Mémoire

Cleo Ballatore

Quand je regarde cette photo, je revois une ville, un quartier dense et peuplé et des masures misérables accrochées à la colline. Dans mes rêves, la chaussée se fissure sous mes pas créant de nouveaux chemins qui complexifient ce tissu urbain chaotique. Puis, les fissures s'élargissent et le quartier est englouti.

Dans ma mémoire, les images sont floues comme un dessin qui se dissoudrait dans l'eau ou une photo dont les contours jadis si nets s'estompent avec le temps. Mais, les sensations restent intenses. Je perçois la chaleur du petit corps de Maria contre le mien. Le tissu rêche de mon gilet raide de crasse me gratte encore. Dans sa main, Maria tient une bille à la surface lisse et froide d'un vert irisé, changeante à la lumière. Des odeurs de maïs grillés envahissent la rue en cette fin d'après-midi. D'autres prénoms me reviennent Luis, Raymond, Carlota…

Quelques semaines après cette photo, nous allons être séparées avec Maria. Pour toujours. Avec ma famille, nous sommes partis vers le nord. Quand j'interroge le passé, l'image de ces êtres chers apparaît puis disparaît dans mon souvenir formant une ronde, puis, un tourbillon. Parfois, les traits de leurs visages surgissent brusquement. Baignés dans une forte lumière, ils sont imprécis. Puis leurs visages se brouillent avant de se dissoudre dans la brume.

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