Mémoire CELSA
Anissa Filali
UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE
CELSA
Ecole des hautes études en sciences de l'information et de la communication
MASTER 1re année
Mention : Information et Communication
Spécialité : Communication, médias et médiatisation
« Entre identité réelle et identité virtuelle : le cas d'Adopteunmec.com»
Préparé sous la direction du Professeur Olivier Aïm
Anissa FILALI
Promotion : 2010-2011
Option : Communication, médias et médiatisation
Soutenu le : 01/07/2011
Note du mémoire : 16/20
Mention : BIEN
Résumé
Ce mémoire de Master 1 a pour sujet d'analyse le site adopteunmec.com qui sert de terrain d'analyse pour interroger cette nouvelle forme de lien social qu'est devenu le site de rencontre en ligne.
L'idée de ce travail de recherche est de focaliser la réflexion sur ce phénomène récent de la rencontre amoureuse au sein d'un univers entièrement virtuel où les pratiques communicationnelle et relationnelle de la vie réelle ont été transposées dans des lieux non-physiques. Le terrain d'enquête est restreint à ce seul site dans la mesure où celui-ci est unique dans son genre : il allie des univers opposés, voire-même contradictoires, invitant les internautes à entrer dans un jeu de la séduction qui souvent ressemble plus à un jeu de rôles qu'à un site sérieux de rencontre.
A travers de longs entretiens avec plusieurs membres particulièrement actifs sur le site (des hommes âgés entre 20 et 30 ans), une ligne de conduite a pu être définie. Il s'est rapidement avéré que l'aspect le plus intéressant de ce site était son rapport ambigu avec la notion d'identité. Conjurant des imaginaires divers et variés, il fait appel à une ergonomie et un fonctionnement inhabituel qui laisse transparaître des tensions tant au niveau premier de la mise ne page, qu'au niveau second du sens et de l'interprétation de cette présentation. En effet, adopteunmec.com, en tant que site de rencontre novateur (il joue avec les codes du site de rencontre de base), est représentatif semble-t-il de nos nouveaux modes de fonctionnement sociaux, mettant ainsi en tension notre définition habituelle de l'identité de l'individu et l'identité dite numérique qui tend à s'imposer dans le domaine de la recherche
La première partie se focalise sur les imaginaires véhiculés par une ergonomie atypique, tandis que la seconde partie s'intéresse plus particulièrement à la mise en tension deux univers contradictoires qui sont l'amour et le commerce. Enfin, la troisième et dernière partie aborde l'aspect identitaire d'un tel site de rencontre et ce que celui-ci laisse transparaître sur le lien social d'aujourd'hui.
La problématique du mémoire se focalise donc sur le glissement identitaire engendré par les imaginaires véhiculés par un site tel qu'adopteunmec.com, tout en analysant l'impact réel qu'a un tel phénomène sur le lien social contemporain. Le développement de la problématique se basera sur les entretiens menés, une bibliographie étendue et une enquête de terrain approfondie.
TABLE
Introduction………………………………………………....……………………………4
I. Ergonomie et imaginaires du site de rencontre Adopteunmec.com……………...................................................................10
1. a. Code couleur : l'établissement d'une cible……………………………........................................................................11
1. b. Typographie et tabularité : organisation labyrinthique………………......................................................................12
2. a. Un leitmotiv déroutant : humour et détournement………………….......................................................………..14
2. b. Règles du jeu : un rapport homme/femme simplifié………………………......................................................................15
2. c. Une distribution des rôles ineffective……………………………………….......................................16
3. a. Quantité versus qualité…………………………………………………..…18
3. b. Heureux en jeu et en amour ?..................................................................................................20
3. c. L'adoption comme moyen de séduction……………………………………....................................................22
II. Amour et consumérisme : l'alliance réussie de deux mondes antinomiques?......................................................................................23
1. a. Le prince charmant : un objet comme un autre……………………………......................................................................23
1. b. La culture du zapping revisitée……………………………………………..............................................26
1. c. Photos de profil et pseudonymes : des récurrences significatives…………............................................................................30
2. a. La mise en scène de soi……………………………………………………..32
2. b. Premier e-mail : première « rencontre »……………………………………..............................................34
a. Construction du lien………………………………………………………........35
3. b. Le cyber-amour, un amour éphémère…………………………………….................................................…36
3. c. La déception du contrôle……………………………………………….....37
III. Vers une identité virtuelle ?...............................................................................................
3 a. Internet, un lieu des possibles………………………………………….39
Le site de rencontre, phénomène sociétal significatif………………...........................................................................41
a. La tentation d'un autre moi…………………………………………………43 a. La différence entre identité réelle et numérique……………………………44
3. b. Virtuel et réel : un effacement des frontières……………………………….46
3. c. Des « identités multiples » pour un monde en mouvement : un nouveau terrain d'expérimentation…………………………………………………….............…...48
Conclusion………………………………………………………………………………49
Annexes……………………………………………………………………………………52
Introduction
Dans le monde des nouvelles technologies, le lien social entretenu a évolué vers de nouvelles formes qui se reflètent à travers la création de nouveaux espaces virtuels. Les sites de rencontres en ligne en sont devenus l'une des représentations marquantes sur le web. Ils ont pour intérêt de laisser transparaître des phénomènes propres à la sphère virtuelle du relationnel. Les sites de rencontres sont des communautés à part entière où règnent des codes et des normes, une véritable « nétiquette ». Si l'intérêt pour le sujet est grand, il n'a pas pour autant été développé amplement. Les études sont récentes mais peu répandues et laissent encore un grand terrain d'analyse à découvrir au fil de ces prochaines années. Les pratiques que l'on identifie sur des sites de rencontres laissent désormais subodorer un changement au sein de la société réelle dans laquelle nous vivons.
La blogosphère et les social media déjà reflétaient des nouveaux modes de communication et de création de lien. Les sites de rencontre ne font qu'accentuer encore le retranchement de l'individu dans un monde construit à partir de liens hypertextes et dont la traçabilité n'est faite que par l'utilisation d'un URL. Leur analyse est donc d'autant plus intéressante pour le domaine de la recherche universitaire et professionnelle dans la mesure où elle permet de toucher du doigt tout un fonctionnement inédit de la communication interpersonnelle. Elle suscite une remise en question des normes informatiques préétablies et nécessite une réappropriation des codes du web. Rien n'est fortuit dans le monde de la séduction virtuelle. La limite entre sites de rencontres et sites d'e-commerce s'estompe au fur et à mesure que les premiers s'inspirent des stratégies marketing des derniers.
Les imaginaires véhiculés par le site sont le signe d'un changement sociétal dans la mesure où la création d'un monde parallèle de rencontres amoureuses encourage de nouveaux rapports de communication, non seulement dans les chatrooms, mais aussi dans les échanges d'e-mails, au niveau individuel et dans les créations de profils personnels. Il s'agit de faire des rencontres amoureuses, ou autres, via une plateforme de prise de contact virtuelle, ce qui engendre une autre approche de la rencontre. Les dispositifs de communication interpersonnelle ont beaucoup évolué ces dernières années à travers le développement de nombreuses plateformes d'échanges virtuels. Les forums de discussion, la téléphonie en ligne et les réseaux sociaux ont diversifié les interfaces de communication sur Internet. L'échange interpersonnel se fait oralement et visuellement de manière quasi aussi réaliste que dans la vraie vie. L'écran reste cependant une barrière au toucher : le contact avec Autrui en est changé dans la mesure où l'internaute peut se servir de l'écran comme d'une protection à l'intrusion dans sa sphère d'intimité. Le phénomène de la rencontre amoureuse en ligne est donc d'autant plus intéressant qu'il exclut un certains nombres de facteurs primordiaux à l'établissement d'une relation amoureuse (notamment, le toucher et l'odorat qui jouent un rôle important dans la séduction). Malgré l'absence de ces éléments, la rencontre en ligne est devenue une démarche courante et pratiquée par des catégories sociales de plus en plus variées. On retrouve une variété infinie de site de rencontre : site pour seniors (seniorplanet.fr, seniorrencontre.com, senior.proximeety.com), pour tous les penchants sexuels (gaypax.com, homme.com, jmec.fr, asexuality.org), pour les croyants (jdate.fr, theotokos.fr, mariage-chretien.com), ou encore les handicapés (idylove.fr).
J'ai décidé de focaliser ma recherche sur adopteunmec.com, car il me semblait intéressant de mettre en lumière un nouveau site de rencontre qui n'avait pas encore été abordé par les chercheurs. Un certains nombres d'études ont déjà été publiés sur le phénomène de la rencontre en ligne, notamment aux Etats-Unis. Si le concept d'adopteunmec.com a beau reposer sur du déjà-vu, il n'empêche que le site innove dans sa mise en page et son message provocateur de l'amour consumériste (Adopteunmec.com : « hommes-objets à câliner »). Le principe est similaire à celui de ses concurrents, où des milliers d'hommes et de femmes, célibataires ou non, se créent un profil pour trouver une personne correspondant à leurs aspirations les plus diverses. Si Adopteunmec.com mérite une analyse à lui seul, cela s'explique par son aspect novateur et révélateur de certains mécanismes de notre société moderne. Né en pleine période de boom du marché virtuel, adopteunmec.com se distingue par un ton plus désinvolte et marketing. La cible n‘est plus la même que pour Meetic Affinity ou rencontres.fr. L'ergonomie du site diffère des modèles habituels et tout tend vers d'autres imaginaires, plus ancrés dans l‘air du temps. La question de l'être et du paraître nous accompagnera tout au long de l‘analyse, car c'est elle qui se pose à nous lorsqu'on entre dans le vif du sujet. Il m'a donc paru intéressant de focaliser mon analyse sur ce seul site dont l'approche identitaire diffère du schéma habituel. Il semble constamment y régner une tension entre l'identité réelle et la mise en scène de soi. C'est de ce constat qu'est née ma problématique axée autour de la question identitaire.
Problématique : En quoi les imaginaires et les pratiques engendrés par le site de rencontre Adopteunmec.com provoquent-ils auprès de l'internaute un glissement vers une identité virtuelle ?
Le web en général est un terrain mouvant, en mutation constate et donc difficilement saisissable. Ce qui était valable aujourd'hui, peut ne plus l'être demain. Il est donc délicat de tirer des conclusions définitives de ce travail de mémoire, car rien ne laisse prévoir le développement futur des sites de rencontres sur Internet. Cependant, les résultats de l'analyse de la construction et du fonctionnement d'adopteunmec.com est symptomatique d'un certain nombre de spécificités de la société telle qu‘elle se présente à nous aujourd'hui en France : individualisme, consumérisme et compétition. C'est l'analyse en détail des mécanismes du site, des imaginaires et des pratiques qui m'ont permis de comprendre ce que signifie réellement un site comme adopteunmec.com.
Ce mémoire est donc le fruit d'un travail dit „d'ethnologue“, pour reprendre la formule du célèbre sociologue Jean-Claude Kaufmann, qui inspira en grande partie mes méthodes de travail et mes démarches d'analyses. Ma démarche de travail consistait à enquêter directement sur le terrain, sachant qu'un sujet de recherche nécessite une immersion totale dans la matière. En procédant à une enquête de terrain en me créant un profil, j'ai pu vivre l'expérience du site en rencontres en profondeur. J'ai pu rapidement constater que seule une immersion totale au cœur du sujet pouvait aboutir à des résultats satisfaisants, sachant qu'il s'agissait d'un champ d'études relativement récent. Les sites de rencontres étant un phénomène assez nouveau sur le Web, des travaux ont certes été publiés, mais il reste encore une multitude d'aspect à étudier, notamment celui de l'identité dans l'espace de la séduction virtuelle. Alors que sur des forums de jeu, tous ont un avatar, ici, l'internaute doit recréer virtuellement ce qu'il est, ou du moins, pense être dans vie réelle (par opposition à la vie qu'il mène dans le cyberespace). Adopteunmec.com engage la réflexion sur l'identité et l'identification du « je » dans un univers de tous les possibles, invitant certains à se travestir pour correspondre à un « je » fantasmé. Les diverses présentations, que ce soit en image ou en texte, des membres du site ont rapidement laissé présager un grand nombre d'hypothèses toutes axées autour du thème des imaginaires, et par conséquent des identités suscitées par ces derniers.
Cette démarche sémiologique m'a permis un contact plus intime avec les internautes qui m'ont laissée participer à la communauté du site sans trop de difficulté. Le dialogue était ainsi facilité et des rencontres dans la vie réelle ont pu être faites. Des très grand nombre d'entretiens semi-directifs ont été tenus avec cinq individus mâles âgés entre 24 et 35 ans. Ils ont servi de base pour comprendre les axes principaux du site, son fonctionnement mais aussi sa perception par des internautes aux motivations et profils divers. Le choix de focaliser mes entretiens sur des hommes est né du fait que le site donne la parole aux femmes, et non aux hommes. Il était donc plus intéressant de s'intéresser au point de vue masculin, d'autant plus que j'avais pu créer mon propre profil et analyser les aspects féminins par mon expérience propre. De plus, des témoignages de bloggeuses inscrites sur adopteunmec.com m'ont permis de généraliser mon point de vue.
Au cours de ces entretiens oraux, les internautes ont souvent émis des constats similaires qui m'ont donnés une vision plus globale du site. Décrivant leur approche très personnelle du site, une trame interprétative est rapidement apparue. Afin de vérifier et chiffrer leurs impressions, j'ai fait un sondage auprès d'un panel de 17 personnes inscrites depuis plusieurs mois sur adopteunmec.com. Les individus ont été sélectionnés selon des critères bien définis (sexe masculin, appartenance au cœur de cible, âge, CSP). Le sondage était nécessaire dans la mesure où il est très rare de trouver des statistiques récentes et fiables sur le sujet abordé. Il n'y a absolument pas de chiffres sur adopteunmec.com accessibles en ligne et il ne m'a pas été possible de m'en procurer auprès des créateurs du site. Cela rejoint bien l'idée du travail ethnologique, car celui-ci se base sur des analyses de terrain mais plus rarement sur des données chiffrées.
Le travail fait au cours de ces derniers mois repose sur une enquête de terrain, qui réaffirme l'idée d'une ethnologie du quotidien telle qu'on le retrouve formulée chez Kaufmann ou Goffman. Il en est advenu que la méthodologie était d'ordre intuitif: souvent des pistes se sont ouvertes par l'échange avec les internautes qui ont volontiers voulu partagé leurs impressions sur ce site en pleine floraison. Il était d'autant plus intéressant d'analyser adopteunmec.com dans la mesure où il s'agit toujours (après plusieurs années de fonctionnement) d'une version bêta. Le site se dit donc être en construction – il ne s'agit que d'une version test -, ce qui expliquera tout au long de mon travail d'analyse et de recherche les nombreux bugs informatiques survenus. Le fait qu'il s'agisse d'une version test justifie mon choix du site: un site en construction est susceptible de changer, il est en mutation permanente et n'est donc jamais réellement achevé. De ce fait, se focaliser sur adopteunmec.com était par là-même une opportunité, puisque peu de chercheurs s'étaient intéressés à lui, et en même temps un risque, puisque le site pouvait changer du jour au lendemain.
Un tel site web, en évolution constante, est représentatif des mutations sociales. Une technologie s'adapte à l'offre et à la demande. Et si adopteunmec.com n'a finalement pas changé l'ergonomie de son site, cela est dû au succès du site. Les chiffres le prouvent (cf. annexes): il fait de l'ombre aux grands sites de rencontres comme easyflirt.com et unerencontre.com. Si Meetic reste imbattable, cela est notamment dû à l'établissement d'une cible bien définie (trentenaires et quadragénaires dynamiques) qui reste fidèle à l'aspect sérieux et classique de la rencontre en ligne. A l'opposé, adopteunmec.com se démarque par une volonté de rompre avec les codes préétablis par ses concurrents, afin de rester unique parmi une offre débordante dans le secteur du cyber-amour.
Au préalable, j'ai émis les hypothèses suivantes : l'ergonomie novatrice et libératrice d'adopteunmec.com engendre des imaginaires paradoxaux et non clairement identifiés. La mise en page semble vouloir créer un univers de la séduction typique (avec une priorité donnée aux femmes), sans pour autant réussir à maintenir un équilibre entre les univers abordés. De plus, il semblerait que les thématiques majeures (amour/consumérisme) soient en désaccord et mènent à une confusion des genres et non à une clarification des objectifs du site. Par conséquent, il semblerait y avoir un appel à l'affabulation et le travestissement de soi, engendrant ainsi le glissement vers une identité virtuelle parallèle à celle de la vie quotidienne.
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Ergonomie et imaginaires du site de rencontre Adopteunmec.com
L'ergonomie profonde d'un site Internet est cruciale dans l'analyse de cette même interface. Elle est la base de l'interprétation et de la construction d'imaginaires qui seront propres au site, et propres au message véhiculé. D'après la définition du CNRS[1] elle permet d'analyser « les fonctionnalités offertes par l'ordinateur, la structures de l'outil, autrement dit la répartition des fonctionnalités en modules, menus..., les enchaînements d'écran qui traduisent la succession des tâches et sous tâches que l'utilisateur a à effecteur. » En effet, l'ergonomie d'Adopteunmec.com a ceci de particulier qu'elle semble être le fondement de tout le message du site. Dans cette partie il sera donc intéressant de se préoccuper de la construction du site via l'analyse de la mise en page, de la typographie, des couleurs et des champs lexicaux afin de définir l'identité du site (leitmotiv, connotations, cibles).
Symbolique du code couleur : détermination d'une cible
Ce qui interpelle l'utilisateur d'Adopteunmec.com dès sa première venue sur le site est la particularité de l'assemblage des couleurs. Ce dernier se résume à trois gammes : blanc, rose et noir. L'assortiment est atypique dans la mesure où les codes couleurs utilisés sur les sites de rencontre sur Internet sont souvent différents. Meetic[2] par exemple, plus grand site de rencontre en France, préfèrera opter pour une écriture rose claire sur fond blanc ainsi que des encadrés bleu pastel. Sur adopteunmec.com, le fond d'écran est soit rose, soit noir tandis que les encadrés sont blancs. La typographie varie ainsi entre ces trois couleurs, rendant la présentation brouillonne. Il est difficile de se focaliser sur un aspect du site, car aucun encart n'est réellement mis en valeur.
Néanmoins, cette mise ne page véhicule des connotations particulières en accord avec l'intention provocatrice du site. La cible est d'abord féminine, d'où la création d'un univers en accord avec celle-ci.
Code couleur : l'établissement d'une cible
Le rose est la couleur la plus évidente à analyser. D'après un site de maintenance informatique depannage-ordi.com, le rose symbolise « la sensualité, le contact charnel, le bien-être, la féminité, la sociabilité, la pureté des sentiments, le romantisme. » Plus loin, l'auteur du site écrit: « Le rose est utilisé pour des sites féminins ou des thèmes enfantins ou romantiques selon la tonalité. » Alors que la plupart des sites de rencontre optent pour une mise en page atemporelle et neutre, adopteunmec.com fait le choix d'un univers entièrement dédié aux femmes. Le fond du site se base sur une ambiance de boudoir: un motif de canapé rose donne un aspect sulfureux au site, que n'ont pas les sites de rencontres habituels (qui optent donc pour un style épuré).
Néanmoins, la tonalité du site n'apparaît pas comme romantique à proprement parler.
S'il y a beau avoir un rose carmin prédominant, l'ajout du blanc pour les typographies et du noir pour le fond du site changent la connotation finale du site. L'utilisation du blanc dans la charte graphique introduit une dimension atténuante. Dans la même optique, le fond noir, redonne élégance et sobriété au site. Le blanc symbolise la pureté, la propreté et l'espace, permettant de mettre en valeur les aspects importants du site.
A première vue, adopteunmec.com semble être appel à la sensualité, et n'être donc qu'un site de rencontre aguicheur, un appel purement charnel. L'utilisation du blanc redonne au site une forme de neutralité et d'élégance qu'il n'aurait pas pu avoir autrement. Le choix du blanc rappelle par ailleurs la craie utilisée en école primaire et renforce le côté enfantin et ludique du site. Tandis que des caractères typographiés noirs évoquent bien plus une forme d'autorité. Ici, les lettres blanches semblent moins strictes. Cependant, on note que le blanc tel qu'il est utilisé sur le site véhicule aussi un autre imaginaire assez surprenant. Sous forme de feuille de cahier d'école, il représente aussi le papier de l'écolier ; ici, sur la page de profil de chaque usager, le fond d'écran reprend exactement l'apparence du papier ligné, tandis que le noir forme une tache d'encre qui rappelle la rature, le brouillon. En haut à droite du profil, dans un encart à part, les points de popularité[3] sont notés comme dans un bulletin, sur du papier quadrillé. Il y a une mise en tension des deux couleurs qui, unies, forment un univers scolaire inattendu pour un site de rencontre et indique la possibilité d'échec, de jeu et de compétition (cf. annexes). Trouver l'âme sœur serait alors pas plus difficile qu'une dictée ou une addition et pour avoir du succès, il suffit d'être un élève appliqué qui suit le règlement et les règles du jeu.
De manière générale, le code couleur, visant à interpeler un public prioritairement féminin, n'est pas forcément très plaisant. La plupart des hommes interviewés disent n'avoir pas su apprécier cette mise ne page, car elle paraît étouffante. En effet, trop différentes, les couleurs ne donnent pas une impression de fluidité. Notons qu'il s'agit d'une version bêta du site, toujours en construction à ce jour. Les imaginaires paraissent en contradiction avec le l'intentionnalité du site. Cette impression sera par la suite renforcée par les autres éléments de l'ergonomie.
Typographie et tabularité : organisation labyrinthique
Hormis les couleurs, le choix de différents diverses et variées renvoient au côté inachevé du site. Au lieu d'opter pour une seule typographie, le site choisit d'en accumuler plusieurs. Il en résulte un manque d'épuration : chaque catégorie de titre est écrite dans une typographie et un caractère différents. Il y a des inégalités dans les tailles des caractères, d'autant plus accentuées que les couleurs varient elles-aussi selon les catégories.
Si certains titres sont marqués en rose, d'autres seront écrits en noir ou blanc, ce qui provoque une confusion et une difficulté de mémorisation des fonctionnalités du site. On note l'absence de linéarité qui permettrait le repérage visuel des différentes étapes du site. L'impression de capharnaüm dégage une atmosphère ludique. L'utilisateur novice doit d'abord apprendre à se familiariser avec l'organisation ergonomique du site. Dès la première page il y a une multitude de détails et de fonctions à découvrir. C'est en quelque sorte le principe des poupées russes qui est développé ici. Tandis que Meetic accueille ses membres potentiels par une première page épurée dominée uniquement par un encadré pour s'inscrire au site, adopteunmec.com choisit de donner un grand nombre d'information dès la première visite sur le site. Il y a une volonté de transparence que n'ont pas des sites comme Meetic. Bien au contraire, ces derniers prônent le sérieux et la respectabilité de leurs services offerts. Adopteunmec.com qui n'a jamais dépassé sa version bêta, opte pour une ouverte du site vers l'extérieur qui rappelle le réseau social plus que le site de rencontre.
Par ailleurs, la tabularité du site procède par déploiement progressif au fur et à mesure que le nouveau membre avance dans sa découverte du site. Dès la première page, des catégories insolites apparaissent : «Ils sont sous le charmes », « Ventes flash », « Produits régionaux ». L'internaute est immédiatement invité à cliquer sur ces catégories de célibataires. L'entrée dans le jeu de l'adoption est ouverte dès à présent, sans autre préambule. En effet, seul un encart explication les points de popularité est affiché au bas de la page, intitulé « Comment devenir populaire ». Le processus de l'adoption n'est pas expliqué plus amplement. Une invitation à rajouter des hommes dans le panier semble suffire à expliciter l'intérêt du site.
La tabularité du site est incohérente : des encarts de tailles diverses sont agencés de manière peu organisée comme nous pouvons le constater dès la première visite. Il y a un aspect de collage enfantin dans la mise en page des encarts photos et des encadrés textuels[4]. Par la suite, les onglets du site (accueil, recherche, mon compte, ma page) se présentent sous forme de fiches sur lesquelles il suffit de cliquer. Désormais les onglets, notamment l'onglet recherche (qui permet d'indiquer les critères de recherche du partenaire idéal), ont l'aspect des sites Internet habituels.
Pourtant, la particularité de la mise ne page est encore prolongée dans le choix d'un illustration atypique et provocante qui renvoie à l'intention ludique du site de rencontre « d'hommes-objets à câliner ».
Icônes et faux-semblants
Les icônes d'Adopteunmec.com sont très marquantes sur le plan visuel. Elles donnent toute son originalité au site que l'on a pu dès son apparition sur la toile différencier parmi la multitude de site de rencontres. Elles indiquent la volonté ludique du site qui interpelle de ce fait une cible jeune et dynamique (24-35 ans, CSP+) qui n'a pas peur de voir certains clichés détournés. Le choix des icônes souligne la volonté de viser un cœur de cible plus vaste et diversifié. L'absence de photos de mannequins réels, comme nous les retrouvons dans maintes interfaces de ce type, place le site dans un espace-temps hors du commun. Aucun mannequin n'indique l'âge des membres potentiels, ni le style vestimentaire qui indiquerait la classe sociale. Ici, libre à chacun de s'inscrire.
Un leitmotiv déroutant : humour et détournement
L'une des icônes, placée en haut à gauche attire tout de suite le regard, car elle semble symboliser l'essence du site de rencontres. L'icône représentant une femme mettant un homme dans son caddie de supermarché rappelle typiquement les icônes des toilettes publiques.
Le recours à ce type d'icônes fait ressortir le message humoristique du site. Les rapports hommes-femmes sont caricaturés et soulignent la légèreté du site. Il est aussi simple de mettre un homme dans son caddie que de l'en retirer. Avant tout, ce site doit plaire et amuser. Le détournement de certains clichés renvoie à l'intention novatrice du site de rencontres. En effet, Florent Steiner l'explicite dans une interview donnée en 2009 au site clubic.com[5]: « Adopteunmec.com rompt ainsi sans complexe les codes classiques du webdating. C'est grâce à cette liberté de ton que les jeunes mais surtout les femmes ne sont plus réfractaires à la rencontre en ligne. C'est aussi pourquoi des centaines d'histoires se créent véritablement chaque jour sur notre site. »
La visée humoristique de la mise en page d'adopteunmec.com est un des points fort du site, car elle permet de se démarquer de la plupart des grands sites de rencontres déjà existants. Dans une autre interview donnée quelques mois auparavant, il dira : « Le concept du site est venue en entendant des amies discuter des sites de rencontres. Elles disaient se sentir agressées à force de recevoir des messages de n'importe qui. L'idée nous est donc venue de développer un site de rencontre qui permette aux femmes de décider de qui peut les aborder. Et pour casser avec l'image trop sérieuse des sites de rencontres, nous avons choisi un positionnement décalé. Comme sur un site marchand, nous proposons aux femmes de remplir leur panier d'hommes à câliner. Mais attention, nous n'avons pas une approche féministe, tout cela se veut humoristique dans le but de décomplexer les femmes et faire d'Internet un lieu de rencontres comme un autre. » Néanmoins, le ressenti est autre. Pour certains membres interrogés à ce sujet, il s'agit là d'une forme stéréotypée des deux sexes qui invite à réfléchir l'ouverture d'esprit prétendu du site. Est-il possible qu'un site de rencontres qui laisse la parole aux femmes modernes et indépendantes puisse recourir à une représentation antédiluvienne de l'opposition homme/femme (dans le cas des icônes WC – jupe/pantalon)?
Règles du jeu : un rapport homme/femme simplifié
Une fois inscrit sur le site, il s'agit de partir à la conquête virtuelle du partenaire idéal. Pour ce faire, une femme doit rajouter des hommes dans son panier, alors que les hommes ne peuvent signaler leur intérêt pour une femme uniquement par le biais d'un « charme »[6]. L'accumulation des « adoptions » augmente les chances pour une femme d'entrer en contact avec ses cibles potentielles. La parole est clairement donnée aux femmes, dans la mesure où elles ont un compte gratuit et la possibilité sans restriction d'écrire aux hommes qui leur plaisent.
Un travail sociologique fait par la bloggeuse Marissa sous la direction de la sociologue américaine Lisa Wade[7], fait remarquer le choix systématique de la jupe comme signe de reconnaissance de la femme. Les icônes d'adopteunmec.com reposent donc elles aussi sur ce stéréotype de la femme féminine qui est d'autant plus femme qu'elle pousse un caddie de supermarché! L'image semble atténuée par l'homme qui tombe dans le caddie virtuel comme un article sur Amazon tomberait dans le panier d'achat. L'intitulé du site y renvoie: « hommes-objets à câliner. » qui indique bien le statut d'infériorité attribué à l'homme. Ce dernier est non seulement rose (couleur attribuée comme nous l'avons vu ci-dessus à la féminité et au romantisme) mais aussi objet, il est donc réduit à l'état de marchandise, élément que nous analyserons plus profondément dans une autre partie de notre étude.
Sans aller jusqu'à parler d'une vision sexiste, il peut tout au moins être dit qu'elle paraît simplifié. La parole est donnée en priorité aux femmes, tandis qu'un homme doit attendre qu'une femme lui écrive. Un homme ne peut envoyer de mail à une femme qu'à la condition qu'elle accepte son charme envoyé au préalable. Néanmoins, ce choix ajoute au site son aspect ludique des « bonhommes WC » et s'oppose nettement aux sites de rencontres habituels qui usent de photos professionnelles de couples-mannequins censés représenter le message phare du site. D'un point de vue marketing, ce choix est très judicieux parce qu'il est neutre. Alors qu'une photo d'un couple peut provoquer un rejet (par l'absence d'identification), les icônes impersonnelles permettent d'attirer un plus grand nombre de visiteurs.
A ce jour plus de 3 millions de personnes sont inscrits sur le site et plus de 11 millions d'adoptions ont eu lieu[8]. Le site attire l'attention par sa manière de jouer avec les codes de la sexualité et de la différenciation des sexes. Tandis que des sites de rencontre classiques dépeignent la métaphore du couple typique (beau, jeune, riche), adopteunmec.com choisit sur sa page d'accueil un diaporama de photos de couples divers et variés qui se sont rencontrés via le site. Ce sont des membres de tout genre dont un couple punk tatoué avec des piercings. Le message se veut libérateur des clichés habituels en prônant un amour moderne et décomplexé. Pourtant, il semble que les attributs donnés aux deux sexes n'ont pas pour résultats les motivations premières d'adopteunmec.com.
Une distribution des rôles ineffective
Notons la forme d'autorité que représente ce type d'icônes: elle fait référence à tout un mode de fonctionnement sociétal qui, prenons donc l'exemple des toilettes, sépare distinctement les hommes des femmes et soumettent les gens au respect de cette « loi ». Il en est de même pour adopteunmec.com: le site est par là-même entièrement hétérosexuel. Il offre la possibilité pour un homme de chercher une femme et vice et versa, mais pas de former des couples du même sexe. Tandis que Meetic est ouvert aux homosexuels, adopteunmec.com, évoque uniquement des imaginaires hétérosexuels (on ne verra jamais deux icônes en jupe qui seraient « en couple »). Cela réduit de nos jours, où notamment la peur de la discrimination est toujours sous-jacente, assez sensiblement le cœur de cible. Les icônes font donc références à des stéréotypes préexistants à la création du site et renforcent le paradoxe de ce dernier, toujours en tension entre modernité et tradition (tradition qui lui assure sa cible de femmes hétérosexuelles).
Il y a un rapport de tension entre la volonté d'innover et celle d'assurer une certaine tradition de la rencontre. D'un côté, il s'agit de donner la parole et la liberté d'agir aux femmes, d'un autre côté, il s'avère que la plupart des usagers cherchent à reproduire à l'écran la rencontre traditionnelle (et parfois cliché) qu'ils ne peuvent avoir dans la vie réelle. Antonioni A. Casilli l'explique dans son livre Les liaisons numériques[9] de manière suivante : « Les comptes rendus d'histoires d'amour qui se développent dans des chatrooms, dans des mondes 3D, ou tout simplement par des mails, empruntent leur langage et leurs manières aux imaginaires sociaux des relations amoureuses préexistants. » De par là-même, nombreux sont les usagers à masculins à constater une forme de passivité de la part des femmes inscrites qu'ils pensaient contourner en s'inscrivant sur Adopteunmec.com. « Les femmes écrivent une fois et puis plus rien », constate Ikarus, 32 ans, cadre supérieur dans une entreprises de consulting, inscrit depuis quelques semaines sur le site.
Une fois avoir mis un homme dans leur panier, les femmes attendrons finalement que l'homme fasse le « premier pas » virtuel, en effectuant la première prise de contact écrite. M'étant créé un profil, mon expérience confirme cette distribution des rôles. Après n'avoir pas été connectée pendant un mois et n'ayant pas répondu aux mails reçus, voici certaines des réactions récoltées. Emeric écrit : « ca sert à quoi de me donner la possibilité de te parler si tu réponds pas ? tu fais le concours des points ? c'est pas très mature… ». Cig'add renverra un second e-mail: « hey ! alors on répond pas ?». D'autres comme Mitchel le prendront plus à la légère : « Pas eu le tps de répondre apparement !! N'hesite pas, ca me ferait plaisir !! »
Par ailleurs, le site n'est gratuit que pour les femmes, les hommes désirant avoir accès à leur compte 24h/24 doivent payer 30 € pour trois mois d'abonnement illimité. Le site est bloqué aux hommes non-abonnés entre 20h et 1h du matin, heures de pointe du site. C'est à se demander si le site ne reprend pas au contraire les anciens clichés qui iraient à l'encontre d'une libération de la femme. Ici encore, la femme fait du shopping et l'homme paye la facture. C'est aussi ce que fait remarquer la dramaturge française Juliette Speranza dans un article publié sur le Net[10]. Ayant elle-même testé le site, elle se plaint du faux inversement de pouvoir: « En réalité, ce sont bien des hommes qui remplissent nos paniers, nous dotant, femmes esseulées et dépendantes, un magnifique sentiment de contrôle et de puissance. » L'auteure ira plus loin encore dans sa critique d'un machisme latent sur Adopteunmec.com: « Il ne s'agit en effet que d'un jeu de dupe. Les hommes objets ne nous sont certainement pas soumis, ils nous considèrent encore plus comme des objets. C'est un nouveau machisme, plus pernicieux, qui s'instaure simultanément au fantasme de l'homme objet. En plus d'être belle et sexy, la femme se voit dans l'obligation d'entreprendre les démarches de séduction (et donc d'hériter du fameux râteau), d'afficher, voire de sur-jouer un désir ardent (la dignité de la pudeur n'ayant plus aucune valeur), de connaître le Kâma-Sûtra sur le bout des doigts, et d'être une pro du porno. » L'aspect libérateur de la femme paraît en effet compromis par cet appel à la frivolité et non à l'égalité.
Sur son blog « Ladies Room »[11], une jeune femme relate ses expériences avec adopteunmec.com et fait remarquer ce rapport inégal : « Ce site est tout le contraire de ce qu'il prétend être. On nous dit que c'est un site où les demoiselles vont faire leur panier des hommes-objets ? Soyons réalistes deux minutes : A la vue des informations données, les profils version « star du porno » c'est clairement les femmes qui sont ici, une fois encore, les objets. » En effet, la rubrique Sexo est bien plus développée pour les femmes (que l'on invite à préciser le type de lingerie qu'elles portent). Aucun champ ne permet aux hommes d'y notifier leur préférence pour les caleçons ou les strings. Dans ce sens, l'objectification se fait bien plus auprès des femmes, parfois prêtes à tout pour plaire aux hommes inscrits.
Que se cache donc derrière ce site aux ambitions libératrices et innovantes, bien que parfois indécises et brouillonnes? Les femmes décident-elles réellement dans ce « supermarché de l'amour » ? Dans la partie suivante il s'agira de définir le lien tissé en amour et consumérisme qui semble très parlant pour notre époque. En effet, deux valeurs antinomiques paraissent aller ici de pair alors que la plupart des grands sites de rencontres prônent l'amour pur qui se nourrit d'eau fraîche. En quoi les imaginaires de vente influencent-ils la présentation de soi à travers les profils et les discours véhiculés? Il apparaît rapidement qu'un modèle compétitif s'installe, imposant une cadence rapide aux inscrits de ce site.
La compétition amoureuse
Quantité versus qualité
Après avoir passé plusieurs mois sur adopteunmec.com, j'ai pu remarquer à quel point la quantité dominait la qualité. Le supermarché de l'amour ressemble bien plus à un hypermarché de banlieue où la stratégie de vente prône le dumping des prix. Au cours de mes innombrables entretiens de visu avec des membres inscrits, seuls quelques hommes ont avoué y chercher réellement l'amour. Mes questions étaient axées autour de la motivation des hommes à s'inscrire sur un site de rencontre, et plus particulièrement adopteunmec.com[12]. La plupart y sont par commodité et non par besoin. Le site est plus accessible que Meetic pour les raisons que nous avons vues dans la première partie. Il est aussi moins codifié que la plupart des sites de rencontre. L'horizon d'attente y semble moins élevé dans la mesure où l'ergonomie jeune et brouillonne (version bêta) connote l'amusement plus que l'engagement à vie.
De ce fait, un grand nombre de membres se sert du site pour y faire des rencontres de caractère plus éphémère et léger. Pour Alexis, 24 ans, étudiant en kinésithérapie, et Mateo Saxo, 26 ans, actuellement au chômage, il ne s'agit pas de trouver le grand amour. Ces deux jeunes hommes sont à la recherche d'histoires à prédominance sexuelle. Il s'agit de collectionner en premier lieu des conquêtes virtuelles qui par la suite sont censées aboutir rapidement et sans trop d'efforts à des rencontres. En moyenne, il suffisait à Alexis de trois mails pour conclure d'un rendez-vous avec une jeune femme. Certains hommes sont passés maître de la « séduction express » : ils envoient directement leur numéro de portable, quelques lignes charmeuses et en moins d'une heure, ils ont un rendez-vous[13]. C'est à se demander quel rôle adopteunmec.com joue par rapport aux autres sites du même type, sachant que sa réputation est bien plus frivole encore que celle de Meetic.
De plus, notons du côté des femmes, la facilité à notifier l'intérêt qu'elles portent à un homme. L'ajout au panier suffit : il remplace le clin d'œil dans un bar, le sourire, une invitation verbale. En deux secondes j'attire l'attention sur moi, mon profil, ce que je prétends être sans pour autant avoir fait le moindre effort d'imagination. Un homme peut lancer jusqu'à cinq « charmes » et selon la plupart des hommes interrogés, ceux-ci apprennent avec le temps quel type de femmes répondra à ce charme. Tout est dans l'efficacité et la rapidité, et par là même : la compétition. S'il y a bien une chose qu'adopteunmec.com n'a pas su créer, c'est un univers romantique. L'univers rappelle surtout celui de l'usine et de la production à la chaîne de rencontres virtuelles. Les schémas des différents types de profils d'amoureux s'y reproduisent entre ceux qui cherchent le grand amour et ceux qui cherchent des histoires sans lendemain. La démarche reste identique. Le Don Juan du Net ne diffère en rien de celui du réel. Il collectionne les contacts en envoyant un maximum de charmes (souvent, il a un compte payant et donc des charmes illimités) et passe des heures à flâner sur le site pour trouver de nouvelles proies. Ses messages sont pré-écrits et toujours pareils. Les phrases de drague que l'on utiliserait dans un bar sont simplement adaptées à l'environnement numérique. On peut calculer sa cote de popularité grâce à l'encadré sur son profil qui résume ses points de popularité (nombres de mails reçus, nombre d'adoption…). Souvent, les « virtual lovers » dépassent les 100 000 points de popularité (ce qui signifie une activité régulière sur une période de plusieurs années.
Ce que cette pratique de la conquête amoureuse virtuelle laisse entrevoir, c'est la préférence de la quantité à la qualité. L'ego prédomine notre approche du site de rencontre. L'envie d'être « populaire » l'emporte sur celle d'être enfin plus sélectif et réfléchi. Passer des heures sur un site de rencontre au lieu d'aller boire un verre dans un bar, c'est faire le choix de l'efficacité. Selon Ikarus, la plupart du temps, il ne rencontrera aucune fille intéressante en sortant le soir, alors que sur Internet, la recherche est ciblée – et fructueuse. Il en est de même pour les femmes qui remplissent en un simple clic leur caddie de courses. Sur adopteunmec.com tout est publié sur la page de profil : le nombre de conquêtes y est noté, ce qui augmente à la popularité des hommes inscrits.
L'amour propre est amplifié par le succès que l'on peut avoir sur ce site et l'on se surprend à comparer son score de popularité à la concurrence. C'est à se demander l'intérêt d'un tel site, puisqu'un grand nombre d'hommes collectionne les conquêtes virtuelles sans pour autant en rencontrer dans la vie de tous les jours. Adopteunmec.com, à la différence de la plupart des sites de rencontre, prend l'aspect d'un de société où les règles sont pré-écrites par l'ergonomie du site.
Heureux en jeu et en amour ?
Les raisons à l'origine d'une inscription sur le site peuvent être variées : l'envie d'une relation sérieuse, d'une histoire d'un soir, parfois d'une rencontre amicale avec l'autre sexe. Souvent, les membres du site annonce la couleur : ils y sont pour l'amour du jeu.
Adopteunmec.com est un appel au marivaudage et nombreux sont ceux qui veulent badiner avec l'amour. Le jeu de l'amour et du hasard prend son cour avec Guillaume qui est inscrit par pure vanité. « C'est une compétition avec un ami. Un pari stupide, à qui gagnerait le plus de points. » Le système de points est simple : 5 points pour un mail reçu, 5 pour un charme accepté, 5 autres pour une visite sur la page, 50 pour une adoption. A ce rythme-là, et si l'on est suffisamment actif, il n'est pas difficile de gagner en popularité, faut-il encore plaire aux filles et vice-versa. Cela n'a donc rien d'étonnant de trouver des discussions autour d'adopteunmec.com sur un forum tel que jeuxvideos.com. Uxe_ une jeune bloggeuse y écrit dans un forum : « Le but du jeu est d'avoir le plus de points possible. J'en suis à 1500 points en 5 minutes. Pour avoir des points, mettez une photo de jolie fille. »[14]
Enfin, Sherry Turkle aborde un autre aspect du jeu dans le rapport aux sites de rencontre. Elle rejoint l'idée que nous développons autour de l'univers de cet univers. « Au fur et à mesure que les choses se referment et que l'espace de jeu se réduit, le Cyberspace propose quelque chose de l'ordre de cet espace jeu. Il offre une chance d'expérimenter qui lui est absente dans le reste de la vie ». L'aspect ludique libère certains participants de leur peur d'aborder l'autre. Sur adopteunmec.com il est moins risqué d'aborder quelqu'un et la peur de se faire rejeter est beaucoup moins présente que dans un bar. Il est d'autant plus intéressant d'y faire des rencontres que le site permet en effet aux membres d'expérimenter, en sécurité derrière leur écran, une multitude de facettes de leur personnalité ou encore, de s'essayer à d'autres personnalités. Le site est un terrain de jeu des personnalités : le timide joue les machos, tandis que le tombeur s'essaye au rôle du gentil garçon. Adopteunmec.com se présente ainsi comme un jeu avec l'amour et la sexualité.
C'est un jeu de rôle que certains jouent avec le plus grand plaisir, souvent même sans s'en rendre compte. Car si adopteunmec.com tente d'innover, le site est aussi un assemblage de certains clichés. Poussés à se présenter sous leur meilleur jour, certains membres endossent un rôle qui est censé les représenter dignement. On trouve sur le site un nombre considérable de policiers, pompiers et autres métiers à uniforme. Là encore, la notion de jeu de rôle laisse prévoir un choix volontaire de faire partie d'une catégorie socio-professionnelle afin d'interpeler plus efficacement les femmes attirées par ce type de profil. De la même façon certains hommes posent devant leur voiture, d'autres sur la plage ou avec leur animal de compagnie. Tous ces messages sont émis dans l'intention de placer les pions le plus avantageusement possible pour ceux qui veulent marquer des points de popularité.
Une fois entré dans la ronde de ce jeu auquel est si facile de se prendre, le nouveau inscrit va apprendre à connaître mieux le fonctionnement du site dont le but principal est étrange : adopter et se laisser adopter. L'adoption prend un nouveau sens à travers l'utilisation d'adopteunmec.com.
L'adoption comme moyen de séduction
Ce qui interpelle l'internaute avéré est l'intitulé du site qui apparaît comme paradoxal. Pour signifier l'intérêt qu'on porte à un homme, une femme inscrite sur adopteunmec.com peut « adopter » ledit homme. La notion d'adoption pose en effet problème dans un monde de la séduction puisqu'il associe l'adoption, terme réservé au domaine familial à celui de la relation amoureuse.
En effet, la définition du Larousse définit l'adoption de la manière suivante : « Prendre, au terme d'un jugement, pour fils ou fille celui, celle qui ne l'est pas naturellement. » L'adoption peut encore s'étendre à l'adoption d'un animal de compagnie, mais elle n'est jamais associée à la prise d'un partenaire. Du côté de la femme, l'adoption évoque un aspect sulfureux de la relation avec un homme plus jeune. Aucune explication n'est d'ailleurs publiée sur le Net pour expliquer le choix de nom qui garde ainsi tout son mystère. Et finalement, il apparaît plus plausible de revenir à la définition de l'adoption d'un animal de compagnie. Sans vouloir sur-interpréter le symbolisme du nom du site, il peut être dit cependant qu'adopteunmec.com ressemble parfois à un centre de la SSPA pour célibataire abandonnés et le catalogue de photos pourrait être celui que l'on retrouve en ligne pour les chiots sans maître, un appel à l'adoption donc.
Amour et consumérisme : l'alliance réussie de deux mondes antinomiques ?
Adopteunmec.com se détache, comme nous l'avons vu précédemment, des autres sites de rencontres, par le choix d'une disposition atypique qui tente de véhiculer un message novateur. A travers l'apparence du site, on constate la volonté d'allier deux imaginaires à l'opposé l'un de l'autre : sur adopteunmec.com l'amour peut s'acheter comme un bien de consommation banal.
L'amour catalogué
Une fois la page d'accueil dépassée, le site se présente comme un catalogue dont le dispositif linéaire se divise en plusieurs rubriques séparées. Celles-ci sont présentées comme des fiches que l'on tire au choix et rappelle le monde du travail, du bureau, tout en insistant sur l'aspect ludique du magazine-feuilleton.
Le prince charmant : un objet comme un autre
Le catalogage des rubriques permet une utilisation simple pour le novice : il y a le profil qu'on se crée en ajoutant une photo, des détails sur la vie privée et des commentaires. Le site opte pour une construction en poupées russes : après les grandes rubriques (accueil, recherche, ma page, mon compte), viennent les sous-rubriques du profil (mails, paniers, charmes, visites, chat) – en sous-sous-catégories : détails, goûts, sexo, personnalité. Le profil finalisé se présente comme un fichier professionnel proche du Curriculum vitae et plus encore de la fiche produit. Adopteunmec.com joue avec les codes, ce qui rend si particulier ce site de rencontres. C explique le succès surtout chez les jeunes cadres dynamiques pour qui être inscrit sur Adopteunmec.com n'a rien de choquant.[15]
Avec ses autres amis inscrits sur Adopteunmec.com, Ikarus partage ses expériences et ses rencontres sans en avoir honte. Bien au contraire, il vient parfois chercher conseil auprès de ses amies qui peuvent l'éclaircir sur ce qui touche au domaine féminin du site. Jean-Claude Kaufmann l'avait déjà remarqué : «La rencontre par Internet, qui avait une image à peine meilleure que celle des agences matrimoniales, est devenue en l'espace de quelques années un moyen ordinaire et légitime de trouver l'âme sœur. »[16]
Hormis les critères de recherche concernant le partenaire idéal, il y a la possibilité de mettre dans le moteur de recherche le type de relation souhaitée. Damsret, 36 ans, technicien aux yeux marrons, vivant à Levallois-Perret a ainsi opté pour l'amitié-câline que l'on peut voir comme une relation ouverte. Les autres catégories des relations rappellent le monde du travail, notamment le curriculum vitae. Il y a le choix entre CDD et CDI, désignations propres au champ professionnel. Ikarus recherche pour sa part un CDI, par conséquent une relation sérieuse. Sachant que le site a déjà plus de trois millions d'adhérents, difficile de faire un choix. Afin d'éviter le trop plein de profils, adopteunmec.com propose un filtrage des résultats, à travers une sélection de critères de recherche. Les critères de sélection sont propres au site et ne se retrouvent dans aucun autre site de rencontres. Ici, l' « adopteuse » peut sélectionner jusqu'aux origines et particularités physique de l'homme. Elle établit la fiche produit idéale de son prince charmant.
L'internaute non-avéré retrouve là des habitudes acquises sur les sites d'e-commerce. La recherche avancée sur EBay ressemble quelque peu à celle d'adopteunmec.com, sauf que le résultat de celui-ci sera un homme/une femme en chair et en os. A lui seul, le moteur de recherche d'adopteunmec.com se veut représenter le fantasme de l'individu moderne de la société de consommation : se déplacer dans les rayons d'un magasin et acheter son partenaire de rêve. Zygmunt Bauman le précise dans œuvre L'amour liquide : « Comme les pouvoirs colossaux du marché de la consommation sèment l'action-par-souhait en profondeur dans la conduite quotidienne, suivre un désir semble rejoindre, avec gêne et désagrément, maladroitement, les rangs de l'engagement d'amour. »[17] Dans cette société capitaliste et consumériste qu'est la nôtre, les imaginaires liés à l'argent et à la possession matérialiste sont nombreux et nous poursuivent jusqu'en amour, où l'envie d'être simplement heureux est en compétition permanente avec autrui, ce dont on parlera plus en détail dans la troisième partie de notre analyse.
Il y a donc une objectification volontaire des adhérents au site, qui se caractérise par l'assimilation constante des hommes à des produits, ou des biens de consommation. Le profil est une fiche produit qui se présente comme telle avec un pseudonyme (nom de produit), un sous-titre accrocheur et quatre onglets distincts censés décrire l'homme ou la femme. Les internautes ont le droit de télécharger plusieurs photos qui par la suite pourront être notés par les autres membres. Les imaginaires véhiculés par cette présentation sont clairement inspirés du domaine de l'e-commerce et les reprennent en fil conducteur à travers tout le site. La quête de l'amour se fait par mots-clefs comme la rechercher d'une paire de chaussures ou un livre de cuisine. Les résultats s'affichent sur 14 pages au maximum. Seule une vignette avec la photo de profil, le nom et l'âge s'affiche, ainsi que le statut de connexion (online/offline).
L'homme, réduit à un simple objet devient apparat, accessoire au lieu de compagnon réel. A l'état virtuel, l'homme n'est rien de plus qu'un physique, une photo de profil. Parfois il se démarque par un pseudonyme accrocheur, un texte de présentation atypique. Mais souvent il est réduit à son apparence physique uniquement. Adopteunmec.com évoque un nombre infini d'imaginaires propres à notre culture occidentales dominée par la technologie, et surtout la télévision. Le bouton like existe sur Facebook mais se retrouve aussi sur Adopteunmec.com. Une des pratiques sur Adopteunmec.com est le clic. Au début, le novice clique sur des profils, il surfe sur la vague du webdating. Il n'y a pas tant de différence entre le visionnage de la télévision et celui de profils : on clique, on s'arrête. On clique, reclique et s'arrête. Comme le fait remarquer Ikarus au cours de notre entretien, Adopteunmec.com ressemble beaucoup à une drogue dont on devient rapidement dépendant. Il est si facile d'y passer des heures, assis devant l'ordinateur à regarder les profils des nouveaux produits en rayons, qu'on ne se rend plus compte du temps qui passe. On y retrouve un comportement passif relativement semblable à celui du zapping et qu'il est intéressant d'analyser dans le contexte du site de rencontre.
La culture du zapping revisitée
Hormis le moteur de recherche, adopteunmec.com offre aux internautes la possibilité de visionner les nouveaux adhérents ou encore les produits phares. Dans les rubriques « Tombés du camion » et « Ventes flash », le site permet aux utilisatrices/utilisateurs, de cliquer soit « Je veux » (un petit panier inscrit à côté), « Suivant» (un cœur brisé à sa droite) sur la photo qui s'affiche afin de mettre un homme dans leur panier. Sur Adopteunmec.com il y a donc aussi des soldes et des promotions à ne pas manquer. La course aux bonnes affaires est ouverte.
Le zapping est à son beau fixe ; il suffit de cliquer pour faire avancer ce diapositif de photos de profil. Comme pour le zapping habituel, l'usager s'arrête quand bon lui semble, mais passe surtout un certain temps à simplement cliquer jusqu'à voir apparaître tous les produits. Ce jeu est simple, rapide et ludique et il en dit long sur nos critères de sélection[18]. Dans un débat public intitulé « Le zapping aura-t-il la peau de notre civilisation ? »[19] publié dans Libération, le journaliste Bertrand de Saint Vincent souligne la malédiction du multitâche médiatique de l'individu moderne : « Que fait l'homme du XXIe siècle ? Il zappe. Traduction transitoire : il passe du coq à l'âne. Rivé à son écran- de télévision, d'ordinateur, de téléphone - il jongle d'un sujet à l'autre, mêlant plusieurs activités en même temps (surfant sur le Web, il tchate sur Facebook et envoie un texto sur son portable). Rien ne le retient, tout l'attire. C'est un homme d'action, d'agitation, de dispersion, de liberté, d'enchaînements. Le monde lui obéit au doigt et à l'œil. D'un seul clic, il change de programme, de pays, d'activité, d'amis. C'est grisant. Sa vie est un supermarché dont le zapping multiplie les rayons à l'infini. » Il en est de même pour adopteunmec.com où certains internautes passent leur soirée à chercher des profils de femmes qui correspondent à leur critère de sélection.
En fin de compte, les seuls éléments qui peuvent encourager ou, au contraire, détourner l'internaute à « vouloir » un profil sont la photo de profil, le pseudonyme et l'âge. Un autre encadré propose la catégorie « Produis régionaux » où la sélection est aussi d'ordre géographique. Néanmoins, le physique prédomine la décision de vouloir ou non un homme-objet. Toutes les personnes interviewées affirment procéder par préférence physique, car elle est la seule à pouvoir être satisfaite dans ce feuilletage de profils. De ce fait, il est intéressant de se consacrer aux différents types de photos de profil existantes sur le site. Car bien évidemment, tout inscrit sur ce site est conscient de l'importance du physique, et par conséquent de la photo.
Comme le disait Yann-Arthus Bertrand dans une interview au site culturel evene.fr : « Une photo parle tout de suite, il n'y a pas besoin d'explications, tout le monde comprend la même chose. » Pourtant ce n'est pas toujours le cas sur les autres sites de rencontres. Parship.de, un site allemand, procède par matching des profils sans dévoiler de photo de profil. Celle-ci ne le sera qu'à la demande des internautes, et après une première mise en contact des deux partenaires potentiels. C'est une exception dans son genre, car la photo de profil reste le critère de sélection le plus important dans la recherche d'un partenaire virtuel. Au cours de mes pérégrinations sur le site, il est rapidement apparu une certaine récurrence de types de photos qui permettent une classification des profils.
c. Photos de profil et pseudonymes : des récurrences significatives
La première impression est décisive dans la rencontre entre deux individus. Dans la vie réelle, cette première impression sera faite de l'apparence physique, de la gestuelle et parfois de l'odeur ou de la voix de l'autre. Cet ensemble d'impressions plus ou moins subjectives influenceront notre façon de voir l'autre. Sur un site de rencontres, seul un de nos cinq sens reste en action, celui de la vue. L'odorat, l'ouïe et le toucher ne sont d'aucune utilité dans le monde virtuel, dans la mesure où au début de toute entrée en contact avec l'autre, seule la photo de profil retiendra notre attention. Le choix de la photo de profil est donc décisif dans la création d'un profil.
La photo en noir et blanc réapparaît à de multiples reprises, et ce, pour toutes les catégories d'âge imaginables. Elle représente l'internaute en plan éloigné ou plan rapproché, souvent sous forme de portrait, sobre et élégant. Le studio Harcourt, célèbre pour ses photos du gotha du cinéma français, propose sur son site une « Photo Prestige » en noir et blanc de préférence. La phototype est d'ailleurs en noir et blanc et souligne l'atemporalité du sujet représenté. Ikarus se plaignait du peu d'activité sur son profil et se demandait si sa photo de profil y était pour quelque chose. Après avoir opté pour une photo de profil en noir et blanc, un pic de visites s'afficha sur son profil en l'espace de moins 24 heures. Cela prouve d'une part l'importance d'une photo de profil la plus avantageuse possible et d'autre part l'importance du détail. Jean-François Amadieu le fait remarquer dans Le poids des apparences: chez l'homme, « le visage revêt une importance plus stratégique que pour les femmes. On s'est aperçu que la publicité montrait la tête d'un homme dans 65% des cas et celle d'une femme dans seulement 45% des cas. […] Si le visage est censé révéler la dimension spirituelle de l'individu, par opposition au corps, siège de l'animalité, le message n'est alors pas difficile à comprendre. Visiblement, la publicité préfère valoriser l'attrait physique des femmes, lequel constitue un argument de vente ou, au moins, un motif d'intérêt. »[20] Chacun est à l'origine de son succès et de sa popularité sur le site. Dans son ouvrage Jeux, modes et masses[21], le chercheur Paul Yonnet le résume bien : « Chacun est à présent considéré comme responsable de l'image qu'il donne de lui-même, y compris quand il choisit d'en rester à une expression dite utilitaire ou passe-partout, simple version du refus d'entrer dans une compétition autrement lourde de conséquences que les précédentes. »
Dans un autre registre se situent les photos censées symboliser la virilité : le sujet pose devant une voiture, se prend en photo dans son miroir avec son téléphone portable, ou pose en uniforme (pompier, policier, militaire, etc.) afin de souligner sa virilité. Son pseudonyme sera du type Momodu94, Ahmed78 ou encore Blackfrais. Tandis que le sujet ayant recours à la photo noir et blanc utilisera bien souvent un pseudonyme sophistiqué[22] ou tout simplement le prénom (comme c'est le cas d'Alexis qui pose en noir et banc, torse nu, le regard). D'autres ont des pseudonymes plus raffinés : Valvert, Alpha Theory, L'Autre, ou Spartacus qui laissent prédire une réflexion préalable plus longue. Bien que souvent les sujets optent pour un pseudonyme explicite tel que Tendre Calin, Aphrodisiak , ou Romantique, ils ne sont pas majoritaires. Un grand nombre d'internautes opte pour le prénom au lieu du pseudonyme. On se rend rapidement compte que ce sont surtout les hommes vivant en banlieue parisienne qui tiennent à mettre leur numéro de banlieue dans le pseudonyme. Il y a le besoin de se démarquer, mais aussi de limiter les prétendantes par une indication géographique, ou parfois un réel manque d'idée.
Les photos sont pour la plupart des portraits, mais parfois il y a de réelles surprises. Alexis s'était inscrit sur le site pour faire une course à la popularité avec un ami et surtout, contourner le règlement d'Adopteunmec.com en essayant de rester le plus longtemps possible sur le site avec des photos le montrant nu à la plage. Il a tenu suffisamment longtemps pour montrer la faille dans le système de surveillance du site et faire quelques belles rencontres. Il n'avait nulle intention de trouver une partenaire, d'où le contournement des règles, des photos au second degré, certes narcissiques, mais dotées d'une intention humoristique. A l'inverse, d'autres se penchent plus longuement sur le choix d'une photo de profil, comme le prouve Ikarus qui a changé à maintes reprises de photo, jusqu'à trouver la photo idéale pour attirer l'attention sur son profil. Il en est de même pour Valvert qui allait jusqu'à faire un sondage auprès de ses amis, leur envoyant plusieurs photos de lui pour qu'ils choisissent la meilleure pour son profil d'Adopteunmec.com. Pour ce faire, il avait créé un album photo Picasa dont il envoyait le lien à ses amis proches ou même à des femmes sur Adopteunmec.com, comme cela a été le cas pour moi.
La suprématie du physique est bien existante sur le site, sans pour autant en faire son sujet principal. Sur BeautifulPeople, seuls les gens dits «beaux » y sont acceptés. Cependant, le principe reste quasiment le même. Sur BeautifulPeople les internautes déjà inscrits doivent noter les nouveaux membres potentiels selon leurs attraits physiques[23]. Il en est de même sur Adopteunmec.com, à une autre étape de l'inscription. Les femmes/hommes ont la possibilité de noter les photos mises en ligne, ainsi « la facilité d'utilisation du produit ». On retrouve par là-même l'idée du catalogue, notamment du catalogue en ligne où chaque internaute peut noter un produit acheté. Adopteunmec.com suit bien la construction et le format d'un site d'e-commerce par la volonté de donner aux internautes la possibilité de noter les personnes avec lesquelles ils sont entrés en contact. Les critères ressemblent bien à ceux que l'on pourrait retrouver sur Amazon ou Ebay.
Fiche produit : qui suis-je ?
Le site de rencontre est axé sur la représentation de soi. Tout l'intérêt du site est de se présenter tel que l'on est ou encore tel que l'on voudrait l'être. Le je est au centre de la réflexion parce que c'est autour de lui que tourne tout le fonctionnement du site. Il définit comment se fera l'interaction avec autrui. Il ne peut avoir de valeur sans le feedback de l'Autre qui consulte le profil, commente, voire note. Une importance accrues est donc dédiée à l'établissement d'un profil adéquat et saura remplir sa fonction : attirer un nombre maximal de visites. L'analyse des profils en dit beaucoup sur chaque individu bien que tous soient obligés de se plier aux règles de mise en page d'Adopteunmec.com. Une certaine liberté est laissée aux internautes dans la mesure où deux rubriques, l'une pour se présenter, l'autre pour définir le partenaire idéal, leur permettent de laisser libre cours à leur imagination. Il est alors intéressant d'observer ce que se cache derrière cette mise en scène de soi et l'interaction entre les deux sexes.
a. La mise en scène de soi
Dans son ouvrage Sex@amour[24], Jean-Claude Kaufmann explique toute la complexité du site de rencontre : « La rencontre sérieuse, notamment sous l'impulsion d'Internet, prend de plus en plus la forme d'un marché où l'on cherche le produit idéal tout en se vendant soi-même. » Sur adopteunmec.com, il s'agit donc bien de se vendre. Chaque internaute devient son propre agent. Puisqu'un homme ne peut aborder les femmes qu'uniquement par le biais du « charme », ses possibilités d'actions sont restreintes, pour ne pas dire inexistantes. Le seul moyen d'influer l'appréciation d'une femme est la fiche produit. Là déjà, l'affaire se corse : comment se vendre ? Comment dire ce que l'on est sans trop en dévoiler ? Comment plaire, comment séduire par une petite fiche personnelle digne des petites annonces que l'on connaît du journal ? Comme le fait remarquer Jean-Claude Kaufmann, «des sites comme Adopteunmec.com proposent aux hommes de devenir de simples objets de consommation et d'afficher (superbement) leur profil en attendant qu'une femme flashe et clique pour le mettre dans son caddie virtuel.»[25]
En effet, tout l'art réside dans la présentation de soi. C'est un peu le retour au banc d'école. Doit-on faire une introduction ? Une entrée en matière in medias res serait-elle appropriée ? Faut-il une citation d'un auteur/artiste mort il y a plus de 50 ans ? Pour montrer à quel point le petit texte introductif est important, Alexis avait procédé avec moi à la création de deux profils entièrement différents, autant au niveau de la tonalité que de l'intention. La première version jouait le jeu du site et se présentait comme une réelle fiche produit, vantant les mérites du produit, ses qualités et fonctionnalités. Le second message était classique, mais ne faisait preuve d'aucun humour particulier. C'était une annonce basique où Alexis se présentait en tant qu'homme cherchant l'amour, décrivant sa personnalité et les qualités qu'il recherchait auprès d'une femme. (cf. annexes). A travers son annonce au ton badin, il imitait le style du site de rencontre, se présentant comme un objet à acquérir, jouant des codes utilisés. Il avait par ailleurs ajouté les photos de nu qu'Adopteunmec.com avait fini par supprimer. Seule la photo de profil avait résisté un certain temps. Le succès de son annonce se mesure en plusieurs centaines d'adoptions, mails et entrées en contact par chat. Deux facteurs avait provoqué ce succès : les photos d'Alexis nu (notons cependant qu'il travaille en tant que mannequin à ses heures perdues, et correspond au canon de beauté typique de notre société : grand, blond, musclé avec une dentition irréprochable) ; mais aussi l'annonce. Alexis provoque dans son annonce la curiosité des femmes Il cherche à les provoquer dans les offenser. Il leur montre à quel point il maîtrise le site et sait en jouer avec facilité. Ses aptitudes rhétoriques l'aident dans ce stratagème de séduction. Alors que la plupart des plupart des annonces sont peu inventives, celle-ci brille par son humour et son audace. La seconde annonce a eu bien moins de succès que la précédente par le simple fait que le texte de présentation est un brin trop classique : il n'y a ni surprise ni d'effet humoristique. Aucune photo provocatrice n'avait été ajoutée au profil. Par conséquent, le flux de visite était moitié moins important qu'à la première tentative de séduction et Alexis avait finalement effacé entièrement le second profil. Dans ce même élan, nombreux sont donc les hommes à tenter de filer la métaphore consumériste du site.
L'amorce est donc d'une importance cruciale pour qui veut avoir du succès et du feedback positif. Elle oblige l'individu à se remettre en question, à s'interroger sur ce qui est séduisant en lui, ce qu'il recherche et ce qu'il peut dire sans trop en dévoiler non plus. D'autres membres optent pour des annonces encore plus fantasques, ce qui montre à nouveau à quel point le site est novateur, puisqu'il encourage de nouvelles pratiques et un tout autre abord du site de rencontre. Mateo Saxo qui est inscrit depuis plus d'un an sur Adopteunmec.com sans jamais avoir fait de rencontre concluante, a fait le choix d'une annonce loufoque et déjantée Dans son profil il a rempli la case profession par « pêcheur de rêves », insistant sur son caractère fantaisiste.
Si les choix d'annonces sont variés, il n'empêche que ce sont souvent les plus atypiques qui remportent la manche. Ce phénomène s'explique par le fait que les membres d'adopteunmec.com y sont inscrits pour cette raison : tout est permis. Il n'y a que très peu de règles et tout tend à encourager le laisser-aller des usagers. Même les tabous sont peu présents : les membres ont la possibilité de remplir une fiche sexo suffisamment explicite pour qu'elle se passe d'un dessin. Et pourtant, écrire une bonne annonce ne suffit pas. Après l'acceptation du charme par le membre de la gent féminine, il faut surmonter l'étape suivante, considérée comme la plus frustrante selon la plupart des hommes interrogés : le premier mail.
Premier e-mail : première « rencontre »
Au cours de mon travail de recherche, j'ai pu recevoir sur ma messagerie d'adopteunmec.com plusieurs centaines d'email d'hommes intéressés par mon annonce et faire l'expérience de la complexité de cet exercice.
En effet, il est difficile de trouver une amorce à un éventuel échange de mails. A nouveau se pose les mêmes questions : comment capter l'attention de l'Autre ? Comment doit-on écrire ce mail pour « mériter » une réponse ? Car la réponse d'une femme est considérée comme une récompense, si rare est-elle pour certains hommes inscrits. Ikarus s'en plaint, tout autant que Guillaume et Ylipe. Ce dernier m'écrira : « Hum faudrait un jour qu'on m'explique pourquoi les discussion s'arrêtent aussi sec ici ! c'est un rite d'initiation ou un truc du genre ? » Jean-Claude Kaufmann constate cette même passivité chez les femmes dans Sex@mour : « Du côté du trop peu il y avait la fausse initiative. Certes, elles mettaient un homme dans leur caddie, mais ensuite, rien. »[26]
La difficulté d'entretenir un lien durable dans cet espace virtuel semble récurrente et étonnante, connaissant la facilité de s'y inscrire et d'y créer un profil. En réalité, la prise de contact avec une femme se fait difficilement. Nombreuses sont les femmes qui sont réellement bombardées de charmes et de mails, ce qui a pour conséquence une certaine sélectivité et un silence suite à l'acceptation des charmes. Beaucoup de femmes inscrites, refusent à partir d'un certain temps la plupart des charmes parce qu'elles ne veulent pas que leur messagerie d'adopteunmec.com soit polluée par trop de mails superflus. Ceci s'explique notamment par la nature des mails reçus qui pour la plupart sont courts et mal orthographiés.
Dans sa constitution, la mise en page de la boite mail ressemble à un chatroom. Les encadrés ainsi que les icônes, notamment les smileys, sont roses. Du fait du mauvais fonctionnement du site (il y a des bugs réguliers quand l'on essaie d'envoyer un mail), les membres ne sont pas tentés d'écrire de longs messages par crainte qu'ils s'effacent à l'envoi. Mateo Saxo l'écrit au cours de notre échange de mails via adopteunmec.com. Le site bug régulièrement et fait disparaître certains messages en cours d'écriture. Par ailleurs, le chat ne fonctionne pas correctement. Comme pour les charmes envoyés, souvent les mails sont eux aussi affaire de l'homme, ce qui montre à nouveau que le concept initial ne fonctionne pas réellement. La plupart des mails se ressemblent dans leur brièveté, autant que dans leur accumulation de faut de frappe et d'orthographe. Un exemple type de première prise de contact se retrouve dans celui de ZineZine. En décembre il m'écrit : « bonsoir moi c slim ton profil ma plus je serai ravi de faire ta connaissance. » A son tour, Zouzou tenta sa chance par l'accroche suivante : « slt comment ca va? tu fais quoi de vo avec ce froid de canard? » Parcoeur n'hésita pas à choisir le chemin le plus court en envoyant uniquement son numéro de portable. A l'inverse, on trouvera sur « Le blog d'un mec adopté »[27] dans la catégorie «Pour bien commencer » toutes les amorces qu'un homme ne voudrait pas recevoir de la part d'une femme. Pour n'en citer que quelques exemples qu'il commente directement : « Tu cherches quoi ici ? (si seulement c'était aussi simple de prévoir ce qu'on allait trouver) » ; « T'as déjà rencontré des personnes ici ? (on s'en fout un peu non ? je suis ici, là, tout de suite, donc que j'ai rencontré 10 filles/mecs et que je sois ici, faut croire qu'il n'y avait rien de ouf au final) ».
Le bloggeur, qui préfère rester anonyme, conseille par ailleurs à ses followers de visiter le site de OK Cupid qui référence un nombre impressionnant de statistiques tout autour de la sexualité et de la relation amoureuse. Parmi celles-ci, l'une d'elle relate les sujets qui permettent d'attirer l'attention du récepteur dans la catégorie « Exactly what to say in a message »[28]. Dans « Bring up specific topics »[29], OK Cupid liste les sujets de conversation à succès pour ceux qui veulent s'inscrire sur des sites de rencontres. Une multitude de sites font d'ailleurs directement référence à Adopteunmec.com. Ce sont souvent des anciens membres qui profitent du monde de la blogosphère pour parodier le site et en critiquer le fonctionnement. C'est notamment le cas de Chikita qui a créé son propre blog-témoignage AdopteUneConne[30] ou encore la page AdopteUnConnard, sous-catégorie de Trimtab.fr, un site qui propose des copies d'écran des conversations les plus drôles tenues par Guillaume Natas, bloggeur et membre d'adopteunmec.com dont le but premier est de se moquer du principe du site. (Cf. Annexes).
Malgré une infinité de sites conseils (certains spécifiquement développés pour adopteunmec.com), nombreux sont les membres d'adopteunmec.com qui persistent à opter pour la banalité et le manque d'originalité. Pourtant, certains savent se démarquer du lot, afin de récolter une réponse de la part de l'autre. Comme pour l'annonce d'Alexis, ils choisissent de développer la métaphore du commerce afin d'attirer le plus grand nombre de visites et gagner l'attention des membres féminins, ce qui n'est pas toujours chose aisée. Les internautes interrogés l'ont fait remarquer à maintes reprises : les écueils de la vie virtuelle sont souvent les mêmes que dans la vie réelle. Le lien établit avec l'autre est parfois tout aussi difficile à maintenir.
3. La fragilité du lien
Sur Internet les rapports sont plus formels dans leur absence de contact physique direct, mais parfois ils paraissent plus intenses pour les mêmes raisons. Il est parfois plus simple de se confier par écrit qu'en vrai, assis autour d'une tasse de café, le regard de l'autre posé sur nous. Ce constat remodèle notre rapport à autrui, notamment si une relation amoureuse pourrait s'établir entre deux individus. Les liens qui nous unissent n'y sont pas pareils que dans le vie réelle et la complexité de ce nouveau phénomène amène rapidement un certain désenchantement, car si Internet prône la rapidité au niveau relationnel, il ne nous épargne pas certains obstacles.
Construction du lien
Comme nous l'évoquions précédemment, il est très difficile d'entretenir un lien continu et stable sur un site de rencontre. Zygmunt Bauman en a fait le thème principal de son ouvrage « L'amour liquide » dans lequel il est met en lumière ce monde de la liquidité, de la flexibilité et de la mutation qu'est devenue notre société contemporaine. Tout change, tout est en mouvance permanente et il en est de même pour nos relations amoureuses. Les rapports amoureux se compliquent puisque « dans la modernité liquide, le décor change sans cesse. » Il évoque « la troublante fragilité des liens entre les hommes, le sentiment d'insécurité qu'elle inspire, ainsi que les désirs contradictoires que ce sentiment provoque. » Cette fragilité du lien se fait d'autant plus ressentir qu'elle a engendré en quelque sorte les pratiques des sites de rencontre. « Non reliés, les gens doivent se connecter », écrit Bauman. « Les connexions sont des ‘relations virtuelles'. A la différence des relations à l'ancienne (…), elles semblent faites à la mesure d'un cadre de vie moderne liquide dans lequel les ‘possibilités romantiques' (…) sont censées, espère-t-on, aller et venir à une allure toujours plus folle, au sein de foules jamais décroissantes, se rejetant les unes les autres en coulisses et criant à qui mieux mieux la ‘promesse ‘d'être plus satisfaisantes et plus épanouissantes. »[31]
Cette analyse du caractère éphémère, inconstant et changeant des relations en ligne, à laquelle s'ajoute une attente démesurée et une pratique de l'acharnement, se retrouve dans la démarche d'Ikarus. Au cours de nos très nombreux entretiens il m'avoue ne plus être capable de faire le décompte des femmes qu'il a rencontrées. En moyenne (de ce qu'il voulait bien laisser transparaître), il rencontrait environ quatre filles par semaines sans pour autant conclure les rendez-vous par un quelconque rapprochement physique. Bien au contraire, la prise de contact virtuelle (l'étape du lien qui nous intéresse dans cette recherche) se faisait rapidement. Il ne lui fallait pas plus de trois jours pour franchir le pas du rendez-vous physique. Néanmoins, plus les échanges virtuels s'accumulaient, plus sa déception augmentait. Bauman explique ce désenchantement de la manière suivante: « Quand la qualité nous fait faux bond, nous avons tendance à chercher la rédemption dans la quantité. » Cela a pour conséquence un désapprentissage de la séduction dans l'univers réel. « Plus la variété virtuelle de proximité absorbe d'attention humaine et d'efforts d'apprentissage, moins on alloue de temps à l'acquisition et à l'exercice des capacités que requiert l'autre variété, non virtuelle. »
Le cyber-amour, un amour éphémère
La cyber-relation se caractérise par la rapidité avec laquelle elle s'établit. Parfois, il suffit d'un mail pour la constituer. Le lien est intense, spontané et fort. Mais de la même manière qu'il s'est constitué, il peut de défaire. Bauman écrit à ce sujet : « Interrogé sur le succès fulgurant des prises de rendez-vous par ordinateur aux dépens des bars pour célibataires et des petites annonces de rencontres, un jeune homme de vingt-huit ans, originaire de Bath, évoqua un avantage décisif des relations électroniques : ‘On peut toujours appuyer sur la touche supprimer.' ».
En effet, les liens sont éphémères, dans la mesure où il ne faut pas beaucoup de courage pour mettre fin à une relation virtuelle : il suffit de ne plus répondre, de bloquer le contact, d'écrire un mail pour se détacher définitivement. Dans la vie réelle, il est souvent bien plus difficile de se détacher d'une personne. Le facteur temps est décisif dans les rapports virtuels. Il est la raison pour laquelle un grand nombre de célibataires se décident pour un profil sur un site de rencontre : un moindre effort pour un meilleur résultat. Mais de la même façon que le gain de temps semble mettre un terme à la solitude de certains, il peut encore la renforcer pour d'autres qui ne savent converser les liens établis via Internet.
Car si l'on rencontre rapidement d'autres célibataires, cela n'assure en aucun cas la durée des relations. Les échanges peuvent être intenses les premiers jours, puis la routine s'installe, l'ennui aussi. Le fait de cumuler les échanges mail avec plusieurs membres en même temps, augmente le risque de lassitude. Il n'est donc pas vraiment étonnant de constater que la promesse de vivre des relations toujours plus passionnantes n'est pas toujours tenue. « Il est simple de s'engager dans une ‘relation virtuelle' et d'en sortir. », écrit Bauman. Et il vrai que le lien est extrêmement fragile et instable. Il continue ainsi : « La facilité de désengagement et la résiliation-à-la-demande ne réduisent pas les risques ; elles ne font que les distribuer, de même que les angoisses qu'ils exhalent, d'une autre façon. » Ce constat l'amène à parler d'un « amour liquide » qui désigne les nouvelles formes de relations amoureuses qui se sont instaurées dans notre société contemporaine, influencée notamment par l'avènement d'Internet.
Aimer en ligne n'est donc pas chose aisée pour les célibataires connectés, car la rupture peut être encore plus rapide que dans la vie réelle.
La déception du contrôle
La promesse d'adopteunmec.com et de tous les autres sites de rencontre, c'est de trouver l'amour sur mesure. Et nombreux sont ceux qui y croient sans pouvoir imaginer le piège que peuvent présenter des sites. Alors qu'il y a encore une dizaine d'années, les sites de rencontre ou les agences matrimoniales étaient un sujet tabouisé, être inscrit sur un site de rencontre ne signifie plus le désespoir de la solitude mais bien ce choix volontaire d'être maître de son destin et de son bonheur. C'est bien le message véhiculé par des sites comme adopteunmec.com.
Si certains comme Ikarus échangent moins de cinq mails avant de rencontrer l'autre, d'autres passent plusieurs semaines, voire mois á échanger des mails, des petits messages ou des conversations chat. L'impression de vivre une relation peut s'établir au fur et à mesure que l'échange s'intensifie et que le contenu devient plus intime. Damsret préfère « bien connaître » la personne, avant de la rencontrer. Pour lui, l'échange virtuel permet d'éviter certains écueils lors du premier rendu réel, tels que les blancs dans la conversation, les faux-pas et les gaffes. Ce besoin de contrôler le développement de la relation est typique de notre société moderne. Rares sont les choses laissées au hasard. L'individu moderne préfère être maître de sa vie, décider jusqu'au moindre détail l'aspect de sa vie. Il peut, assis devant l'ordinateur, faire les choix de vie qui lui conviennent, du pot de peinture pour la nouvelle salle de bain à la nouvelle coupe de cheveux qu'il voudrait avoir. Il en est de-même en amour où Internet véhicule une promesse de contrôle. L'erreur semble réduite par le fait du choix de critères extrêmement précis.
Le résultat est une trop grande attente face aux sites de rencontre. La patience est réduite à son minimum puisque le fait d'avoir sélectionné des critères de recherches strictes, le succès devrait être quasi immédiat. Mais il n'en est pas ainsi et alors que l'impatience se fait sentir auprès des sujets interrogés, la déception est d'autant plus grande lorsque la recherche n'est pas fructueuse. Au bout de 7 mois de recherche véritablement effrénée et un nombre incroyable de rendez-vous (parfois quatre par semaines), Ikarus s'est finalement désinscrit du site pour chercher l'amour là où il ne voulait plus le chercher : dans la vie réelle, loin des sites de rencontres, les fenêtres de chatrooms et des boites mails.
Les sites de rencontres nous promettent l'amour, la seule chose que rien ne garantit. Aujourd'hui, ces sites nous signifient que pour la somme modique de 30 € par mois (pour (les hommes) et un sourire pour les femmes, l'amour est à portée de tous. Il est là, à un simple clic de souris de nous. Nous l'avons vu avec l'analyse des imaginaires de vente sur adopteunmec.com, l'amour est devenu un bien et chaque adhérent est commercial pour sa propre cause. Chacun apprend à se vendre à travers la mise ne ligne d'un profil plus ou moins complet, une fiche de produit plus ou moins honnête et une mise en scène de notre personne dans le but d'être l'heureux élu du caddie d'une autre âme esseulée. Ces modes de fonctionnements sociaux en disent long sur notre rapport à autrui, notamment en amour. Ces pratiques modernes redéfinissent le rapport à l'autre et à nous. Sommes-nous réellement la fiche produit mise en ligne ? La photo choisie (en noir et blanc, le profil de trois-quarts) reflète objectivement notre tête du quotidien ? Cette mise en scène du moi n'est-elle pas un éloignement de notre moi réel ?
Jean-Claude Kaufmann le notait s'interrogeait déjà dans on son ouvrage L'invention de soi : « entre identités biographiques et identité immédiate, ego utilise deux modalités identitaires relativement opposées dans leur logique de fonctionnement. » L'identité que nous présentons sur le site n'est donc déjà plus tout à fait la même que celle que nous déployons au quotidien, dans nos échanges physique. Qu'en est-il alors de l'identité que nous dévoilons sur un site de rencontre où la fiche de produit (substitut de biographie) n'est que la première étape à la construction de note identité ?
Vers une identité virtuelle ?
Nombreux sont les ouvrages universitaires qui ont traité de la difficulté d'être à notre époque, traitant du malaise de l'individu seul au sein d'une société individualiste et compétitive. Tous ont indiqué un mal-être propre à nos sociétés modernes où l'ambition et la notion de concurrence est sous-jacente à nos agissements du quotidien. L'individu moderne doit être flexible, compétent, surdiplômé et polyglotte, efficace mais résistant au stress. Il doit nécessairement être multitâche et rentrer dans les normes établies par la majorité. Comment résister à cette pression du groupe ? Comment rentrer dans les rangs sans se perdre soi-même ? Notre identité se définit-elle forcément par nos agissements avec autrui ?
Malaise sociétal : Adopteunmec.com, une utilisation symptomatique
Pour résister à cette pression consistante, Internet est devenu, pour ceux qui ne savent se plier aux exigences toujours grandissantes, une échappatoire salvatrice. D'après Hong Wang et Xin-An Lu, chercheurs à la Shippensburg University of Pennsylvania « L'invention d'internet ne donne pas à proprement parler un nouvel outil pour la collecte et la circulation d'informations; il crée un monde virtuel qui réveille et développe de nouvelles dimensions d'interactions humaines. »[32] Le monde parallèle que propose le Net permet pour certains internautes la création de nouveaux repères et parfois semble-t-il d'une nouvelle identité propre à l'espace virtuel. Le cas d'Adopteunmec.com paraît souligner ce glissement identitaire dans la mesure où être et paraître y font bon ménage.
Internet, un lieu des possibles
La création d'une sphère parallèle au monde réel a beaucoup libéré et simplifié la rencontre amoureuse. En premier lieu, Internet offre un terrain plus neutre que celui du bar ou de la boite de nuit, du restaurant ou du café. Il y a d'abord une égalité des sexes dans la mesure où une boite de nuit préfère une majorité féminine et peut refuser des hommes (pour des raisons vestimentaires notamment). Sur un site de rencontre, la seule condition d'accès est la majorité d'âge et un paiement s'il en faut un. Sinon, aucune sélection n'est faite et chaque individu peut s'y inscrire sans craindre le rejet. Si adopteunmec.com est si convoité cela s'explique notamment par son choix d'ouvrir son site au plus grand nombre. Les trentenaires s'y sentent aussi à l'aise que les quinquagénaires et chacun peut en théorie y trouver chaussures à son pied. Selon Patrice Angot, directeur de Seniorplanet.fr „l'usage des outils Internet représente pour les seniors une cure de jeunesse instantanée. Les rencontres par Internet permettent de ne pas de faire identifier comme un vieux. » [33] Parmi les hommes interrogés, aucun n'a réellement des difficultés à rencontrer des femmes dans les lieux physiques précédemment cités. Pourtant, tous ont un compte sur le site de rencontres, et certains préfèrent y faire leur sélection. « Je pourrais très bien aller dans un bar pour draguer des filles. Mais parfois aucune ne me plaît. Alors que sur adopteunmec.com je peux exactement choisir les filles qui me plaisent », explique Ikarus, insistant cependant sur sa grande timidité qui souvent l'empêche d'aborder les femmes. « Je suis parfois beaucoup trop timide pour parler à la fille qui m'intéresse. Je ne suis pas un très grand séducteur. »
En effet, adopteunmec.com est un lieu des possibles pour ceux qui n'osent faire le premier pas dans vie courante. Les codes de la gestuelle disparaissent là où seule la photo de profil peut donner une première impression. Le langage du corps étant habituellement révélateur, ici il n'a pas lieu d'être. Il n'y a pas de mains dans les poches, de mèche de cheveux rebelle qu'il faut dompter, aucun tic nerveux. Face à son écran même l'individu le plus timide arrive à contrôler ses émotions. Les rituels sont tout autres sur adopteunmec.com. A la place du premier regard, du premier sourire, l'homme intéressé lance un charme qui finalement „n'engage à rien“, comme le précise Damsret. Ce qui communément s'appelle „ se prendre un vent“ y est moins vexant, puisqu'il n'y aura qu'un silence de la part de la femme visée. La rencontre sur Internet est en quelque sorte devenue une séduction à risque limité. L'écran sert de filet de sécurité s'interposant entre deux membres inscrits sur le du site. L'écran permet ainsi d'instaurer une distance suffisante afin que l'intimité soit préservée de toute intrusion. L'écran est d'autant plus rassurant qu'il empêche une certaine forme de brusquerie ou de maladresse.
Dans Le Xerox et l'infini, Jean Baudrillard écrit : « Rien de ce qui s'inscrit sur les écrans n'est fait pour être déchiffré en profondeur, mais bien pour être exploré instantanément, dans une abréaction immédiate au sens, dans une circonvolution immédiate de pôles de la représentation. »[34]Nul ne peut importuner l'autre avec un geste brusque ou précipiter le contact physique. Il n'y aura pas de verres renversés ni de parfum trop intense. Tous ces codes de la séduction qui posent problème à certains individus sont inexistants sur le Net. Au tout premier abord de l'autre, cette absence de présence physique facilite de beaucoup le contact. « Je ne me sens pas dans l'obligation de continuer le contact si la fille ne me plaît plus. Dans la vie réelle je serais obligé de l'appeler, de le lui dire de vive voix », dit Guillaume. Par la suite, et dans l'éventualité d'une prise de rendez-vous, ces questionnements resurgiront, mais cela n'a que peu d'importance au niveau de l'échange virtuel. Les langues se délient donc plus facilement par écran interposés et les premiers rendez-vous virtuels se passent souvent mieux que dans la vie réelle comme en ont témoigné les hommes interrogés. « Comme je suis pas du tout dragueur, je préfère Internet. J'ai moins de mal à aborder les filles », avoue Damsret. Le premier rendez-vous reste cependant une barrière à franchir.
Dans son article Le moi, le soi et Internet[35], Francis Jauréguiberry fait remarquer la chose suivante: „L'identité virtuelle dont il sera ici question est au contraire celle qui, dans des forums de discussion ou des IRC[36] est censée refléter une identité réelle. L'individu manipule sa propre identité afin d'être réellement pris par ses interlocuteurs pour celui qu'il fantasme d'être. […] Une foule d'emprunts identitaires est brusquement possible. L'individu peut désormais „s'essayer“ à différentes formes de soi qu'il teste sur Internet avec l'intention d'expérimenter „l'effet que ça fait“. Cet ‘effet' n'existe que dans la mesure où le soi virtuel devient une identité reconnue par et dans des relations à autrui. Quand bien même cet autrui-là serait-il lui-même la projection d'un autre fantasme. “ Plus loin il écrira: « La règle dans un IRC (Internet Relay Chat) ou un forum n'est en effet pas le jeu mais la réalité, Il s'ensuit que, lorsqu'un « manipulateur de soi » décline une fausse identité dans un IRC, il ne joue pas un rôle comme sur un MUD (multi-user dungeon, jeu vidéo hébergé par un serveur) mais il ment. Il ment à la société pour être lui autrement. Car lorsqu'un échange s'établit sous la forme de réponses, de questions et de dialogues avec autrui, le soi virtuel cesse d'être pur avatar fantasmé pour se mettre à exister réellement aux yeux de ses correspondants. »
Le site de rencontre, phénomène sociétal significatif
Alain Ehrenberg explique l'origine même de ce genre de fuite dans une autre réalité. Tout au long de son travail de chercheur. Ses ouvrages portent pour la plupart sur le malaise sociétal que vit un grand nombre d'individus aujourd'hui. Ainsi l'auteur de L'individu incertain[37] et de La fatigue d'être soi[38] parle d'une « tension entre l'aspiration à n'être que soi-même et la difficulté de l'être. » Il s'agit là d'une « pathologie de l'estime de soi. » En effet, rares semblent être les profils entièrement affabulés sur Adopteunmec.com. Tous contiennent un semblant de vérité sans laquelle l'identité virtuelle serait démasquée rapidement et condamnée par la communauté virtuelle. Car si Adopteunmec.com a cet aspect ludique, il n'est pas pour autant un jeu. Bien trop de profils le montrent, comme celui de Virginie, 34 ans, à la recherche du grand amour et du prince charmant. Le phénomène du besoin de s'inventer une identité s'explique selon Jauguéberry de la manière suivante: « La construction de soi virtuel est sans doute, pour certains internautes, une façon d'échapper à la dépression » telle que décrite par Ehrenberg. « Elle vise alors à combler le vide qu'expérimente l'individu entre la conception surévaluée qu'il fait de lui-même (idéal du moi) et la perception de sa réelle condition (moi). Plutôt que de désespérer du fait de n'être « que lui-même », le branché va, à peu de frais, se construire un autre moi. »19
Le poids de l'environnement est très lourd de nos jours et le regard d'autrui pèse sur l'individu. L'ouvrage de Jean-François Amadieu Le poids des apparences décrit ce phénomène. « Le physique, l'apparence générale ou certains détails particuliers signalent une origine ou un statut social, et on les interprète immanquablement comme des signaux sociaux. Or le modèle dominant d'apparence est précisément celui qui nous semble beau. Nous établissons inconsciemment un lien entre la beauté et le rang social ou la réussite, comme si les gens de statut social élevé étaient beaux. »[39] Nous sommes donc constamment jugés pour ce que nous dégageons et ce que nous sommes physiquement. Tout individu est jugé selon des critères de beauté stricts, des normes universelles auxquelles tous se plient depuis les Grecs[40]. Nous constatons « que la compétition entre les individus s'est exacerbée et le règne du marché s'est étendu. » Il y a bien une « intensification de la compétition sur le plan social, économique, mais aussi sexuel. Il faut conquérir consommer, et conserver l'autre. »
De ce fait, Adopteunmec.com est un espace de liberté d'expression de soi qui invite certains à dépasser les limites: l'entrée dans la communauté du site est simple ; il n'y a aucune sélection préalable comme c'est le cas sur BeautifulPeople. Tout un chacun peut y créer un profil et consulter l'ensemble des annonces sans restriction, hormis celle des horaires pour les hommes n'ayant pas de compte payant. Nous avons vu que le niveau de langue variait beaucoup et que les profils étaient tous aussi divers. L'ensemble du site tend à encourager l'individu à exprimer ce qu'il est, ce qu'il recherche et éprouve, et en même à réfléchir sur ce qu'il aimerait être et dégager. Dans son travail de recherche, Catherine Lejealle Enseignant-chercheur à l'ENST Paris Tech, note : « Chaque acteur organise sa mise en scène (Goffman, 1975, 1973), se bâtit sa propre stratégie de dévoilement progressif, laissant une place à l'imaginaire, aux fantasmes mais aussi à l'idéalisation.»[41] L'intimité du site dû à un appel très net à l'exhibitionnisme renforce encore le besoin de se confier ouvertement. Jean-Claude Kaufmann l'explicite dans Sex@mour: « Le monde à côté entraine dans un univers parallèle complètement différents, qui a ses propres règles. Tout ce qui, dans la vie habituelle, arrime les identités à des pesanteurs sécurisantes mais enfermantes est soudainement levé. L'individu devient plus libre qu'il n'a jamais été, plus autonome, égal à tous les autres. Quelle que soit sa classe sociale, sa religion ou son sexe. Plus d'interdits ni de tabous sur la Toile (ou beaucoup moins) et un refus proclamé des stéréotypes. Le monde « à côté » se déclare ouvert et libre, sans préjugés. Les femmes en particulier sont invitées à y affirmer leurs désirs comme le font les hommes. »[42]
Le jeu avec le « je » et les autres
a. La tentation d'un autre moi
En se construisant un profil idéalisé, rêvé, « pendant quelques instants, l'individu est reconnu sur Internet pour ce qu'il voudrait être mais qu'il sait ne pas être. »[43] Il y a l'idée d'une satisfaction identitaire via la réalisation d'une identité construite de toute part. La question est de savoir jusqu'à quel point cette satisfaction peut tenir, car le sujet concerné est toujours conscient qu'il joue un rôle. Il y a bien des réactions positives au profil établi mais peut-on réellement être satisfait par des compliments sachant que le profil ne reflète pas la réalité? La satisfaction est d'autant plus fugace que l'enjolivement de soi entraîne un rapport instrumental avec ses interlocuteurs. L'identité revêtue peut vite devenir un carcan dont on ne sait plus se libérer car si l'on se prend trop au jeu, il est difficile, voire impossible, de faire marche arrière. Ceci a bien souvent pour conséquence une fin des rapports virtuels : l'individu manipulateur refusera toute éventualité d'une rencontre réelle.
Comme le précise Cindy Grant, bloggeuse américaine: une des complications de « l'Internet Dating » consiste à voir cette pratique comme une fuite. Internet peut devenir un monde fantastique et irréel. « En ligne, nous sommes ce que nous prétendons être, ne serait-ce que pour quelques heures. Cette fuite de la réalité rend la rencontre en ligne plus compliquée. »[44]
Le glissement vers une identité polymorphe
La différence entre identité réelle et numérique
D'après Jean-Paul Mugnier[45] nous avons de plus en plus à faire à une identité dite virtuelle qui s'oppose à l'identité que nous nous sommes construites au cours de notre vie réelle. Parmi les personnes interrogées dans le cadre de mes entretiens, la plupart avouent avoue avoir plus ou moins modifié la réalité dans le but de plaire plus aux autres, dans le cas d'adopte, aux femmes. Dans son travail de recherche pour l'Université de Pau, intitulé Hypermodernité et manipulation de soi[46], Francis Jauréguiberry explique le rapport ambigu entre le moi et autrui : « Dans sa recherche de satisfaction identitaire, l'individu manipulateur de soi maintient un rapport très instrumental avec ses interlocuteurs. Ceux-ci sont surtout là pour lui certifier son existence ou, plus exactement, pour faire basculer son soi virtuel dans la réalité. Autrui n'est finalement recherché qu'en ce qu'il atteste, conforte et flatte le soi virtuel de l'internaute. Autrui est un agent de satisfaction avant d'être une personne considérée dans son autonomie et son originalité.»
En effet, si le but d'Adopteunmec.com reste la rencontre d'une personne du sexe opposé, l'aspect ludique des points dits de popularité renforce l'idée que l'autre n'est d'abord qu'un agent de satisfaction. Parmi les personnes interrogées, deux hommes ont clairement affirmé s'être inscrit sur Adopteunmec.com pour faire une compétition entre amis. Lors de ma rencontre avec Guillaume, 24 ans, ingénieur en bâtiment, la première chose qu'il tient à préciser est qu'il est inscrit parce qu'il veut gagner plus de points que son meilleur ami. « Je n'ai pas besoin d'un tel site pour faire des rencontres. Mais il est vrai que de voir tous les jours ma cote de popularité augmenter fait du bien à mon ego. A vrai dire, les mails que je reçois ne m'intéressent pas vraiment. Si j'en ai rencontré une ou deux, c'était par pure curiosité. Autant profiter du fait qu'on ait un profil.» L'attitude de Guillaume se retrouve tout au long de mes recherches sur le site où beaucoup d'hommes sont à la chasse aux points de popularité, cumulant les «conquêtes virtuelles. L'hypothèse que nombreux sont ceux qui se créent un profil par vanité et besoin de reconnaissance et non pour faire une rencontre réelle semble partiellement se confirmer. Alexis, 25 ans, étudiant en kinésithérapie, affirme à maintes reprises ne pas chercher de rencontres réelles. Il dit avoir posté des photos de lui entièrement nu pour voir après combien de temps adopte censurerait les photos. « C'était juste un jeu, je voulais provoquer, pas faire de vraies rencontres. Mais bien sûr, j'ai apprécié les commentaires positifs de ces demoiselles. J'en ai finalement rencontré une. C'était une belle histoire sans lendemain. » Alexis comme Guillaume n'a pas pu résister à la tentative de faire une rencontre réelle. Pastinelli confirme cette idée: « Il faut qu'une rencontre de visu soit possible, sans quoi les internautes trouvent peu d'intérêt à s'investir dans l'interaction », car « les interactions sur IRC ne sont pas une fin en elles-mêmes: elles ne sont qu'un moyen utilisé pour parvenir à une sociabilité dite virtuelle, par opposition à la sociabilité virtuelle qui demeure confinée au non-espace qu'est l'IRC. » [47]
On note qu'il y a bien une opposition entre monde réel où règnent des normes et des règles définies au cours des siècles de vie en société, et monde virtuel où tout semble plus simple, plus ouvert. Jean-Claude Kaufman, dans son ouvrage Sex@mour insiste sur cette différence entre le quotidien et ce qu'il appelle le « monde à côté ». Ainsi le sociologue écrira : « Ce qui se passe sur la Toile est l'invention d'un monde à côté, où les règles du jeu sont totalement différentes. Un monde pas aussi virtuel qu'il est dit trop souvent, mais fluide, parce que libéré des contraintes qui attachent à des territoires, des groupes, des conventions ancrées. Les femmes peuvent enfin y devenir des hommes comme les autres, décidant de leur morale sans être assujetties à des stéréotypes. »[48] Dans la même lignée, la chercheuse américaine Sherry Turkle préfère opposer le virtuel au « reste de la vie » comme elle tient à le préciser dans son ouvrage intitulé Life on the Screen. Il y a bien une distinction qui engendre par là même ce processus de modification de l'identité. Ceci ne signifie pas pour autant que notre personnalité change entièrement. « Une des choses qui se passe dans la vie en-ligne, c'est que les gens se trouvent en train de jouer des rôles différents, adoptant diverses personnalités dans les lieux différents du Net. »[49]
Virtuel et réel : un effacement des frontières
L'écran qui nous sépare d'autrui donne cette impression de liberté d'action et de permis d'aller plus loin dans ce que nous sommes et que l'on pourrait le faire dans la réalité de l'échange. Nous ne sommes jamais confrontés directement à un regard et donc au danger d'être observé et jugé.
Ainsi, l'absence d'immédiateté permet de se construire tel que l'on est au plus profond de soi ou encore voudrait être perçu par l'autre. Le risque de ne pas être accepté tel que l'on se présente est par là-même moins douloureux, car il n'exige aucune confrontation directe, aucun refus oral. Jean-Claude Kaufmann ira plus loin dans sa description de la liberté identitaire du Net : « L'internet est un monde à côté qui se déploie de façon parallèle aux territoires de socialisation ancrée. Les liens sont continuels. Nombreux et complexes entre les deux univers. Plus ce monde à part est séparé, plus il offre la possibilité de se dégager des stéréotypes. Voire de devenir une sorte de base pour changer l'ensemble des comportements. » C'est très clairement le cas des femmes sur Adopteunmec.com. Ce dernier encourage les femmes à exprimer leurs désirs. Aucun discours sur le « prince charmant » n'est tenu. Les femmes mettent les hommes qu'elles apprécient dans un panier comme une proie, un objet. Le fait que le premier pas soit laissé aux femmes montre bien la capacité du Net à lever le voile sur certains tabous et certaines contraintes sociales. Selon leurs envies, les femmes décident de rechercher un « CDD », « CDI », ou encore une « amitié-câline », le site jouant volontairement sur le champ lexical du monde du travail, brouillant ainsi les imaginaires.
Tandis que dans le monde réel, ce « reste de la vie », la liberté d'action est plus restreinte au quotidien encadré par des responsabilités et des contraintes spatio-temporelles, ici les désirs sont plus facilement explicités. D'ailleurs, Jean-Claude Kaufmann explicite le paradoxe de ce genre de sites de rencontres au sens large : « Sur les sites de rencontre, la confusion est très fréquente dans les esprits : est-on en train de rechercher l'âme sœur ou cherche-t-ton à passer un bon moment ? »[50] En effet, sous l'aspect ludique et libertin, il existe bel et bien des gens à la recherche d'une réelle histoire d'amour. C'est notamment le cas d'Ikarus, cadre âgé de 32 ans. Tout au long de l'entretien transparait l'envie de rencontrer l'âme sœur, de construire une relation sérieuse. Pourtant, il dit être souvent déçu par les femmes contactées. Certaines ne répondent pas du tout, d'autres écrivent deux lignes, ou répondent deux semaines plus tard. Selon lui ce n'est pas l'idée du site qui lui plutôt semble prôner rapidité et efficacité (il y a un chat pour faciliter et intensifier l'échange). De plus, certains profils semblent enjolivés et présenter une certaine différence entre réalité monde virtuel. Le sondage fait auprès de 17 individus choisis pour leur correspondance à la cible (24-35, jeunes cadres dynamiques, appartenant à la catégorie CSP+) souligne cette tendance, car certains se rendent bien vite compte que le profil est honnête ou non. Pour cela il suffit d'une rencontre. Parmi les femmes rencontrées, Ikarus note un certain enjolivement de la masse corporelle et se dit déçu par cette démarche. Jean-Claude Kaufmann expliquera le besoin de se travestir de la manière suivante : « On peut se demander si Internet n'offre précisément pas cet espace rassurant à l'individu manipulateur de soi. Protégé par l'écran et l'anonymat, il est en effet en situation de se laisser aller à la tranquillité, à l'illusion de sa toute puissance. » Cependant, il tient à nuancer ce point de vue : « Les études montrent que si les légers mensonges et autres maquillages sont fréquents sur le Net […] les grosses tromperies sont par contre assez rares (et sont le fait surtout de prédateurs sans scrupules) […] « les petits arrangements avec la réalité restent modestes ou marginaux. Chacun ressent que tricher davantage serait sanctionné tôt ou tard. » C'est tout du moins ce que tend à démontrer une étude faite en 2001 par des chercheurs canadiens[51].
De ce fait, les pratiques identitaires adoptées sur le site de rencontre tendent à prouver un certain effacement des frontières entre la vie que nous menons tous les jours et celle que nous vivons sur le Net. Adopteunmec.com invite ses membres à se mettre en avant par la création d'un profil. La plupart des inscrits y sont pour faire des rencontres réelles, ce qui nécessite une certaine forme d'honnêteté. L'identité numérique que l'on déploie sur le site n'est donc semble-t-il pas si éloignée de l'identité réelle. Elle est plutôt une partie du tout, une facette de cette dernière, plutôt qu'une entité à part entière, gravitant autour d'elle sans pour autant la remplacer. Les deux se complètent dans la mesure où l'identité numérique est dépendante de notre identité réelle, car c'est sur celle-ci que repose la construction du moi numérique. Aucun profil analysé n'était inventé de toute part. Les quelques modifications, omissions et enjolivements, tendent à prouver que l'identité numérique permet d'arrondir les angles de notre for intérieur. Il n'y a pas de modifications rédhibitoires, car l'idée essentielle du site de rencontre reste bien la rencontre (et par rencontre nous entendons bien la rencontre physique de deux êtres humains).
Des « identités multiples » pour un monde en mouvement : un nouveau terrain d'expérimentation
Si la conséquence de cette fuite dans un monde virtuel est liée à un malaise sociétal, le choix de s'inscrire sur un site tel qu'adopteunmec.com indique un processus de complémentarité et non de substitution. Le profil sur adopteunmec.com apparaît comme une prolongation de ce que l'on est ou croit être, une carte d'identité personnalisée en quelque sorte.
Le site de rencontre a pour but premier la rencontre d'individus à la recherche d'une relation amoureuse. Pourtant, avant de provoquer la rencontre avec l'autre, l'individu rentre une réflexion intérieure. Sur un Internet, la notion d'identité est véritablement flouée par la malléabilité du terrain. En mouvance constate, l'identité devient elle-même flexible et adaptable. Il ne s'agit pas là d'une schizophrénie ou autre maladie mentale mais bien de la réalité de l'interface virtuelle telle qu'elle se présente à nous aujourd'hui. La réalité d'Internet oblige l'individu à trouver sa place face à autrui et lui-même. De ce fait, il se rend compte de l'absence d'unicité du virtuel. Cela peut, au premier abord, être effrayant pour l'individu. Cependant, cette multiplicité des aspects d'Internet permet à ce dernier de s'essayer à ladite multiplicité en expérimentant sa propre identité.
Conclusion: Adopteunmec.com - vers une nouvelle sociabilité ?
L'analyse des hypothèses a permis de mettre en lumière le phénomène du site de rencontre à travers l'exemple d'adopteunmec.com dont le fonctionnement diverge de ses concurrents par le choix d'un univers surprenant et inattendu. Si le site de rencontre en général attire tant l'attention des sociologues, cela s'explique par la modernité et la nouveauté du sujet. Les sites de rencontre sont apparus il y a une dizaine d'années mais n'ont obtenu leur acceptation sociale qu'il y a quelques années, avec la montée en puissance de sites comme Meetic.
L'arrivée d'adopteunmec.com a changé la donne dans la mesure où le site joue avec les codes de la mise en page, se démarquant volontairement de ses concurrents par une ergonomie atypique. L'hypothèse que nous avions élaborée présupposait que l'ergonomie du site véhiculait une identité hors du commun mais inefficace. L'analyse en profondeur a ainsi démontré que la mise en page du site, toujours en version bêta, présentait des incohérences assez frappantes. En effet, le code couleur tente d'interpeller une cible plus vaste, tentant d'allier des couleurs fortes telles que le rose et le noir. Le site tente de créer un univers de la séduction au féminin (priorité aux femmes), en instaurant une ambiance du boudoir et de la sensualité. Pour ne pas féminiser trop l'univers du site, des éléments masculins y sont introduits sans pour autant réussir à impose l'aspect viril du site. Bien au contraire, les hommes interrogés n'apprécient pas la mise ne page du site et s'y sentent parfois mal à l'aise.
Alors que le site se veut particulièrement ouvert d'esprit (le supermarché des femmes), des stéréotypes y sont renforcés. Les icônes des WC renvoient aux différences des sexes d'avant mai 1968 – la femme porte une jupe et incarne la sensualité tandis que l'homme porte un pantalon et paie la facture. De ce fait, le détournement humoristique n'atteint pas réellement son but, car trop de femmes se sentent offensées par la reprise de clichés qu'elles pensaient surmontés. A l'inverse les hommes se plaignent d'un inversement des rôles trop violant. L'objectivisation de l'homme leur paraît trop extrême et l'inégalité des deux sexes crée un fossé au lieu de les unir. Que l'homme soi obligé de payer que la femme s'y inscrit gratuitement paraît d'autant plus incroyable qu'adoptunmec.com tente de libérer les mœurs, permettant enfin aux femmes de décider des rencontres qu'elles feront via le Net. Là encore, le fonctionnement du site se contredit puisque ce sont encore les hommes qui doivent payer un abonnement.
Nous constatons par ailleurs que tout l'intérêt du site repose sur le jeu de l'adoption qui ne semble pas particulièrement convaincant, connaissant la réelle définition du mot adoption. Les membres du site trouvent le message véhiculé par le nom du site et les règles du jeu (adopter pour montrer son intérêt pour un homme) plutôt douteux et de mauvais goût, bien qu'ils se laissent prendre au jeu. D'un point du vue sémiologique, le choix de l'adoption comme moyen de séduction laisse planer le doute sur l'intention des créateurs du site. Aucune interview avec ces derniers ne donne une explication au choix du nom.
Concernant la seconde hypothèse, nous avons pu constater que l'alliance de deux univers antithétiques que sont l'amour et le commerce semble fonctionner jusqu'à un certain point seulement. Dans notre société de consommation, les individus ne peuvent concevoir atteindre les limites du consumérisme. Tout doit aujourd'hui pouvoir se consommer dans un espace spatio-temporel défini par le consommateur lui-même. Adopteunmec.com a réussi à intégrer l'e-commerce dans sa stratégie de marketing : sur le site, il semble possible « d'acheter » l'amour. Inutile de préciser qu'il s'agit là d'une simple métaphore filée tout au long de l'utilisation du site. Il n'empêche qu'elle attire un grand nombre de personnes qui se laisse happer par l'illusion de cet amour version 2.0 qui amènerait certains au désenchantement. Car il apparaît rapidement que la mise en scène de soi à travers la participation au jeu, cette promotion de soi dans un monde virtuel n'amène pas forcément le succès espéré. La limite de l'alliance des deux mondes est alors atteinte, puisque le désenchantement tel qu'il prend place dans l'utilisation du site ramène l'individu au monde réel. Ce n'est donc pas surprenant d'apprendre que la plupart des sujets interrogés ont quitté le site avant la fin de la rédaction de ce travail de recherche. A leur où est écrit cette conclusion Ikarus a un rendez-vous galant avec une femme rencontrée non pas sur le site mais dans un bar parisien et Alexis, Rouf75 et d'autres encore ont désactivé leur compte pour chercher l'amour dans le monde réel. Nous retrouvons dans cette décision toute l'impatience de notre société moderne. Nous consommons des biens à durée de vie limitée. La date de péremption est vite atteinte. Si le site n'apporte pas de satisfaction dans un temps donnée assez court, lui aussi est relégué aux oubliettes pour faire place à d'autres plateformes (Damsret s'est inscrit sur un nouveau site nommé Tiilt, délaissant complètement son profil adopteunmec.com) et d'autres modes de fonctionnement.
Pour en venir à la dernière hypothèse, celle-ci a permis d'avoir une vision plus claire du rapport identitaire que nous pouvons entretenir lorsque nous fréquentons des sites de rencontre. En effet, on aurait pu croire à une véritable identité virtuelle, connaissant le gouffre qui a longtemps existé entre le monde réel et Internet. Mais les individus qui se travestissent sont assez rares sur ces sites. Les imposteurs ne vont pas très loin sur un site de rencontre, car le mode virtuel reste ancré dans une possibilité de rencontre réelle. Le monde virtuel ne peut se passer du monde réel dans lequel est censé aboutir la rencontre virtuelle première. C'est en quelque sorte le principe des vases communicants. Nous constatons un effacement des frontières entre ces eux mondes, plutôt que la création d'une identité numérique à part entière. Si l'individu s'essaye à différentes personnalités, celles-ci font toutes parties intégrantes de son identité. Le monde virtuel est donc ce lieu expérimental où l'individu cherche à se connaître et à se définir par rapport aux autres. Il peut se présenter sous divers angles sans pour autant dénaturer sa personnalité. L'individu, dans l'exploitation de son ego peut ainsi s'essayer à diverses personnalités que recèle son identité, sans qu'il se travestisse pour autant.
Le travestissement de la personnalité a ceci de complexe qu'elle rend la rencontre physique de deux individus impossible ou du moins condamnée d'avance. Il y a en quelque sorte une éthique sous-jacente à l'utilisation d'un site de rencontre. De ce fait, rares sont les membres du site qui abusent de la confiance des autres pour se mettre en scène avec de faux attraits. Le glissement identitaire n'a donc pas lieu comme l'on pourrait l'imaginer. Cependant, nous notons qu'il existe bien un glissement mais qui se fera au niveau du passage du virtuel au réel et vice-versa. Ce mouvement fluide symbolise l'effacement de la séparation stricte entre virtuel réel. Aujourd'hui, l'individu a gagné l'aptitude à passer d'un univers à l'autre, adaptant son identité aux modes de fonctionnements différents que demandent ces derniers. Les codes d'utilisation, les normes et les fonctionnalités du Net (la netiquette) exigent une autre démarche de mise en scène de soi que dans notre vie au quotidien. Pour dire ce que nous sommes, nous devons recourir à d'autres moyens d'expressions et de communication.
La pratique du site de rencontre n'est donc désormais plus un tabou comme il l'était il y encore cinq ans. Bien au contraire, avoir un profil sur adopteunmec.com est devenu un accessoire de mode, une tendance dont on parle ouvertement, sans crainte du jugement des autres. Chercher l'amour sur Internet ne signifie plus être solitaire et désespéré. C'est plutôt devenu un signe de dynamisme et d'action que de vouloir prendre son destin amoureux dans les mains. Le site de rencontre étant devenu un phénomène de masse, il a un impact fort sur le rapport interpersonnel des individus modernes. Zygmunt Bauman parlait de société et d'amour liquides, tandis que nous parlerons plus généralement d'une malléabilité du lien social contemporain. Celui-ci s'adapta aux différentes formes lieu de rencontre des individus sociabilisés, prenant ainsi en compte leur déplacement sur des plateformes virtuelles dont le but reste, en ce qui concerne les dating websites, la rencontre réelle.
ANNEXES d'adopteunmec.com
Exemples de présentation de soi
Annonce n°1 - Alexis (version humoristique)
« Aujourd'hui mesdemoiselles, aujourd'hui nous vous proposons un produit étonnant! Attentif, charmant et délicat, c'est l'objet idéal pour vos moments câlins et vos envies de compagnie. Sérieux, sociable et discret vous pouvez l'emmener partout sans qu'il vous dérange. Breveté à la fabrication, il est garanti pour une utilisation soutenue par tous les temps. Enfin il est livré avec toutes les options et customisable à souhait.
Maintenant me diriez-vous, quel est son prix? Je ne vous cache pas qu'une marchandise comme celle-ci n'est pas gratuite et bien sûr réservé à une clientèle d'exception. Je vous le cède, si vous êtes en mesure de lui fournir une triple dose de câlins et de tendresse à chaque utilisation. Rappelez-vous qu'un Alexis bien utilisé est un Alexis heureux.
La livraison s'effectuera par roller au domicile de votre choix, dans les plus brefs délais et après validation de votre dossier. Bon franchement très bonne blague que ce site. Les femmes ont fini par prendre le pouvoir sur les relations sentimentales et ceci n'est que la représentation de leur nouvel ascendant. Enfin s'il faut désormais attendre une permission pour vous adresser la parole, prenez le risque mesdemoiselles de me contacter pour voir si le "produit" vaut la réclame qu'on en a faite.
Annonce n°2 Alexis (version classique)
Simple, sportif, équilibré et curieux je multiplie les expériences de la vie et les voyages. Si vous êtes tombée sur mon profil par hasard alors c'est peut-être le destin qui nous fait un clin d'œil. Sinon c'est juste moi qui cherche à forcer légèrement ce destin ;)
J'ai dû être attiré par votre page et essayer d'en savoir plus. Ne prenez pas peur et acceptez que je me présente. Je ne payerai jamais d'abonnement pour vous rencontrer mesdemoiselles. Donc ne me cherchez pas entre 18h et 1 heure du matin, je ne serais pas là. Laissez-moi un message plutôt et j'essaierais de vous découvrir sur MSN.
Mes seules photos valables sont malheureusement censurées par "Adopteunmec.com" Désolé pour vos yeux, je me rattraperais... Ma femme idéale est ouverte sur les autres, prête à des expériences sans cesse renouvelées et n'a pas peur d'être surprise. Ma femme parfaite est émerveillé par la vie, sa beauté et cherche à en profiter.
Je cherche une femme, une amante et une amie.
La popularité selon adopteunmec.com
OK Cupid – les sujets qui cartonnent sur les sites de rencontre
Statistiques de consultation des plus grands sites de rencontre
Courbe de popularité des grands sites de rencontres français en 2009
Les différents types de photos de profil
La séduction d'après le blogueur Guillaume Natas, auteur d'AdopteUnConnard.com
[1] Pour une explication plus détaillée, voici le lien qui amène à la définition complète du mot « ergonomie ». http://www.dsi.cnrs.fr/methodes/ergonomie/definition.htm
[2] Meetic, un des plus grands sites de rencontre en date. Créé en 2001 par Marc Simoncini, il est aujourd'hui un des leaders du marché de la rencontre en ligne avec plus de 28 millions d'inscrits en Europe. A ce jour, match.com, leader américain est en négociation pour racheter le Meetic.
[3] Les membres du site se notent entre eux, selon des critères assez basiques : physiques, personnalité et sympathie. Par ailleurs, chaque mail ou visite de profil rapport au membre un nombre de point défini, alaltn de 5 points à 50.
[4] Le lecteur est vivement convié à visiter la première page d'adopteunmec.com qui confirmera cette impression de collage.
[5] Bouteiller, J., 14 décembre 2009, « Florent Steiner : « Nous sommes devenus le plus grand site de rencontres », .
[6] Le charme consiste à envoyer un clin d'œil virtuel à une femme pour lui demander l'autorisation de lui écrire ou de chatter avec elle. La femme peut refuser ou autoriser un charme. Dans le cas d'un refus, l'homme ne pourra pas la contacter d'avantage. Les charmes sont limités à 5 par jour et un par femme piur éviter les débordements.
[7] Wade, L. (2010), “Go Where? Sex, Gender, and Toilets”, Sociological Images, College of Liberal Arts, University of Minnesota
[8] Le nombre d'adoption est affiche en temps réel sur le haut de la page d'accueil. Le nom des membres féminins ayant adopté un membre masculin y est affiché en direct pour encourager les autres membres à agir.
[9] Casilli A. (2010), Les liaisons numériques : Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Editions du Seuil, p.286
[10] Speranza, Juliette, „Oser… Adopter un mec!“, (17 mars 2009), .
[11] Le blog „Ladies Room“ vaut le détour, car il détecte les failles d'adopteunmec.com et livre un témoignage comique et critique du site de rencontre á travers le récit d'une jeune femme :
[12] Les entretiens se faisaient sous formes de discussions fluides: tous les propos n'ont pas pu être retenus. Les citations qui sont faites ici ont été notées lors ces entretiens et relu par les membres interrogés. Un questionnaire récapitulatif a été rajouté en annexe à la fin du mémoire.
[13] Kaufmann, J.C., Sex@mour, p. 121.
[14] Jeuxvideos.com:
[15] Sur le site Haut Courant, des entretiens avec des jeunes femmes ont été publiés, les interrogeant sur leur choix d'adopteunmec.com. < http://www.hautcourant.com/Adopte-un-mec-com-le-concept-de-l,412>
[16] Kaufmann, J.-C., Sex@mour, (2010), Paris, Armand Colin, p. 13
[17] Bauman, Z., L'amour liquide, Editions Pluriel, Paris, 2010.
[18] Il est encore trop tôt pour pouvoir faire une étude sur les critères de sélections des partenaires via adopteunmec.com, mais dans un futur proche il serait intéressant d'analyser les critères sélectionnés par les membres inscrits.
[19] « Le zapping aura-t-il la peau de notre civilisation », débat tenu à l'Hôtel de Ville de Lyon, le 17 sept. 2009
[20] Amadieu, J.-F., op. cit., p. 23
[21] Yonnet, P. (1985), Jeux, modes et masses: la société française et le moderne, 1945-1985, Gallimard, Paris.
[22] Ikarus fait référence au mythe d'Icare. L'emploi de la lettre « k » fait référence aux origines allemandes de l'internaute.
[23] Crisa, L., Rue89, « Beautifulpeople, un site de rencontres interdit aux moches » (30/11/2009)
[24] Kaufmann, J.-C. (2010), Sex@mour, Paris, Armand Colin.
[25] Kaufmann, J.-C., Sex@mour, op. cit. p. 160-161
[26] Kaufmann, J.-C., Sex@mour, op. cit. p. 161
[27] « Le blog d'un mec adopté» (2011), < http://blog-unmecadopte.com/adopteunmec/>
[28] Traduction : « Ce qu'il faut absolument dire dans un message »
[29] Traduction : « Evoquer des sujets en particulier »
[30] Natas, G., « Adopte une conne » (2011),
[31] Bauman, Z., L'amour liquide, Editions Pluriel, Paris, 2003, p. 83.
[32] Hong Wang and Xin-An Lu, Cyberdating: Misinformation and (Dis)trust in Online Interaction , Shippensburg University of Pennsylvania, 2007.
[33] „Chacun cherche sa cyber-rencontre“, Lemonde.fr, 2006.
[34] Baudrillard, J., Le Xerox et l'infini, Paris, 1987.
[35]Jauréguiberry, F., Le moi, le soi et Internet / Revue : Sociologie et sociétés, Volume 32, numéro 2, automne 2000, p. 136-152, URL: http://id.erudit.org/iderudit/001364ar
[36] IRC: Internet relay chat, une discussion en ligne uniquement basée sur de l'écrit.
[37]Ehrenberg, A. (1995), L'individu incertain, Paris, Calmann-Lévy
[38]Ehrenberg, A. (1998), La fatigue d'être soi, Paris, Odile Jacob
[39] Amadieu, J.-F., (2002), Le poids des apparences, Odile Jacob, Paris.
[40] D'après Aristote la beauté résulte de proportions harmonieuses et de traits réguliers.
[41]Lejealle, C.,«La construction et la gestion de l'identité numérique dans la rencontre amoureuse en ligne», Paris.
[42] Kaufmann, J.-C., Sex@mour, op. cit. p.153
[43][43]Jauréguiberry, F., Le moi, le soi et Internet / Revue : Sociologie et sociétés, Volume 32, numéro 2, automne 2000, p. 136-152, URL: http://id.erudit.org/iderudit/001364ar
[44] Grant, Cindy, «Cyber Love: What is real and what is virtual?», extrait de http://www.creativehat.com/cyber_love.htm
[45] Mugnier, J.-P., L'identité virtuelle : jeu de l'offre et de la demande dans le champ social, Paris ESF, 1993
[46] Jauréguiberry, F., « Hypermodernité et manipulation de soi », paru dans L'individu hypermoderne (éd. Nicole Auber), Toulouse, Érès, 2004, pp. 155-168
[47] Pastinelli, M. (1999), « Ethnographie d'une délocalisation virtuelle : le rapport à l'espace des internautes dans les canaux de chat », Terminal, n°79, p. 41-60.
[48] Kaufmann, J.-C., (2010), Sex@mour, Paris, Armand Colin, p. 105ff.
[49] Turkle, S., Life on the Screen, Simon & Schuster, 1997.
[50] Kaufmann, J.-C., op. cit, p. 147.
[51] R.J. Brym, R.L. Lenton, (2001) "Love online: a report on digital dating in Canada", p.45
Remarquable production. Mérite bien 5 étoiles ou plutôt 5 charmes si l’on adopte le code idoine.
· Il y a presque 10 ans ·J’ai en plus trouvé une explication au fait que la France a la natalité le plus forte en Europe : adopter c’est faire des rejetons (de caddie) :)
erge
Hello Bogosse 22, hélas ce n'est pas moi mais le pseudo est bien trouvé.
· Il y a plus de 10 ans ·Anissa Filali
Bonjour, mon pseudo est "Bogosse 22", vous ne seriez pas des fois "Théseuse Etoilée"? (Il m'a semblé reconnaître votre style)
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle