Mes Buttes Chaumont
pierre
Mes Buttes Chaumont
La main dans la poche, Stéphane vérifie que la boîte y est toujours. « Toujours », ce mot résonne en lui, puisque c’est pour toujours qu’il va se risquer dans quelques minutes. Il est des moments où l’on dépose son destin entre les mains d’un autre. D’une autre. La main d’Emma. Et dans sa main, bientôt, cette boîte.
Il remonte doucement la rue Petit ; sa rue depuis tout petit, au N°12, au 6e étage, à deux pas des Buttes Chaumont, à deux pas du grand saut aujourd’hui. Le souffle est court, les idées folles. L’avenir de Stéphane est dans cette boîte, son cœur aussi, ses pensées, ses tripes, sa vie. Au coin de la rue, son destin. Ne plus réfléchir, ne pas fléchir, se lancer, même si c’est un peu tôt, même si c’est un peu trop, pour Stéphane c’est maintenant.
La main dans la poche, Greg manipule la clef. La clef de la boite que Stéphane vient d’oublier. Alors Greg court, le souffle court, à grandes foulées, les idées folles. Il lui faut rejoindre Stéphane avant l’irréparable.
Stéphane, le tendre, le naïf, le romantique, le rêveur. Greg son meilleur ami, son meilleur ennemi, traitre malgré lui. Sa décision est prise, rattraper la situation, rattraper Stéphane. Au coin de la rue, il l’aperçoit. Ne plus réfléchir, ne pas fléchir, se lancer, même s’il est un peu loin, même s’il est trop lent, pour Greg c’est maintenant.
La main dans la poche, Emma hésite à sortir son mobile. Ce serait si simple d’appeler Stéphane et d’annuler. Pour quel mobile ? Stéphane sait-il l’inavouable ? Est-elle prise la main dans le sac ? Alors, immobile, elle attend, le souffle court, les idées folles, que l’audience commence entre eux.
Elle choisit d’appeler Mélodie, son amie serveuse, toujours heureuse, toujours amoureuse, jamais du même, jamais de problème. Elle saura la conseiller, la consoler. Ne plus réfléchir, ne pas fléchir, même s’il est un peu tard, même s’il est trop tard, pour Emma c’est maintenant.
***
Les Buttes-Chaumont, mon parc miroir. L’herbe est verte, le lac est vert, la roche est grise, le ciel est gris. Ici, tout est reflets. Sur l’arche du pont passent les piétons, sous les porches des restaurants aussi. Sur Pan, les passants jettent un regard fuyant, Marat, quant à lui a fuit depuis longtemps. Je suis assis sur le banc, face à la terrasse du café, et j’observe le manège incessant des passants. Les enfants en poussette croisent les vieillards en chaise. Stéphane passe haletant, puis Greg, en courant. Les vies se reflètent, les histoires comme l’histoire. Les pierres des immeubles qui s’élèvent alentour viennent des carrières creusées sous mes pieds. Le kiosque Art Nouveau se mire dans l’eau, le reflet ondoyant de ses colonnes imagine un art nouveau. Les tours parisiennes s’élèvent comme autant de belvédères. Ici, tout est miroir. Ma butte, jardin de vies au cœur de ma ville.
***
Le regard de Stéphane parcourt la terrasse. A la recherche des yeux bleus d’Emma, de ses cheveux blonds chahutés par le vent, de ses mains délicates, de ses épaules graciles. A la recherche de son sourire surtout, accueillant, apaisant, qui lui donnerait tous les courages. Là. Emma est là, mais son sourire n’y est pas.
Le regard d’Emma trahit sa peur. En croisant celui de Stéphane, elle a tout de suite compris. Le pli inquiet au milieu du front, le coin des paupières tremblotant, les pupilles dilatées par l’adrénaline, et son sourire surtout, pressant, espérant, qui cherche le courage. Lasse. Emma est lasse, et son sourire ne vient pas.
Le regard de Greg est perçant. Un regard pour trouver Stéphane et peut-être perdre Emma. Son Emma, son secret depuis quelques mois. Il se souvient de ses paupières closes de plaisir, ses cheveux chahutés sur l’oreiller, ses mains délicates caressant son dos, ses épaules frémissant sous les baisers. Tout cela va disparaître. Là-bas, car Stéphane s’approche d’Emma et de sa poche sort la boîte.
***
La boîte, Emma la découvre presque avec soulagement, ce n’est pas un écrin, ce n’est donc pas une demande. Pour l’ouvrir il faut une clef. Là, le visage de Stéphane se décompose, là, le visage de Greg apparaît et dans sa main, la clef.
La clef tourne dans la serrure, remonte le mécanisme et le coffret s’ouvre dévoilant sa mélodie. La Marche Nuptiale s’envole devant le regard pétrifié de Stéphane, le regard stupéfait d’Emma, le regard mortifié de Greg.
Emma pleure devant ses deux amants. Larmes de joie ? Larmes de tristesse ? L’arme dans le dos de Stéphane qui apprend, maintenant, à ses dépends, l’existence des deux amants.
Les mains ouvertes d’Emma rejoignent celles de Greg. Il est la clef de cette histoire. Les mains serrées dans les poches, Stéphane dévale la pente, s’évade en transe, vers une rencontre inattendue.
***
Fuyant la mélodie nuptiale de la boîte, le couple quitte le parc pour rejoindre Mélodie, serveuse en boîte de nuit. Au pied de la butte, ils voient un attroupement, un accident, Stéphane renversé ; buté par un pare-choc, il part les pieds devant, dans une boîte. Aux Buttes-Chaumont, un homme est passé de l’autre côté du miroir.