçantes, tes surnoms saugrenus. Tu m'accompagnais partout où j'allais. C'était impossible d'accepter que tu avais réellement disparu.

Un midi, j'étais assise sur le banc caché derrière les arbres. Je parcourais, une nouvelle fois, nos conversations. Tu rigolais toujours de moi pour les articles stupides que je lisais, et il y en avait un qui disait que lorsqu'on était proche d'une personne et qu'on lisait ses messages, on pouvait entendre sa voix dans notre tête. Ça faisait deux mois, ce midi là, et je n'entendais plus ta voix. Nous avions été amies pendant seize années et deux mois avaient suffit pour que tu ne sois plus qu'un souvenir brisé dans ma mémoire. Qu'allais-je oublié ensuite ? Ton odeur ? Ton rire ? La couleur de tes yeux ? Est-ce que tu allais disparaître à mesure que ton corps se décomposait ? Tu partais en fumée. Je ne t'avais pas encore perdu, mais je te perdais. Il a fallu du temps pour le comprendre. J'ai voulu crié, là, assise sur ce banc. Parce que je n'étais pas capable de te garder avec moi. C'est évidemment à ce moment précis, quand la réalité venait de me frapper le visage, que M. Baptiste est passé devant moi. Je me souviens encore à quel point il paraissait inquiet quand il m'a demandé si je m'en sortais. Il ne me demandait pas comment j'allais, c'était comme être surpris qu'un noyé soit mouillé. C'était rhétorique. La question n'avait pas à se poser. J'ai simplement haussé les épaules, autant parce que j'étais incapable de parler, autant je ne connaissais pas la réponse. Il a fait un pas en avant, puis s'est arrêté et il s'est retourné vers moi. Pendant un instant, j'ai cru qu'il allait me parler, comme tous les autres professeurs, comme mes parents essayaient de le faire. Mais il a fouillé dans son cartable d'où il y a sorti un petit carnet noir. Il a arraché quelques pages puis a écrit, appuyé sur son genou, quelque chose. Et il me l'a tendu. Puis il a continué son chemin, comme si le temps ne s'était jamais arrêté. J'étais surprise, évidemment. Dans l'incompréhension, aussi. Et intriguée. Alors j'ai ouvert la première page. Il avait écrit une unique phrase : « Et Rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin. » J'ai fixé la citation pendant un long moment, parce qu'elle était belle, parce qu'elle était vraie. Parce qu'elle était réconfortante. Il voulait que je recherche le réconfort dans les mots, dans les phrases. Mais je ne savais pas quoi écrire. Je n'avais rien à dire. Ou plutôt, il n'y avait pas de mot pour expliquer ma tristesse, ma confusion, ma colère. Tout était incohérent dans ma tête. Il y avait toujours ces questions qui me hantaient : Pourquoi ? Pourquoi avais-tu agi ainsi ? Est-ce que j'aurais pu le voir, le déceler ? Est ce que simplement j'aurais pu t'en empêcher ? Des questions sans réponse, évidemment. Et un jour j'ai simplement pris un stylo, j'avais la main qui tremblait, des larmes qui coulaient sur mes joues. J'écrivais à quel point je te haïssais. Le crissement du stylo sur le papier est devenu si rassurant que je n'ai jamais arrêté.


Deux ans. C'est le temps qui s'est écoulé depuis que tu es partie. Ce n'est plus aussi douloureux de penser à toi. Parce que je pense à toi tous les jours. Parfois, quand je suis face à un problème, je me demande ce que tu ferais. Mais je ne le fais pas, parce que tu n'as pas fait les meilleurs choix. C'est dur sans toi. C'est gris, et triste, et monotone. Mais parfois, il y a des éclats de jaune, et de rouge, et tout brille. Et simplement pour ces moments là, la vie mérite d'être vécue. Je ne suis pas guérie. Je ne le serai probablement jamais. Je suis en rémission, comme les patients atteints du cancer. Tu es une saleté de cancer, tu ne me quitteras jamais, mais j'apprends à vivre comme ça. Maintenant, je n'ai plus pitié de moi, tu sais, parce que je suis restée toute seule ici. Mais j'ai pitié de toi, de ta carcasse digérée par les vers de terre, de toutes les choses que tu manques dans ce monde. Donc si l'on en croit Elizabeth Kobler-Ross, je me reconstruis. C'est toujours aussi laid comme mot. Ça sous-entend que je me suis écroulée. Je ne me suis pas écroulée. J'ai subit les intempéries, c'est tout. Mais je n'ai jamais arrêté de vivre.

Malherbe a dit : « Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes éteins le souvenir. » Alors, je vais t'éteindre. Je vais t'aimer. Raisonnablement, c'est tout. Il n'y a plus de message, il n'y a plus ta photo sur les murs de ma chambre. Tu as toujours une place, mais infime. Il y a de la place sur les murs, maintenant. Mais Rose, il y aura toujours une étoile dans le ciel à ton nom, il y aura toujours des roses aux épines trop saillantes, et il y aura toujours ta recette de brownie placardée sur mon frigo. Non, je ne t'oublie pas, mais tu ne vis plus là.


Anna. »



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