Mes petits secrets 6

laurencemarino

Chut….silence….

D'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été là. Pourtant faut dire que ma mémoire est une vraie passoire. Elle a laissé filer les premières années de ma vie. Lui, il est resté et pas que dans ma tête. Suffisamment robuste pour échapper aux affres de l'histoire. Enfin de la mienne histoire.

Si je voulais embellir le récit, je dirais que c'est ma mère qui me l'avait offert.  Peut être que c'est elle ou bien un oncle à Noel. Ou encore mon père ou mes grands-parents. Personne ne sait me dire aujourd'hui. Pour le côté sentimental, j'aime à croire que c'est son dernier cadeau. Un bout d'elle laissé en héritage.

Il a traversé l'enfance et les bagarres avec mon frère. Il a résisté aux crises de larmes de la pré-adolescence. Il a essuyé le rimel laissé par les chagrins d'amour. Il a même voyagé dans plusieurs villes de France et dans différents appartements. Toujours là, fidèle. Carré d'environ trente centimètres sur trente. Rembourré plusieurs fois à la ouate. Raccommodé par mes soins avec du gros fil noir. Le dessin est à peine visible, à l'origine une jeune fille en train de lire. Je ne lui ai jamais donné de nom. Mon oreiller. Toujours, et encore à chaque déplacement de ma petite vie de commerciale.

Les bonhommes de ma vie l'ont adopté. Que voulez-vous qu'ils luttent contre un bout de coton ? Pas besoin d'être jaloux.

A presque quarante ans, je le cache sous une housse beige. Il rentre dans mes sacs et a traversé les océans. Transporté dans des soutes, il a visité des hôtels du bout du monde. Quelques fois, il a pu se frotter aux draps blancs des hôpitaux.

Juste un petit coussin que je colle encore contre ma joue. Il y a un an, ma chipie de fille a voulu se l'accaparer comme tous les objets m'appartenant. Rien à faire, je n'ai pas cédé. C'est mon doudou, l'excuse lui a suffi pour respecter mon coin d'intimité.

Il trône sur mon lit juché sur mes deux grands oreillers. Personne ne peut le prendre. Il se cale sous ma nuque et épouse la forme de la tête. Quand j'attendais ma chipie, il était le seul à pouvoir se lover contre mon ventre.

Lorsque je me couche à la nuit, il entend les confidences de mon esprit, savoure les rêves que je forge, partage mes désirs et essuie les sanglots silencieux. Il est le premier à écouter les histoires et les mots qui dansent autour de moi.

Signaler ce texte